Une équipe d'alpinistes composée de Lionel Daudet, Philippe Batoux, Aymeric Clouet et Yann Borgnet est allée récemment visiter des cascades isolées dans des fjords du nord-ouest de l'Islande. Un séjour court mais des moments magiques pour tout le monde, sous l’œil malicieux de Mister Renard et le spectacle grandiose des aurores boréales...

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Philippe Batoux, Lionel Daudet, Yann Borgnet et Aymeric Clouet

Montagnes Reportages : D’où avais-tu connaissance du lieu de ces cascades isolées ?ionel Daudet :el est ton parcours d’alpiniste ?

#Lionel Daudet : D’une manière très simple, un peu la suite d’une histoire. J’étais déjà allé en Islande l’année dernière avec Aymeric sur Maewan, le voilier d’Erwan le Lann. On était resté sur un manque absolu car on est arrivé trop tard dans le spot qu’avait découvert Erwan. Il pensait qu’il y avait vraiment des super cascades à faire là-bas.

Arrivés à l’endroit, on a juste vu les murs avec des cascades un peu fondues. Je devais repartir avec Aymeric en France le surlendemain et on avait absolument plus le temps de grimper quoi que ce soit. J’avais donc vraiment l’envie d’y retourner.

Ça n’a pas été la super forme pour toi apparemment ?

J'ai malheureusement chopé la crève là-bas. J’ai eu des bonnes fièvres et de la toux, du coup j’étais vraiment diminué. J’ai donc laissé Phil en tête dans les longueurs dures des cascades du Horn.

Y-a-t'il une communauté islandaise de glaciairistes ?

Oui, tout à fait. Il y a d’ailleurs un club alpin islandais et le site web Isalp où des cascades sont répertoriées. Il y a effectivement du monde qui fait de la cascade de glace mais ça reste malgré tout une activité qui n’est pas ultra développée. Sachant en plus que le pays en soi est très peu peuplé, la proportion de glaciairistes est vraiment très faible.

Dans quelques spots en dehors du Horn, on n’a rencontré personne mais c’était peut-être aussi parce que les conditions de glace n’étaient pas optimales. Mais bon... c’est un peu la même chose en Norvège, un grand pays avec beaucoup de cascades où il n’y a pas non plus grand monde dedans sauf dans les spots vraiment très parcourus.

Généreuse mère nature islandaise…

On a fait notre premier camp de base à la baie de Hornvik où le bateau nous a déposés. Il y avait beaucoup de phoques à dix mètres de nous. Il y a eu ce fameux renard polaire qui venait de plus en plus près de nous, des très jolis oiseaux échassiers, des pingouins qui logeaient dans des lieux improbables comme les cascades de glace. Ils « s’envolaient », plongeaient depuis ces cascades, c’était vraiment surprenant. Mais ce qui nous a le plus impressionnés, c’est de voir les traces de ce petit renard empruntant des vires à une centaine de mètres du sol pour aller chasser certainement des oiseaux et leurs œufs. C’était très étonnant. C’est d’ailleurs pour ça qu’une de nos cascades ouverte s’appelle Mister Renard.

Tes prochains projets ?

Le Groenland cet été en voilier avec Isabelle Autissier. Enzo Oddo sera aussi des nôtres comme alpiniste. On va se concentrer sur l’extrême sud du Groenland à côté du cap Farvel sur une paroi qui s’appelle le Torssukatak aussi nommée par les grimpeurs, le Thumbnail (l’Ongle du pouce). Cette paroi a la réputation d’être une des plus grandes falaises marines au monde avec ses 1600 m tombant dans la mer.


Montagnes Reportages : Séduit par l’Islande ?

#Philippe Batoux : Complètement. Ce sont des endroits tellement forts et puissants. On se sent vraiment petit à proximité de cette haute mer, de ces vagues et énormes rouleaux. Dans un des endroits où nous étions, on avait l’impression d’être dans le pays du Seigneur des Anneaux.

Des paysages en noir et blanc très contrastés avec des plages de sable de lave noire, la neige blanche, le vent... c’est une ambiance incroyable. Ce pays est vraiment dément.

Quel type de glace avez-vous trouvé ?

En Islande à cette époque, on peut voir défiler quatre saisons dans une journée. Il va pleuvoir un moment, puis il va neiger, il peut y avoir ensuite un gros coup de vent puis le soleil peut faire son apparition - mais le soleil est peut-être ce qu’on a eu de moins (rires). Mais on n'a pas eu de grand froid, seulement des températures légèrement négatives à positives dues à la proximité de la mer.

On trouvait donc une glace qui était souvent du sorbet, pas cassante du tout et facile à grimper. On a juste trouvé vers le centre des terres un peu de glace dure à certains endroits. Je n’ai pas l’impression que ce soient des lieux où il fait très froid. Ce sont donc des conditions excellentes pour la glace.

