Tanya Naville, Chargée de communication, est très impliquée dans le fonctionnement du GFHM, le Groupe Féminin de Haute Montagne ainsi que dans le GAF, le Groupe d’Alpinisme au Féminin de Haute-Savoie. Elle œuvre également personnellement depuis plusieurs années pour une féminisation des sports de haute montagne par le biais de son blog On n’est pas que des collants, la réalisation de films avec le Women’s skimo project et la création d’un festival sur les femmes en montagne…

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Comment as-tu commencé à faire de la montagne ?

Tanya Naville : Mes parents sont du milieu de la montagne mais plus du côté AMM ski de fond, plutôt de la moyenne montagne. Je suis la seule de la famille à être vraiment du côté du ski alpin, alpinisme et escalade. Avec mes parents on faisait des bivouacs mais pas plus hauts que 1000 m, pas mal de randonnée mais je n’ai jamais fait de glaciers avec eux.

Tu t'es intéressée à ces activités rapidement ?

Non pas du tout, je suis cavalière à la base et j'ai fait du cheval à un assez bon niveau pendant longtemps. J’ai fait un Master à la fac de Chambéry « Equipement Protection et Gestion des Milieux de montagne ». C’est en faisant mes études à Saint-Étienne que j'ai découvert les sports de montagne par l'escalade que j'avais pratiqué un petit peu avant. Ensuite j'ai vraiment accroché fort pour le ski de rando. Plus on veut aller plus haut, plus il faut des notions d’alpinisme, je me suis mise à l'alpinisme après.

Tu as ensuite touché à la compétition…

Oui, j'ai attaqué la compétition grâce au groupe FFME qui avait créé un groupe régional féminin – il n'existe plus maintenant - pour qu'il y ait plus de filles dans les compétitions de ski-alpinisme. Entre l'hiver 2011 et 2015, on a pas mal tourné en compètes, c'était sympa. Je me suis fait un bon réseau de copines.
Après j'ai eu un accident et j'ai donc un peu arrêté. Il a fallu faire des choix. Quand j’ai fait la Pierra Menta, la coupe du monde de ski-alpinisme ou des perfs un peu en championnat de France, c’était de la mono activité. Avec mon investissement bénévole à côté, ça commençait à devenir compliqué, je n’avais plus de place pour faire de la montagne. J'ai continué la compète après mais plus en dilettante car c'est dur de garder le niveau.

Quelle est ton parcours bénévole au sein du Club Alpin Français ?

Je suis au CAF depuis 2002, j’y étais d’ailleurs avant d’être majeure. Avec le CAF, c’était plus facile pour aller faire du ski alpin car il était assez développé dans mon coin. Quand tu n'avais pas de voiture, c’était assez pratique pour ça.
J'ai redécouvert le CAF grâce au GFHM, le Groupe Féminin de Haute Montagne. Quand je mets le pied dans quelque chose, j'ai toujours envie de m’y investir et en faisant partie de ce groupe, j'ai été récupérée par un élu du Comité départemental pour monter le Grand Parcours Alpinisme Chamonix ainsi que toutes la partie com et partenaires. De par mes études et mon intérêt de la gestion de projet, ça m'intéresse vraiment beaucoup.
Ensuite j'ai repris la gestion du Grand Parcours alpinisme Chamonix et celle du GFHM car la personne qui le gérait jusqu’à présent a arrêté. On a donc créé avec le Président du Comité départemental de Haute-Savoie le GAF, le groupe d’alpinisme au féminin de Haute-Savoie. Je me suis retrouvée à avoir tout ça un peu de front à un moment donné, en plus de la compétition de ski-alpinisme.

Qui constitue le GFHM ? Son but ?

