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Bien qu’ayant toujours habité depuis sa naissance au pied des montagnes, rien ne prédisposait Martin Elias à devenir guide de haute montagne, si ce n’est la rencontre déterminante de quelques personnes qui lui insufflèrent une passion grandissante pour l’escalade. Passionné par l’ouverture, Martin a ouvert pas moins d’une cinquantaine de voies … Une interview exclusive pour Montagnes Reportages |
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Montagnes Reportages : Tu es originaire de Logroño en Espagne. Ça se situe où ?
Martin Elias : Dans une petite région qui s'appelle la Rioja située entre les Pyrénées et Picos de Europa, juste en bas du Pays basque. ![]() Ta famille pratiquait la montagne ? Ma famille était issue de la vague hippie des années 68. Nous avons toujours vécu dans des endroits très éloignés et je suis né dans un ermitage à 1500 m d'altitude situé à 10 km du village le plus proche. C'est ici que j'ai vécu les trois premières années de ma vie et je pense que ça m'a beaucoup marqué pour le futur. Je commençais à grandir et nous avons déménagé dans un petit village un peu plus proche de Logroño pour que je puisse être scolarisé. Ça n'a servi à rien... ni pour mon frère d’ailleurs ! On a donc toujours été élevé dans les montagnes. Mon père est anthropologue et c'est un passionné de montagne. Mes parents aimaient bien la nature, ils pratiquaient la randonnée avec nous mais ils ne faisaient pas d’alpinisme. Quels ont été tes débuts en escalade ? J'ai connu l'escalade grâce à mon frère Simon. Il avait dix-huit ans à l’époque. J'avais une douzaine d’années la première fois que j'ai commencé à grimper. Je faisais un peu de rappels avec un de ses copains dans les nombreuses falaises locales proches de la maison. On y trouve aussi des petites montagnes de 2200 m d'altitude pour la plus haute. On a été « élevé » par les grimpeurs très connus de la Rioja, comme Jordi Corominas, German Bahillo, Felix Santisima et Santiago Palacios. En Espagne, ils étaient un peu les représentants du style alpin. Il y a quelques années, Jordi Corominas a par exemple grimpé en solitaire Magic Line au K2. C’est à partir de ce moment-là que tu t’es mis à grimper plus sérieusement ? Je « grimpouillais » un peu. J'ai surtout passé l'adolescence à faire la fête avec les copains. Mon frère commençait alors à faire des voies d'escalade un peu plus dures et parfois il m’emmenait. Mais c'est surtout lorsque j'ai déménagé à Pau vers 2005 pour faire des études chez les compagnons de charpente que j'ai commencé à m'intéresser sérieusement à l'escalade. Par l'intermédiaire de copains mutuels, j'ai rencontré Christian Ravier, un pyrénéiste passionné d'ouvertures. Quand Christian ne travaillait pas le week-end, il m'emmenait grimper. On a tout de suite commencé à ouvrir des voies. C'était très sympa de grimper avec lui. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment pris le goût pour l'escalade et surtout pour l'ouverture d'itinéraires.
Ça a été exceptionnel car j’étais avec un des plus grands ouvreurs d'Europe. Je ne m'en suis rendu compte que quelques années plus tard. Tu es toujours en contact avec lui ? Oui, bien sûr. Je suis venu m’installer à Pau quelques mois après la mort de son ami de cordée, Bunny (Rainier Munsch). Sa disparition lui a été très difficile à vivre. Tout ça a fait qu’il m'a pris par la main à ce moment-là et qu'on est devenu une cordée inséparable pendant quelques années. Qu'avez-vous ouvert comme voies ? On a ouvert plus de 50 itinéraires dans tous les niveaux. On était passionné par l'ouverture, avec toujours cette optique d’utiliser le moins de spits ou de matos fixe. C'est dans la culture des pyrénéens de ne pas mettre de spits. On est allé ouvrir des itinéraires au Maroc, en Turquie, en Jordanie... A chaque fois on essayait de repérer une paroi vierge pour ne pas exploiter des voies déjà ouvertes à proximité. Notre grand jeu était de trouver la ligne la plus facile et la plus logique dans une paroi difficile. C'était ça notre idée d'ouvertures et ça l'est d'ailleurs toujours. Ouvrir une voie à côté d'une autre voie déjà ouverte en rajoutant des spits ne nous intéressait pas du tout. Trouve-t-on encore beaucoup de lignes à ouvrir dans les Pyrénées ? Il y a encore énormément de voies à ouvrir, notamment en rocher et en mixte. Je suis parti des Pyrénées avec plein de projets en tête et je me renseigne tout le temps auprès des copains sur place pour savoir si des lignes sont formées pour pouvoir y aller si c’est le cas.
