Cédric Sapin-Defour connaît bien la montagne, ses pratiques et surtout les petites (ou grandes) manies de ses pratiquants. Dans son dernier livre "Qu'ignore-je ? L'alpinisme" chez JMEditions, il soumet les questions à toutes les réponses qu'on se pose sur le milieu de l'Alpe. A Montagnes Reportages maintenant de lui poser des questions afin d'avoir des réponses sur son CV alpin... Une interview exclusive pour Montagnes Reportages |
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Montagnes Reportages :
Quel est ton parcours d’alpiniste ?ionel Daudet :el est ton parcours d’alpiniste ?
Cédric Sapin-Defour : L’alpinisme m’a fait un premier clin d’œil à mon tout jeune âge. Puis je suis retourné à mes pratiques sportives de plaine mais avec la haute montagne toujours en tête notamment et déjà, par des lectures qui me transportaient, m’invitaient. Annapurna premier 8000, tout bleu, tout écorné. Plus tard, adolescent, le magnétisme a terminé son œuvre et je suis venu à l’alpinisme par… l’alpinisme. Directement. C’est précisément la haute montagne qui m’attirait. Des copains m’ont mené là-haut puis un vieux guide de l’Oisans m’a pris sous son aile. Un jour il m’a dit « maintenant tu vas t’acheter une corde, tu te trouves un partenaire de confiance et vous allez apprendre la montagne. Vous ferez des conneries mais ça va faire ». Quelles activités de montagne pratiques-tu ? Comme je te le disais, il n’y a pas eu les propédeutiques escalade, ski, cascade... qui peuvent te faire venir dans un second temps à l’alpinisme. Ces pratiques sont venues ensuite, comme des entrainements au premier objet, l’alpinisme. Aujourd’hui c’est équilibré. Je pratique toutes les activités terrestres où les pieds touchent la neige, le rocher ou la glace (ou l’eau, l’été, avec un peu de canyoning, activité très formatrice pour les manips et les bidouilles de corde). Je te dis « terrestres » car j’aimerais vraiment voler. Il faudrait que j’apprenne et que je m’y mette vraiment ; j’imagine que dans plusieurs décennies, la plupart des grimpeurs et alpinistes descendra de là-haut en volant et en se demandant quels dinosaures on faisait à poser nos rappels au milieu des pierres qui sifflent et des pentes qui chauffent, à déglinguer nos genoux sur les sentes et les pierriers sans fin. Le ski a pris aussi une grosse part dans le calendrier. Est-ce parce que nous habitons Arêches dans le Beaufortain où le ski de rando est un exercice culturellement imposé mais nous allongeons toujours plus la saison de ski. Comme activité en elle-même au début de l’hiver puis ensuite comme moyen d’accès aux faces et parois, plutôt chamoniardes à nouveau. Parfois assez tard, juillet comme clap de fin. Le ski en plus d’être ludique, est définitivement le moyen le plus efficient pour se déplacer en montagne. Tu vois, rien de bien original. Un pratiquant généraliste, curieux comme tant d’autres et qui a dû présenter son CV alpin plus d’une fois – à la cotation près – lors de la sortie du premier bouquin (le Dico Impertinent de la Montagne). Légitimité oblige. Osez rire des alpinistes sans être guide, sans rigoler dans le 8b ou le grade VI, tu vois comme j’ai le goût de l’engagement ! Ta plus belle course ou escalade ? Je serais bien incapable d’extraire telle course, d’isoler telle voie ou tel sommet. Est-ce bien sérieux de s’appeler Sapin-Defour et d’écrire des livres sur la montagne ? Déjà, on a plus d’épicéas et de mélèzes dans nos montagnes donc la concurrence est réduite ! Quant aux fours à cristaux, je n’y traîne pas trop mes guêtres, dommage car cette chasse au trésor doit préserver l’âme d’enfant de ceux qui s’y adonnent. En premier lieu, si la vie est évidemment dure et contraignante il ne faut pas oublier que ça peut aussi être sympa et rigolo à vivre. Ceux et celles qui galèrent le plus au quotidien nous donnent parfois cette leçon. Ensuite j’ai écrit à des moments de notre Histoire où la dérision et l’irrévérence ont été cruellement châtiées (évènements de Charlie notamment), je me devais donc très modestement, à ma petite place d’apporter une minuscule pierre à la préservation collective de l’impertinence. On résiste à la noirceur avec ses armes. Il y a aussi le fait que dans la très riche littérature de montagne, le genre humoristique n’était pas fortement représenté pour un tas de raisons (nous y reviendrons sans doute ?...). Evidemment les Livanos, Potard, Aubry ne m’ont pas attendu pour briller mais il y avait encore une petite place pour mes mots dans cette case parfois désertée. Enfin, le choix de l’humour n’est pas une fin en soi. Faire de l’humour pour faire de l’humour, ça fait pschitt en plus d’être inintéressant à pratiquer. Mais user du rire pour asséner quelques vérités sérieuses et secouer les certitudes, là ça devient intéressant. Je ne sais plus qui disait « celui qui ne sait pas rire ne doit pas être pris au sérieux ». C’est bien vrai non ? La légèreté ce n’est pas de l’inconséquence ou de l’irréflexion, c’est une prise de distance, un décalage optimal pour observer notre monde et faire miroir. Comment t’est venue l’idée d’écriture de ton dernier livre Que sais-je ? L’alpinisme ? * C’est marrant que tu dises Que sais-je ? car le véritable titre