Le GFHM regroupe huit filles pendant une durée de deux ans. Le but est de les former à l'autonomie à l'alpinisme en première de cordée et pourquoi pas pour celles qui ont le niveau, de passer le diplôme d’initiateur alpinisme fédéral. En gros, on leur demande d'avoir déjà fait une grande voie d’escalade, d'avoir un niveau 5c, d'être capable de descendre en ski de rando mais surtout d'avoir une grosse motivation parce qu’on a à peu près 122 dossiers pour 8 places.
Il y a une présélection qui se fait d’abord sur dossier et après une sélection est faite sur le terrain. Mais le plus important est l'entretien où l’on voit si les personnes ont une mentalité à fonctionner en groupe. Elles ne doivent pas être individuelles dans leurs pratiques. Il faut vraiment qu’elles soient capables de cet investissement en groupe pendant deux ans. Ce sera la quatrième sélection qu’on organise sur le terrain cette année.

As-tu vu une montée des inscriptions depuis la création du groupe ?

Oui tout à fait. Quand j'en ai fait partie, on était une quinzaine presque toutes sélectionnées. Quand on a repris, il y avait déjà une quarantaine de dossiers. Après, ça a augmenté, 60, 80, 120 dossiers... En ayant travaillé aussi sur la communication du groupe pour éviter qu'il soit confidentiel dans un coin comme l'était le groupe de la FFME pour le ski-alpinisme, on a vraiment développé fortement la communication de presse pour essayer d'être connus de la part des journalistes et des différents médias existants. On a aussi travaillé sur la communication des réseaux sociaux pour une mixité dans le sport, pour donner une image de la femme en pratique de haute montagne pour inspirer d'autres femmes à pratiquer la haute montagne.

Connaît-on le nombre de femmes qui pratiquent la haute montagne en France ?

Il y a un souci sur les chiffres car c’est une pratique très peu encadrée comparée à celle du tennis par exemple. Déjà, beaucoup de personnes ne sont pas licenciées. Et dans les licenciées au CAF ou à la FFME qui regroupent un éventail de pratiques hyper importantes, si on prend les stats du CAF, ça ne veut pas dire que ce sont des pratiquantes d'alpinisme. Dedans, il va y avoir des personnes qui font de la raquette, de la randonnée, du ski, de l'escalade... Il n’y a donc pas vraiment de statistiques.
On cite souvent la statistique des femmes guides qui sont à peu près 2 % à exercer sur le territoire même si ça augmente de plus en plus et qu’il y a plus en plus de femmes au proba.

As-tu remarqué une différence de fréquentation des femmes sur le terrain ?

On voit maintenant la différence de pratique. Je m'en rends compte de plus en plus et je suis assez impressionnée. Lorsque je faisais du ski de randonnée, la plupart du temps, quand on voyait des filles, elles étaient avec un homme. Je trouvais ça assez flagrant. Et là, de plus en plus quand on sort, on voit des filles qui sortent entre elles, que ce soit en escalade ou ski de rando. Je me souviens que lorsqu’on sortait entre filles, les gens nous regardaient avec des yeux comme des billes. Je trouve que ça s’est un peu démocratisé, ça change un peu.

On trouve un peu de sexisme dans le milieu de la montagne ?

Franchement ce n’est pas le pire. J'ai lu des bouquins sur du sexisme dans les sports collectifs et on est vraiment très loin de tout ça. Les sports collectifs sont beaucoup plus facilement dans les injures déjà entre eux. C’est un sexisme qui est déjà un peu plus dur que ce que l’on va avoir nous dans le monde de la montagne. On est plus sur du patriarcat et du paternalisme que vraiment du sexisme où on se sent insulté. Alpine Mag avait publié un article expliquant qu’il y avait du sexisme un peu plus fort chez les gardiennes de refuges.

Quel est l’objectif de ton blog On n’est pas que des collants lors de sa création ?

J'ai monté mon blog en 2015 car lorsque je m'occupais du GFHM et du GAF, ils se sont proposés de réaliser des articles aux journalistes et aux différents médias, ou alors à ce que ce soient les médias qui en parlent et que nous, on écrive justement sur ce qui se passait.
On remarquait qu'il y avait de plus en plus de femmes qui voulaient se former. Il y avait vraiment quelque chose à dire là-dessus. Mais on nous disait en gros que si on ne faisait pas de la performance, ça n'intéressait personne. J’avais envie de voir d'autres choses que ce que l'on voit dans les magazines ou dans les médias où ce ne sont que des hommes ou des femmes très performantes. Il fallait médiatiser une pratique d’amateurs éclairés, une pratique on va dire plus fun de la montagne plutôt qu’uniquement de la performance au féminin avec toujours les mêmes personnes mises en avant. C'est un peu ça l'objectif du blog.