Je trouve que c'est complémentaire. Dans les Pyrénées, on est plus axé sur le rocher parce que la saison d'hiver dure juste trois mois. A l'époque, on était donc très fort en escalade pure sur rocher parce que le climat permettait de grimper à mains nues presque huit mois par an. A Cham, tu peux grimper à mains nues sur du rocher seulement trois ou quatre mois par an. Mais bien sûr, si tu es un fanatique du rocher, tu peux partir ailleurs pour aller grimper au soleil. Mais la plus grande différence que je trouve entre les Pyrénées et les Alpes est que lorsque tu finis une voie dans les Alpes, tu arrives toujours au refuge. Alors que quand tu finis une voie dans les Pyrénées, tu arrives toujours au bar ! Les pyrénéistes semblent discrets dans leurs réalisations... L'escalade dans les Pyrénées est moins médiatisée. Il n'y a pas là-bas ce côté médiatique que l'on trouve ici avec les sponsors, les autocollants partout... Dans les Pyrénées, c'est plutôt la grimpe entre copains. Ce sont souvent des gens inconnus, très discrets qui aiment profondément leur montagne. Qui pratiquait la montagne en Espagne il y a quelques décennies ? En Espagne dans les années 80, les gens allaient en montagne pour trouver un bout de liberté et des valeurs auxquelles ils croyaient encore. Ils étaient un peu des hippies qui fuyaient la civilisation du monde moderne. Et France, il y avait déjà une culture montagnarde depuis l'ascension du Mont-Blanc. Et à cette époque, c'était quand même les gens qui avaient un peu d'argent qui pouvaient accéder à la montagne. En Espagne, seuls des gens très pauvres allaient en montagne. Ça n'a pas été trop difficile pour toi de quitter tes chers Pyrénées ? Pas trop même si ça a été quand même un grand chagrin d'amour. Mais j'étais forcé de partir pour la formation de guide. J'ai donc déménagé à Cham et c'était évidemment un univers complètement différent au niveau éthique et culturel. Mais après, c’était un nouveau milieu à découvrir et j’avais une nouvelle vie qui commençait dans des montagnes et des voies que j'avais toujours rêvé de faire.
Avant, j'étais charpentier et j’étais passionné par ce métier. Mais il y avait plein de jours où je me trouvais sur un toit et je regardais la chaîne des Pyrénées. Je me disais finalement que je préférerais être en montagne que sur un chantier. C'est à l'époque où je vivais dans les Pyrénées que j'ai décidé de devenir guide. Mon frère était déjà guide et m'avait transmis sa passion. J’accompagnais aussi souvent Christian Ravier avec ses clients. Il me montrait comment on gérait une cordée, etc. Comment s'est passé ton proba ? En 2012, je faisais partie de l'équipe espagnole d'alpinisme quand j'ai passé le proba pour la première fois. Je suis arrivé à Cham avec mon petit camion et je dormais sur le parking. Quand je suis rentré dans la benne, je me suis vite rendu compte que je n'étais pas prêt pour le proba. En regardant autour de moi, je voyais tous mes futurs collègues - des monstres - qui avaient des patins de 110, 115 et même 120. Moi j'avais des skis de 70. Là je me suis dit Oups !... je ne suis pas au point au niveau matos ! Ça n'a pas raté et je l'ai loupé. Je l'ai repassé l'année d'après et je l'ai eu. Tu as toujours ton petit camion ? Non, non. (Rires). Je l'ai cassé. Maintenant j'ai une Ford Escort de 1981. Très collector je vois… Je suis surtout radin, je ne l’ai pas payée chère. (Rires) Devenu guide, quelle a été ta première course ? Ma première course a été un Mont-Blanc. J'ai eu ma titularisation d'aspi le vendredi soir et le samedi matin j'étais au sommet avec un client.