est Qu’ignore-je ? mais ça ne m’étonne pas tant avec les éditeurs (François et Françoise Damilano) nous sommes allés loin dans le pastiche de la fameuse collection Que sais-je ?. L’idée est venue après la sortie du premier livre (le Dico Impertinent de la Montagne, même éditeur, JMEditions). Ce premier opus, le Dico, était destiné essentiellement aux pratiquants de la montagne (même s’il fonctionne avec tous publics, il va d’ailleurs être réimprimé, on est vraiment content !) et j’avais l’impression que certains leviers humoristiques pouvaient échapper aux profanes. Il fallait ensuite trouver une forme, un cadre. La collection des Que sais-je ? conçue au départ pour éclairer le plus grand nombre sur un thème donné est venue tout naturellement comme inspiration et j’en ai donc repris certains codes. Trouvant plus drôle de considérer ce qu’on ne sait pas plutôt que ce que l’on sait déjà, l’ignorance toute factice a fait le titre. Le Qu’ignore-je ? est ainsi né, pour le béotien comme pour l’hyper spécialiste qui trouvera lui aussi matière à rire, je l’espère en tout cas. (* Montagnes Reportages exprime ses plus plates (pas trop quand même vu le sujet pointu) excuses à l'auteur et son éditeur devant ce lapsus.) Comment expliques-tu que l’humour ne soit pas légion dans la littérature de montagne ? La montagne est-elle un sujet bien trop sérieux ? Là, on est en pleine thèse de IIIème cycle de sociologie ou d’anthropologie ! Ajoutée à cela la dialectique de la vie et de la mort qui s’invite souvent en montagne d’où des récits mettant en scène des surhommes nietzschéo-wagnériens et autres héros parfois... autoproclamés. Donc oui il y a la place pour des récits heureux et rieurs. Il faut revendiquer cette place et la défendre car « l’esprit de sérieux, on en crève et particulièrement quand il s’agit d’alpinisme » comme dit J-C Rufin dans la préface. Enfin, soyons rassurés... tenter de rire avec les mots ne signifie pas que l’on pratique la montagne sans rigueur, concentration ou minutie. L’objectif est quand même que tout ça dure le plus longtemps. Tu sembles aimer beaucoup les mots… D’où te vient cette flamme ? La flamme, c’est pouvoir exprimer avec justesse ce que l’on ressent pour l’autre et ce que le monde nous inspire. Etre adapté, être précis, être nuancé. Quand on écoute les anciens - sans passéisme stérile - même ceux sans formation scolaire poussée, on perçoit un vrai respect des mots et de leurs significations. Sans doute la tradition orale et écrite. Ça se perd et on doit lutter contre cet appauvrissement. Au quotidien. Ça ne signifie pas parler ou écrire savamment en usant pompeusement de l’imparfait du subjonctif mais simplement, de façon adaptée. Le mot courage par exemple... Il est employé à tours de bras pour décrire nos activités d’alpinistes et les qualités dont nous faisons preuve. Mais comment qualifier alors la force morale des combattants du terrorisme en Syrie ou ailleurs ? Du courage oui évidemment mais alors songeons à un autre terme pour nos amusements en montagne. Tu observes les alpinistes avec une grosse loupe. Arrives-tu à être encore surpris par tes découvertes sur ces drôles de petites bêtes ? Oui, heureusement ! Une fois dit ça, il est quand même sain de sortir de temps à autre de notre milieu car comme dans tout milieu, la typologie d’individus, de caractères et de trajectoires est assez réduite. Le « sociotype alpinistique » est finalement assez peu varié. On se ressemble un peu tous, même microdoudoune, même fourgon, même morphologie, même verbiage, mêmes boulots, mêmes CSP, mêmes aversions, même tendances monomaniaques... Il est bon d’aller voir ailleurs et de se métisser les méninges... Pour mieux y revenir. Il y a peu, tu as écrit un dico (certes impertinent…). Qu’en ont pensé les membres de l’Académie Française ? Je t’avoue que mes contacts avec les Immortelles et Immortels sont assez... réduits. Ils semblent bien vivre sans moi et mon nom doit autant leur parler qu’un Camalot C4 ! Quoi qu’il en soit la très fugace et indirecte rencontre avec Monsieur Rufin a été plaisante et signifiante à mes yeux. Je ne te parle pas de son CV doré mais de la connaissance du Monde qu’a ce type et de ses éclairages souvent brillantissimes. Belle histoire en tout cas, comme en réservent l’écriture et la montagne. Mais avant que j’égale ses ventes d’Immortelle Randonnée chez Guérin, on a le temps de connaître plusieurs âges glaciaires... Que penses-tu des nouvelles règles d’orthographe préconisées récemment ? Je vais jouer au bon réac hostile à tout changement mais je n’en vois pas bien l’intérêt. Je vois une analogie entre l’évolution de notre langue et celle des pratiques alpines. On va te dire que c’est pensé pour permettre au plus grand nombre de communiquer, particulièrement ceux et celles ayant peu de moyens pour maîtriser le français. Là encore, mon expérience de prof m’a montré que les moins chanceux ou les moins légitimes redoublent d’efforts et honorent notre langue par leur persévérance à la maîtriser. As-tu d’autres projets d’écriture ? Oui. Pour ce qui est des livres à venir, il y a bien quelques idées qui trottent dans la tête. A murir.
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