Incursion dans les brumes de l'île de Skye
Une semaine plus tôt, nous mettons pied en Ecosse. Nous partons en vélo de Fort William pour l'Ile de Skye, sur une route extrêmement sauvage. Et pourtant, cette impression tenace que nous ne sommes pas tout à fait seuls. La route file le long des lochs (lacs) bordés de boulots et de fougères puis traverse Toumdoun, l'un des seuls villages représentés sur la carte pendant près de quatre-vingts km. Il n'y a rien ici, qu'un vieux manoir isolé, orné d'une chapèle austère… et d'une cabine téléphonique rouge. La lande se découvre peu à peu dans toute sa splendeur inquiétante. Un paysage bossué de dunes de bruyère qui se perdent à l'infini : le bog. L'herbe jaune est encore courbée sous le poids d'une neige récente et le vent glisse sur elle en un long gémissement, celui des Feinn, ces êtres fabuleux qui dorment sur chaque colline.
Au niveau du Loch Hourn, la route se jette brutalement dans la mer. Il nous faut emprunter une sente escarpée pour traverser la montagne : deux heures de portage, les pieds enfoncés dans une tourbe épaisse et nauséabonde. Nous débouchons ensuite sur un loch noir au bord duquel paisse une harde de cerfs. Leurs têtes couronnées se dressent à notre arrivée et, déjà, ils s'enfuient en éclaboussant la lande de leurs bonds agiles. Il est tard : le soleil se couche et la lande incandescente devient subitement sombre et menaçante.
Le lendemain, nous arrivons sur l'île de Skye sous une pluie battante qui ne nous quittera pas de plusieurs jours. L'objectif ? Le Bla Bheinn, un Munro de 928 mètres - c'est ainsi que l'on appelle les 284 montagnes de plus de 3000 pieds (environ 914 mètres) en Ecosse, du nom d'un pionnier du XIXe siècle. Le sport national, le Munro Bagging, consiste à les gravir toutes. A ce jeu, un forcené les a parcourues 11 fois chacune, l'équivalent de 190 Everest !
Par beau temps, le Bla Bheinn offre une vue imprenable sur la muraille des Black Cuillins. Mille mètres d'un granit pur à donner le tournis aux boussoles. L'ascension ne présente pas de difficulté particulière, exceptée l'arête sommitale assez exposée aux chutes de pierres. Mais nous n'irons pas jusque-là. Perdus dans le brouillard, vers 600 mètres, il nous faudra redescendre sous les bourrasques. Un vent à décorner les Highland cows, ces vaches aux longs poils roux, impassibles.
Cheveux blancs, teint couperosé, un vieil Ecossais, surgit alors avec le pas élastique d'un Highlander. A son passage, il nous salue d'un " It's a bit windy, isn't it ? " (Il y a un peu de vent, n'est-ce pas ?), puis disparaît dans le brouillard… Fantomatique.
Ben Nevis, le prince des nuées
Texte : Michel Tendil / Photos : Stéphane le Bourhis