![]() |
|
![]() |
![]() |
Jeff Mercier, alpiniste et gendarme secouriste au PGHM de Chamonix reste fidèle à son cher massif du Mont-Blanc en ouvrant régulièrement des nouvelles voies en mixte, de « secondes zones » dit-il. Une interview exclusive pour Montagnes Reportages |
|
![]() |
|
Montagnes Reportages : Revenons à ton ouverture au Rognon du Plan avec Simon Chatelan en mars 2016. Qu’est-ce qui vous a motivé à aller dans ce secteur ?
Jeff Mercier : C’est une ligne qui faisait partie de mes projets de longue date. J'ai la chance d'habiter Chamonix et je peux observer quotidiennement les aiguilles. Suivant la saison et l'ensoleillement, des lignes d'ombres apparaissent, souvent des dièdres fissurés propices aux coincements de lames. Je me les note dans un coin de la tête puis quand j'en ai repéré plusieurs, j'essaie de les faire connecter en jumelant plus précisément. Je me replonge alors dans les vieux topos « Vallot » pour mieux connaître l'histoire de la face. Dès fois, tu te rends compte qu'il y a une voie des années 60, complètement inconnue qui passe par là ! Généralement, j'ai toujours quelques itinéraires d’avance que je peux envisager dès que les conditions de la montagne sont bonnes. D'autres fois, c'est au hasard d'un secours héliporté que la ligne apparaît. La dernière sur la liste m'a ainsi sauté aux yeux il y a trois semaines ! L’année d’avant à peu près à la même époque, j’avais ouvert une voie avec Fabien Dugit un peu plus à gauche, qui sortait plus dans l’Aiguille du Plan. J'aime bien de coin de l'Aiguille du Plan, c'est à la fois proche car l’accès est aisé et rapide, mais aussi éloigné dans le sens où passé Le fil à plomb il y a peu de passage. Le final par l’arête Midi-Plan est l'un des mes itinéraires préférés. C’est un secteur fréquenté ? Le lieu où on a ouvert cette ligne est un bastion du Rognon du Plan. Pas vraiment un sommet emblématique comme l’Aiguille du Plan qui a un nom qui sonne plus à l’oreille des gens. Pourtant deux jolies lignes parcourent ses cotés, Sylcris, une voie Profit-Radigues-Tavernier de 1985 et Fin Givré de Baudouin et Parkin en 1991. Si Fin Givré se reforme rarement, Sylcris mériterait plus de visite. Pour ce qui est de la partie centrale pourtant extrêmement large et raide, elle n'avait pas été envisagée. Je reconnais que ce genre de sommet - si on peut l’appeler comme ça - a le privilège d’être passé un peu à la trappe. Je dis souvent que mes projets sont de « secondes zones » dans le sens où ils ne se situent pas dans des faces réputées où les possibilités ont largement été exploitées. Qu'importe la face, je préfère rechercher un bout de ligne à ouvrir comme E-logik dans le Triangle du Tacul que me mettre à la queue leu leu dans le couloir Nord direct au Dru. A quoi ressemble la paroi de votre voie ? On a toujours grimpé avec les piolets, hormis une fissure large située au milieu du bastion final où j'ai dû enlever les crampons. La pente centrale coupe un peu l'effort mais au moins on prend de la hauteur rapidement. Au-dessus, il y a tout un système de dièdres qui s’enchaînent logiquement. Pour aller chercher le dernier, il y a une traversée sur une banquette de neige posée en plein ciel précédée d'une désescalade délicate, tout ça sans réelle protection. Un sacré pendule en cas de glissade ! Ça reste finalement assez soutenu et bien vertical, avec pas mal de longueurs en M7 et ça va même jusqu’au M8. C'est cool qu'en 2016 on arrive encore finalement à trouver des belles voies. Tu as une petite anecdote sur cette ouverture… Quand on est parti pour aller bivouaquer tranquillement au Plan de l’Aiguille, on est tombé sur cinquante figurants qui attendaient de tourner une scène d’un film à long