Il y a une grande différence avec les cascades en Norvège ?

En Norvège, on peut avoir de très grands froids avec des -15°C, -20°C pendant très longtemps. La glace peut être plus cassante et plus fragile. C’est plus compliqué en Norvège.

L’Islande peut-elle devenir « tendance » pour la cascade de glace ?

Dans la baie de Hornvik où nous étions, faire de la cascade est compliqué. Déjà, il faut te faire déposer par un bateau – ce qui n’est d’ailleurs pas donné ! Ensuite il faut camper et en cascade de glace, c’est super rude. On est tout le temps mouillé et c’est toujours la lutte pour se faire sécher. Ce n’est vraiment pas simple. Et puis l’Islande reste encore chère, quoi que c’est en train de baisser un peu maintenant avec des sites web comme Airbnb.

Quels types de lignes avez-vous trouvé ?

Des belles lignes très sculptées dans lesquelles on était un peu obligé de faire des zigzags dans tous les sens. On était dans la partie la plus vieille de l’ile où l’activité volcanique est réduite. Des lignes sortaient de résurgences et à chaque sortie de ligne, j’avais vraiment l’impression que de l’eau chaude s'évacuait. La glace se décollait et devenait complètement pourrie.

Vous vous êtes bien régalés en prises de vues photos ?

Oui. On a fait des super photos avec les grimpeurs au-dessus de la haute mer, les aurores boréales, la faune... C’est toujours génial d’avoir la proximité de la vraie faune sauvage comme ce petit renard qui s’est petit à petit habitué à notre présence. C’était magique aussi d’observer les phoques dans la baie. Quand on grimpe, c’est vraiment un plus du voyage.

Tes prochains projets ?

J’ai encore plein de beaux projets en Norvège. L’été prochain à priori, je pars faire de l’escalade avec des jeunes du groupe du CAF de Haute-Savoie. On va dans les Bugaboo en Colombie britannique où il y a l’air d’avoir un très beau granite.

Montagnes Reportages : Tu avais très envie de retourner en Islande depuis ton trip sur le voilier Maewan ?

#Aymeric Clouet : Oui. Ça faisait partie des choses que j’avais bien gardées en tête. J’avais appelé Dod qui entre temps en avait parlé à Philippe et Yann. On avait aussi une option plutôt très alléchante en Norvège. Au final, on est un peu parti au dernier moment en Islande car les conditions de glace étaient assez incertaines juste avant. Finalement, l’option de partir sur un truc assez aléatoire a juste été géniale et extraordinaire.

J’espère bien y retourner. Mais on a tous été frustré d’être resté seulement une semaine sur place. On n’a pas fait grand-chose mais on est bien content de tout ce qu’on a fait. Et déjà, si j’avais juste fait une longueur de glace là-bas, j’aurais été content. On en a fait plus, mais bon... avec tout ce qu’on a vu en potentiel de cascades, on pourrait y passer une saison !

Cascade "Maewan"

On avait un peu tous repéré ensemble les lignes grimpables car il n’y avait pas non plus des tonnes de lignes évidentes. Dans pas mal d’endroits, d’énormes stalactites n’avaient pas de lien entre elles. Ça laissait présager des trucs de mixte abominables à protéger. Comme on n’avait pas beaucoup de temps, on n’avait pas l’intention d’aller envoyer du gros sur une ligne pendant plusieurs jours.

On avait quand même vu que quelques lignes envisageables rapidement étaient jointives et allaient presque jusqu’en haut. La ligne de Maewan faisait partie des lignes majeures qu’on avait repérées.

Mais on avait une incertitude sur le fait qu’on arrive à sortir sur le plateau car la cascade se terminait à 40 m de celui-ci. Il y avait une résurgence à cet endroit-là et c’est là que la cascade commençait. La partie mixte était un grand mystère. On avait aucune idée du rocher qu’on allait y trouver ; de la glace ? De l’herbe ou de la mousse ? On y est allé voir par le haut et ça nous a paru être du rocher pourri. C’était donc vraiment pas gagné de pouvoir sortir.

On avait remarqué une vire qui nous permettrait éventuellement de nous échapper ou de descendre en rappel. Mais là, c’était plus compliqué de revenir à l’envers, ça ne donnait pas envie et il était déjà tard. Au final, on a fait une super belle longueur de mixte bien dure à protéger pour Yann qui a fait ça en tête.

Quel type de rocher trouve-t'on ?