Au début j'ai commencé comme tous les nouveaux guides à faire des Mont-Blanc. La première saison, tout s'est passé très vite et j'ai eu rapidement de très bons clients d'accord pour me suivre et sortir des chemins tracés autour de Chamonix pour leur faire découvrir des endroits très intéressants. J'emmène toujours mes clients dans des endroits que j'ai aussi envie de découvrir pour qu'il y ait un partage des émotions entre nous. Maintenant, j'ai une clientèle qui s'agrandit petit à petit. Ce sont des clients fidèles qui m'appellent tous les ans et on fait des choses sympas ensemble. Dans les Pyrénées, as-tu des petits coins de prédilection où tu retournes régulièrement ? La mecque de l'escalade en glace dans les Pyrénées reste pour moi le cirque de Gavarnie. Après il y a Ordesa pour l'escalade en rocher et la Peña Montañesa, un endroit où j'ai longtemps vécu. Tu as aussi ouvert des voies très difficiles dans le cirque de Gavarnie… Le cirque de Gavarnie est un lieu où j'ai beaucoup grimpé. Je le connais très bien. En février 2011, avec Unai Mendia et Albert Savado, on a ouvert Memento Mori, une voie au troisième étage du cirque. L'approche est déjà difficile car il faut d'abord grimper le premier étage puis le deuxième étage, ce qui fait 800 m d'escalade pour déjà arriver au pied de la voie. A son départ, il y a deux longueurs très dures de rocher, une longueur en 7a et une longueur en 7c. Après, il y a trois longueurs de mixte sur un filet de glace très mince et très fin avec des petits placages. Tu peux aussi y accéder à pied par la brèche de Roland mais on voulait vraiment le faire du bas quand on l'a ouverte. Il y a encore des secteurs à ouvrir dans le cirque de Gavarnie ? Il reste encore des lignes à ouvrir mais il faut des bonnes conditions. On a essayé d'ouvrir une voie à gauche d'Overdose. Têtus, on ne voulait pas ouvrir avec la perceuse et on ne voulait pas non plus bivouaquer dans la paroi. Du coup on y est allé trois fois mais dans la dernière fois, on a finalement emmené la perceuse. On a mis quelques spits et on a trouvé que c'était un peu moche. On s'est alors sentis très mal avec nous-mêmes et du coup on est redescendus.
J'aime bien les montagnes qui sont raides, techniques et difficiles. C'est une face qui me fascine de plus en plus mais ce n'est pas du fétichisme. C'est simplement que je la connais de plus en plus. En 2014, il y avait surtout des bonnes conditions et on a pu y faire en un mois trois voies d'affilée. Une avec Korra Pesce, la deuxième avec Damien Tomasi et la dernière avec Rémi Sfilio. En tout, j'ai grimpé six voies dans les Grandes Jorasses. Maintenant j'aimerais bien aller à la pointe Margherita que je ne connais pas car il y a une voie qui m'intéresse. 12 Septembre 2014 : première ascension à la journée de la voie Gousseault-Desmaison avec Damien Tomasi... Je m’entends très bien avec Damien, ce qui a fait que l’ascension a été très fluide. Mais il faut toujours se dire qu’on l’a fait dans les conditions de l'année 2014. C'était exceptionnellement formé. Ce n'est pas qu'on soit des machines de guerre, et on est peut-être des bons alpinistes mais vu les conditions du moment, il se trouve qu'on a pu la faire dans la journée. D'ailleurs, les quelques cordées qui nous ont suivis l'ont aussi faite à la journée. Il y a une émotion de grimper dans une telle voie historique ? Dans cette voie en particulier, il y a une très grande émotion parce que lorsque tu as lu le récit de Desmaison, tu évolues dans des passages qu'il a déjà décrits dans son bouquin. Ça fait des drôles d'émotions. Il y a encore le réchaud de Gousseault et Desmaison mais on ne l'a pas vu car il était dans la neige. Et très proche du sommet, il y a un sac à dos d'une tentative japonaise. Tout ça est émouvant. Répétition les 26 et 27 septembre 2014 de la Directe de l'Amitié avec Korra… Nous l'avons faite en deux jours avec un bivouac en paroi. Un bivouac qui a été pour moi le plus inconfortable que je n’ai jamais fait. Cette voie a été beaucoup plus dure que la Gousseault-Desmaison. C'est une voie pas du tout connue passée dans l'incognito. Elle a été ouverte en 1974 par Louis Audoubert, Michel Feuillarade, Marc Galy et Yannick Seigneur quelques mois après l'ascension du couloir nord des Drus par Cecchinel et Nominé. Cette Directe de l'Amitié est alors passée un peu en arrière plan.