métrage dans le téléphérique supérieur de l’Aiguille du Midi. Il y avait un monde incroyable. A un moment donné, tout le monde est parti et on est allé faire notre voie. Quand on arrivé au refuge des Cosmiques assez tard le soir, on s’est rendu compte qu’il y avait encore plein de monde, c’était un autre gros tournage, celui-ci sur l’ascension de l’Everest. Ils y simulaient des camps de base. C’est pour ça qu’on a appelé notre voie Universal Studio. Tu sembles être un peu critique sur ces personnes avides de poster en direct sur les réseaux sociaux, « la » photo au sommet ou dans la voie… Ceux dont je parle sont plutôt « ceux qui cherchent le sticker à tout prix », le sponsor qui les fera enfin exister. Certes, ils sont « bons » mais ils ont en commun un manque cruel d'idées neuves et une bonne carence en culture alpine. A mon sens, pour exister « médiatiquement », il faut amener de la « fraîcheur », du différent par rapport à ce qui a déjà été fait. Pas forcément de l’extrême, du neuf. Quand on se rappelle des exploits pas si lointains des Rhem, Vimal, Ravanel, Gentet, Herry, Belleville, on a moins envie de la ramener. Aux jeunes qui veulent bien m'entendre, je dis « faites-vous plaisir » et « forgez vos armes ». Après, quand vous aurez fait quelques réalisations différentes du carnet de courses de Camp to Camp, il sera encore temps de quêter le Grall.
Je sens bien qu’ils ne sont pas dans ce genre de pratiques et Dieu merci ! Je regardais justement récemment le site web de GoPro. Pour leur faire un dossier de sponsoring, ils te demandent ton nombre de followers sur Facebook ! Non... là c'est bon, on arrête ! Pour parler de mon cas, mes sponsors cherchent plutôt des gens qui vivent leurs passions. Que leurs « aventures » aient de la saveur. Mais tu aimes aussi communiquer ? Oui, je communique aussi pas mal dès que je peux le faire et j’avoue que j'aime bien jouer là-dessus. J'aime bien la com au sens large. Exposer mon regard sur la pratique lors de micro-conférences m'éclate vraiment. Faire partager les expériences qui m'ont amené à aimer l'alpinisme que je pratique aujourd'hui et pourquoi. J'ai toujours aussi apprécié prendre des photos. Ce n’est clairement pas de l'art mais juste une image, une situation que j'aime sur l'instant. Je les laisse sur Instagram. Pour les photos d'alpinisme, je rajoute juste quelques hashtags. De plus, certaines voies sont éphémères. Les mettre en ligne directement permet à ceux qui voudraient s'y aventurer de bénéficier de conditions correctes. Je me rappelle de l'époque à laquelle il n'y avait que les magazines papier. Tu découvrais en avril qu'une ligne démente en glace s'était ouverte à la mi-février... Personnellement, ma place, en tant qu'athlète sponsorisé, se gère sans pression car j’ai déjà un salaire. Du coup, mes relations avec les partenaires sont d'égal à égal. Si je suis chez une marque, c'est que j'aime son matos. Plus loin que ça, j'accorde beaucoup d'importance aux relations entre les personnes. Certaines d'entre elles sont avant tout des personnes que j'apprécie. Avec le recul, quelle vision as-tu du trail de montagne ? Je trouve qu’il y a des bonnes choses à tirer dans le trail. L'alimentation notamment car les traileurs sont vraiment calés sur les efforts de plusieurs dizaines d'heures. Après, l'esprit « light et fast » issu de la course a pied a considérablement allégé le matériel de montagne. Mais le matos le plus léger et la meilleure condition physique du monde ne valent rien face aux conditions de la montagne. On l’a vu récemment avec Kilian Jornet à l'Everest. La machine a plié face à la montagne suite aux conditions de neige. J'apprécie cette sagesse. Savoir renoncer est une grande qualité.