Du basalte. Pour faire simple, c’est un rocher noir sculpté avec des bulles à l’intérieur et parfois des petits trous. Par contre il y a des endroits où c’est hyper compact et d’autres où il y a des fissures. Dans ce cas-là, c’est tout péteux et ça préfigure généralement un bloc qui se détache. Dans les endroits peu gelés, on espérait que les fissures allaient tenir à peu près car ce n’était pas très simple à protéger. Il y avait pas mal de mousses et herbes qui comblaient les fissures. Quelques broches tenaient bien dans les bouts de glace issus de projections d’eau parties de la cascade et qui avaient dû remonter vers le haut. Mais ce n’était pas bien épais. Après être arrivé pile-poil sur le plateau, on avait repéré une sorte de petit lac gelé qui nous a permis d’y faire un bon relais.

Tu t’es vite familiarisé aux conditions climatiques locales ?

On s’y attendait mais ce n’était pas pire dans le sens où on n’a pas été exposé au grand froid. On avait toujours des températures qui tournaient autour de 0°C. On a quand même eu des vents violents qui ont fait descendre les températures mais ce n’était que du ressenti. Les vraies températures ne devaient pas être en-dessous de -5°C. Etonnamment ça gelait bien dans ces conditions mais le problème était que ça dégelait aussi super vite vu qu’on n’était pas loin de 0°C.

Quand on a grimpé la ligne de Maewan, ça s’était vraiment réchauffé dans la journée. On a vu tomber des morceaux de glace et des cailloux. C’était rapidement la débâcle et il a fallu bien se gaffer.

Tes prochains projets ?

Parmi divers projets, le plus important est un retour avec mes potes dans le Langtang au Népal cet automne - j’étais dans cette région quand il y a eu le tremblement de terre en avril 2015, une sale expérience ! J’ai donc l'envie d’y retourner pour aller voir s’ils ont un peu réussi à renaître de leurs cendres. Voir aussi si la vie reprend un peu son cours, et pour les aider sur ce qu’on avait en ligne de mire avec Colin Halley.

Montagnes Reportages : Comment t’es-tu retrouvé dans l’équipe Northern Ice ?

#Yann Borgnet : L’année dernière lors de l’Alpine Line, on est arrivé à l’Argentière-la-Bessée le soir où Dod rentrait de son trip sur Maewan. Du coup, il nous a forcément parlé de l’Islande et nous a montré des photos. Je me suis dit, ça a l’air ouf ! Mais je pensais que je n’aurais jamais les moyens d’aller dans le fin fond du nord de l’Islande faire de la cascade au-dessus de la mer. C’était donc resté comme ça, sans plus, mais ce lieu m’avait vraiment motivé. Cet automne, Dod m’en a reparlé et je lui ai dit que j'étais partant.

On te voit plus sur le rocher que les cascades de glace ?

C’est vrai que ces dernières années, j’ai plutôt fait des goulottes mais pas beaucoup de glace. Ce n’est pas parce que je n’aime pas, c’est juste que je n’ai pas eu la possibilité d’en faire plus souvent. En fait, j’utilise plus de la cascade comme un plaisir et un entraînement pour aller faire de la montagne après, que comme une activité à part entière avec des trips en glace comme fait Phil chaque année.

Comment s'est passé ton séjour islandais ?

J’aurai bien voulu grimper un peu plus là-bas mais finalement je pense avoir préféré ça à un trip où on aurait grimpé tous les jours. On était en Islande dans un voyage avec une partie sportive mais ce n’était pas que ça et c’est ce qui m’a intéressé. Par exemple, je n’avais jamais vu d’aurores boréales ni la richesse de la faune sauvage. C’était vraiment un tout avec son lot de péripéties comme les galères monstres que j’ai eu pour me rendre à Reykjavik ou la journée où on est resté bloqué au « refuge ».

Cascade "Maewan"

Sur le bateau, je m’étais dit que cette cascade devait être sympa à faire et qu’elle ne devait pas être très dure. Mais quand on l’a vue un peu de profil... Ouh la la ! Elle avait un bon à-pic dans la mer. Sa ligne m’avait aussi vraiment impressionné d’en haut. Aymeric et moi étions tous les deux en forme et ça nous a donc bien motivés pour y aller. Aymeric est super fort, ça donnait confiance pour la suite même si la météo n’était pas très bonne.

Tes prochains projets ?

Ils seront plus d’ordre professionnel car je passe en ce moment le probatoire du guide et c’est un sacré investissement de temps. L’Islande a donc été pour moi une petite parenthèse. Avec Ana, on a parlé de faire un trip du genre de la traversée Cassin en vélo/grimpe car on avait bien aimé notre dernière expérience. Cette fois, on aimerait faire quelque chose dans les Pyrénées en grimpant des voies classiques. A Pâques, à priori je pars grimper avec Ana en Jordanie. L’Islande ma redonné aussi l’envie de voyager.

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