C’est parti d’où l’idée de réaliser cette série de films ?

L’objectif était de se demander quelles histoires de femmes inspirantes on pouvait raconter avec des femmes qui aient des choses à nous dire. Savoir comment ça se passe d'être une femme dans le sport outdoor de leur pays, dans leur communauté et pourquoi pas prendre des idées pour les ramener en France.
La vidéo est vraiment le média actuel pour faire bouger les lignes car lorsqu’on va dans les festivals de films de ski, c'est assez fou, il n’y a que des mecs. Je ne voulais pas parler du ski de station parce que ce n’était pas notre objectif. On est parti sur le ski de randonnée parce que c'était aussi notre sport. Le projet du Women’s skimo project est né comme ça.
Nous avons un public avec des gens qui sont déjà intéressés sur la question du féminisme, du sexisme ou de la place de la femme. On voudrait maintenant toucher d’autres gens qui viennent pour le ski.


Comment se sont fait les choix de ces femmes inspirantes ?

J'avais plusieurs idées de pays dans lesquels j'ai d’abord essayé de trouver des contacts soit par des guides que je connaissais, soit en parlant à un gardien de refuge qui par exemple me disait qu’il connaissait telle fille super pour parler du sport outdoor en Grèce. J’essayais de rencontrer la personne ou je la contactais par Skype et je voyais si le courant passait. Pour le Japon, des gens en France m'ont trouvé des contacts là-bas sur place.
Avant d'aller dans leur pays, j’ai eu la chance de rencontrer Mara pour la Grèce et Bryndis pour l'Islande. C’était vraiment top parce que j'ai vu que c’étaient des personnes investies qui auraient quelque chose à raconter. Et sur place, on a rencontré des gens différents, c'était très enrichissant.

Est-ce que la pratique féminine bouge également dans les autres pays ?

Quand on a fait les films du Women’s skimo project, on a rencontré des femmes qui étaient surtout liées au ski dans les différents milieux et on a vu que ça bougeait. Au Japon par exemple, l'évolution culturelle se retranscrit forcément sur la pratique sportive. La place de la femme devient un peu différente. En Islande, ils sont complétement égalitaires mais il y a quand même un peu moins de femmes qui pratiquent. Elles sont quand même beaucoup plus nombreuses qu'en France.
Les islandaises nous ont raconté que lorsqu’elles étaient parties encadrer en Slovénie des personnes en glacier, elles ont vraiment vu la différence par le fait que les slovènes étaient vraiment étonnés d'être encadrés par des femmes. Ils considèrent qu'elles ont des supers pouvoirs et n’arrivent pas à comprendre. Pour eux, c'est vraiment décalé.
Je pense donc que c'est plus un problème culturel de société qu'on retrouve dans le sport, plutôt que vraiment une problématique sportive..

Des nouveaux projets de films ?

On a fait un peu une pause car ça nous demandait vraiment beaucoup d'énergie et d'investissement financier de notre part. Tant qu’on n’a pas bouclé au moins un petit peu les budgets sur ce qui été avancé financièrement sur les films, on a décidé de ne pas se relancer sur un autre projet.
On a eu aussi un bout de chou en mai et c'est un peu plus compliqué de partir. J'avais un peu le projet de retourner en Iran pour faire un film. Mais c'est un sujet un peu plus complexe qui demande du temps. Pour l'instant on reste sur le festival. Si on arrive à bien tourner et à faire rentrer un peu d’argent, alors pourquoi pas refaire un film.

Tanya Naville remercie Zag Skis et Altitude Eyewear pour leur investissement.

> Le blog On n'est pas que des collants ici

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