Le paralpinisme aurait pu être l'évolution de l'alpinisme estival. Malheureusement, la législation interdit le survol en parapente du massif du Mont-Blanc en juillet et août. On voit que la paralpinisme pousse car plein de personnes veulent maintenant faire du parapente et de la montagne. Mais tout le monde ne s’appelle pas Julien Irilli, qui a d’abord fait du parapente pendant pas mal d’années avant de le faire en montagne. Julien reconnait que ça reste toujours une activité très difficile. Ce n’est donc pas avec deux ans de parapente que tu peux te balancer des sommets des Jorasses ou de la Verte. Finalement c'est plus simple de s’entrainer physiquement des heures à bourriner en poussant sur ses cannes. C’est en tout cas plus ouvert à la majorité des gens. Tu as observé des différences de conditions de glace en France ces dernières années ? Complètement. On le voit par exemple dans le cirque du Fer-à-Cheval où ça fait assez longtemps que les cascades de glace ne se sont pas reformées, leur altitude étant assez basse. On le voit aussi sur l’Argentière-la-Bessée et le Briançonnais en général. Bon, je ne fais pas toute ma saison là-bas maintenant mais quand j’étais à Briançon entre 1999 à 2003, les quatre hivers était quasiment formidables et il y avait tout à faire. Les voies dans Gramusat se reformaient tout le temps. Maintenant, c’est vrai qu’il y a des sacrés variations. Après à contrario, l’hiver d’avant, à Kandersteg dans le grand mur où on est allé avec Julien lors de la trilogie des trois voies mixtes les plus dures, ça reste toujours dans les valeurs sures. Flying Circus, la voie de Robert Jasper n’a pas été répétée pendant très longtemps car elle ne s’était pas reformée. Maintenant c’est une voie que tu peux refaire tous les ans. Peut-être que maintenant on se contente aussi d’un peu moins de glace. Mais de toute façon, dans des voies comme ça, ce serait insensé de se lancer là-dedans si le volume de glace est trop important car ce sont des épées. Tu auras la sensation qu’il y a beaucoup de glace mais quand tu vas taper dedans, tu vas partir avec un truc énorme. Tu peux me parler d'une de tes régulations récemment au PGHM ? Un alpiniste a appelé pour me dire que le compagnon de cordée qui était derrière lui avait disparu au fond d’une crevasse. Ils allaient aux pointes Lachenal mais ils n’étaient pas correctement encordés. Son compagnon avait probablement des anneaux à la main, en tout cas des grandes ganses. Ce qui fait qu'il est tombé de 20 m, il se serait sûrement arrêté avant s’ils avaient marché tous les deux à corde plus ou moins tendue avec des noeuds comme c'est désormais préconisé. Au final, il a eu de la chance car c’était une crevasse peu large. Il est tombé doucement en faisant un peu boule de billard de chaque côté, ce qui a ralenti sa chute. Il n’y a pas eu un gros traumatisme. Il n’a pas été sorti par notre équipe parce qu’il y avait des alpinistes sur place. Ils ont tiré sur la corde et l’ont sorti quelques minutes avant l'arrivée de l'hélicoptère. Et les gars sont venus te voir après... Oui et je leur ai donné quelques conseils. Je leur ai dit que ça part toujours d’un bon sentiment de vouloir aider une personne en difficulté. Tu ne veux pas le laisser, tu es pris dans la panique, tu veux essayer de la ressortir et on imagine qu’en bas, ça ne se passe pas bien pour elle. Mais en essayant de la remonter, on risque de l’endommager. Si elle a eu un traumatisme au dos, en le retirant, la blessure peut s'accentuer. Il faut toujours se méfier de la précipitation. Surtout quand une organisation du secours des plus performantes au monde est à moins de quelques minutes de vol. On prend aussi parfois la décision de se débrouiller soi-même parce qu’on est content de restituer ses connaissances acquises ? Exactement. Tu es un alpiniste autonome et tu es content d’avoir sorti ton copain avec ce fameux mariner double si difficilement retenu ou ce kit crevasse à l'usage rare. Mais il ne faut pas mettre la charrue... ll faut réfléchir avant d'agir et du coup avoir des notions de secourisme me semblerait presque obligatoire. D'autant que ça peut servir dans la vie