À la pointe Whymper, au milieu, dans l'endroit le plus évident de cette énorme paroi déversante. Dans cette paroi très difficile, les ouvreurs ont réussi à trouver un itinéraire le plus évident et facile possible. C'est une voie qui est très peu répétée. Je pense qu'on a fait la cinquième ascension. Une cordée l'avait aussi répétée en deux jours au mois de juin. C'est vraiment dur, avec des longueurs déversantes, d'artif où le rocher n'est pas très bon. Il faut donc toujours la faire en hiver au risque sinon de recevoir des pierres. Comment vous-êtes vous partagés la voie ? Vu que Korra est plus fort que moi en dry, je lui laissais faire le plus difficile dans cette discipline et je faisais les longueurs les plus dures d'artif. Les cotations que l'on a faites ont été M8 A2. Et on met A2 parce qu'on veut respecter la cotation des ouvreurs. Quand j'en parlais au téléphone avec Audoubert, Il me disait : « Tu verras... c'est un A2 un peu particulier ! ». Parce qu'il savait que c'était de l'artif très dure. Effectivement, j'ai trouvé ça un peu compliqué. Il fallait un petit peu pitonner et poser des coinceurs d'une manière délicate. Comment caractériserais-tu cette voie ? Il y a dans cette voie tout ce que j'aime. C'est raide, long, dur, le rocher n'est pas très bon et surtout c'est une voie où tu ne trouves pas d'infos. Tu y vis un peu les aventures des premiers ascensionnistes. Contrairement à une Walker ou une Mc Intyre où tu peux voir presque tous les passages via des photos ou vidéos sur Internet, ce n’est pas le cas de cette voie. C'est pour ça que Korra et moi avons publié très peu de choses sur cette ascension. On a annoncé l'ascension mais nous n'avons pas donné d'infos sur cette voie afin de respecter les autres personnes qui voudraient vivre la même aventure dans cette face.
J'ai déjà grimpé au Cervin. J'ai fait la face nord et les arêtes classiques. Mais c'est surtout la face nord de l'Eiger qui m'intéresse. J’y ai déjà fait des voies mais j'aimerais spécialement faire maintenant la Directissime Harlin et The Young Spider. L'aventure du Dodtour a été une belle expérience pour toi ? Oui, c'était génial. Malheureusement je n'ai pas pu finir avec lui et Morgan (Périssé) car je devais passer le probatoire d'été. J'ai juste fait la moitié de la traversée, de la mer Cantabrique jusqu'au cirque de Gavarnie. J'étais un grimpeur, passionné du vertical et avec cette traversée, ça m'a un peu donné le goût de l'aventure en se fichant complètement de la difficulté des choses. Suivre la frontière était pour moi au début une aventure stupide mais c'est finalement devenu un fil conducteur génial. En tant qu'anarchiste, c'était très rigolo de suivre dans les Pyrénées une frontière qui n'a jamais existé car il y a toujours eu des échanges culturels et économiques entre les deux pays. C'était très intéressant et ça a été un beau moment de pouvoir partager cette culture des Pyrénées avec Dod, et aussi un peu avec le monde entier parce qu'il a fait un super film sur cette aventure. As-tu un groupe d'amis avec qui tu grimpes régulièrement ? Dans les Pyrénées, mon grand compagnon de cordée était Christian Ravier. Maintenant dans les Alpes, c’est Korra. On s'entend très bien car on a la même vision sur la réalisation d'une escalade en partant très léger et en allant très vite. On se fout des prouesses. On n'est pas là pour faire tout en libre mais pour aller vite. Bien sûr, la meilleure façon d'aller vite est de faire tous les mouvements en libre. Mais s'il y a des moments où il faut tirer sur un point, on le fait. Nous sommes des alpinistes qui voulons juste arriver au sommet vivants et le plus vite possible. As-tu l'occasion de faire des expéditions ? Récemment avec mon frère, j'étais au Tibet avec des clients autrichiens. Ça fait trois ans qu'on grimpe ensemble avec eux. On a pu gravir deux sommets vierges de 5600 m. C'était la première fois que j'allais dans cette région. J'étais déjà allé en Himalaya, au Pakistan pour ouvrir des voies en rocher dans la région du K6. J'ai aussi beaucoup voyagé avec les équipes nationales espagnoles, comme dans la Cordillera Huayhuash au Pérou ou en Jordanie. Je suis allé également en Patagonie. Maintenant, je commence à faire des petites expés entres amis parce que mon budget a augmenté. Le mois de mai prochain justement, je pars en Inde avec Korra et Damien pour essayer de répéter une voie ouverte au Bhagirathi III en 1983, Estrella Imposible. J'imagine que tu as changé de taille de patins de skis maintenant ? Exactement ! (Rires) |
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