de tous les jours ! Quels conseils donnes-tu alors pour les premiers instants après une chute en crevasse ? Attention ce qui suit est principalement valable quand le secours aérien sera sur place rapidement. - On sécurise d’abord la personne qui est au fond de la crevasse. On tend la corde et on la vache. - Crier pour demander l'aide des cordées proches est toujours efficace. - Appeler le PGHM sur sa ligne directe (04 50 53 16 89). Le gendarme-secouriste vous donnera alors tous les conseils utiles pour agir. Il vous posera d'autres questions pour avoir un bilan exhaustif du blessé. Si besoin, le dialogue se fera à trois avec un médecin urgentiste. - Pour des petites chutes, apparemment sans gravité, on peut faire appel au PGHM pour connaitre la conduite à tenir. Ça m’est arrivé sur des régulations que le gars me dise, mon copain est tombé de 2, 3 m. On en discute directement avec la victime et un médecin. Selon la discussion, le médecin peut lui dire, OK tu peux sortir de toi-même, tu peux continuer à marcher et descendre dans la vallée, tu iras aux urgences ensuite. Dans ce cas, Il n’y a pas besoin de l’intervention de l’hélicoptère. Mais c’est suite à une discussion entre un médecin et la victime directement, et non pas l’interprétation d’une personne qui est 20 m au-dessus. Après une grosse chute en crevasse, comment réagit généralement la victime après, si elle est consciente ? Il faut savoir qu’après une chute de 20 m, tu te prends une bonne grosse décharge d’adrénaline. La douleur est moins prégnante. Tu peux avoir un traumatisme dorsal ou une hémorragie interne. Il faut donc aussi se méfier des réactions à chaud qu’ont les victimes car on ne sait jamais ce qui se passe dans leur inconscient. Elles ont peur et elles ont envie d’être sorties. Dans notre cas précis, la personne va quand même faire une visite à l’hôpital ? Oui car dans le domaine médical, son cas est un grade C. Derrière, il va y avoir un scanner du corps qui sera envisagé pour voir s’il n’y a pas, ne serait-ce que des micros fissures dans une vertèbre, un petit saignement au niveau de la rate ou ailleurs. Quelque chose qui a l’air indécelable comme ça, et qui pourrait se révéler avec le temps. C’est pas évident tout ça, parce qu’après il ne faut pas que les gens se disent, OK maintenant je ne vais plus porter assistance si c’est pour me le faire reprocher après !
Cet hiver, j’ai le projet d'aller d’ouvrir quelque chose en Laponie. L’approche sur deux ou trois jours se ferait à l’aide de traîneaux à chiens avec un copain musher. Il a fait une reconnaissance là-bas l’année dernière pour monter un voyage avec des futurs clients et il a découvert un secteur au potentiel intéressant ! J’aimerais aussi retourner dans les Lofoten en Norvège, le pays est immense et il y a plein de choses à faire dans un cadre extraordinaire. Les fjords, les aurores boréales, des approches en kayak, de bien beaux moments à venir ! Le trip de Mars en Alberta a été l'occasion de belles rencontres humaines. J'étais parti seul et je me suis arrangé avec les locaux. Je suis toujours curieux de nouvelles techniques, il y a tellement à apprendre des autres. A cause d'un risque marqué, nous n'avons pû parcourir les grandes lignes mixtes des Rocheuses canadiennes. La frustration créé l'envie, j'ai vraiment envie d'y retourner. De même, j'ai passé une petite période (pour cause de very bad météo) en Ecosse. Je commence à y être allé une paire de fois, et à chaque fois la liste des projets rallonge alors que celle des réalisations stagne ! Bref, j’ai toujours pas mal de projets. Heureusement, j'ai la chance d'avoir des partenaires qui me font confiance et qui me soutiennent pour les concrétiser. Je profite de l'occasion pour faire appel à de potentiels partenaires financiers. Mais le plus gros effort est sûrement celui réalisé par ma femme : mener de front sa carrière professionnelle et réussir à s’occuper merveilleusement de nos trois garçons bien turbulents pendant mes absences. > Relire son précédent interview sur MR ici > Le blog de Jeff Mercier ici |
|
![]() |
|
Montagnes Reportages © 2016. Tous droits réservés. All rights reserved |
|