Antoine Bletton fait partie de l'élite montante de l'alpinisme de haut niveau. En 2012, il a rejoint le prestigieux groupe militaire de haute montagne, le GMHM. Aujourd'hui, vendredi 21 août 2015, il s'envole avec son groupe pour la face sud de l'Annapurna afin d'y faire des repérages... ou plus si affinités !

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Antoine Bletton
(sauf mentions contraires)

Montagnes Reportages : Ce sont tes parents qui t'ont fait découvrir la montagne ?

Antoine Bletton : Je suis originaire d'Ugine en Savoie. Mes parents avaient un camping-car et on partait souvent en vacances avec d'autres copains à eux et leurs enfants dans les massifs de Savoie ou Haute-Savoie. Pas très loin de la maison, pas très exotique mais c'est des souvenirs tops !
On faisait de la rando à pied, un peu de grimpe en falaise, des via ferrata et quelques grandes voies faciles. Ensuite au lycée d’Ugine, il y avait une section escalade où je me suis mis à grimper plus sérieusement et c'est en même temps que j'ai commencé le ski de randonnée.

Quels étaient les grimpeurs ou alpinistes qui t’ont influencé quand tu as commencé à faire de la montagne ?

Au lycée, mon père m’a inscrit au CAF de Faverges. Il n’a pas trop la mentalité CAF (sans aucune méchanceté pour les cafistes) mais c'est là que j'ai rencontré des gens de mon âge dont certains un peu plus âgés, avec qui j'ai commencé à grimper et aller en montagne, notamment Fred Bibollet. Après mon père, c'était mon idole. Je n'avais pas le permis. Alors il prenait sa voiture et m’emmenait grimper. Pour moi c’était une star : il avait fait un 8000, des voies dures dans les Alpes et il était super modeste avec une belle approche de la montagne. Il n’a jamais voulu passer le guide pour garder cette passion intacte et vraiment se faire plaisir en montagne.

Au CAF de Faverges, Pierre Tardivel est venu faire une présentation de ski de pente raide. Il y avait des petits films dont un sur les Aravis et un autre sur la face Nord de l'aiguille du Midi à Chamonix avec Marco Siffredi.

J'étais complètement fan après ça et je ne voulais faire que du ski de pente raide. Au lycée un peu plus tard, j'ai adopté le style « piercing et cheveux fluo » pour ressembler à Marco avec aussi le bandana rouge autour du cou pour ressembler à Jean-Marc Boivin.

Avec le recul, je trouve ça un peu idiot mais c'était mes idoles à l'époque ! Plus tard j'ai intégré le CAF Excellence Alpinisme et j'avais comme formateurs Christophe Moulin, Titi Gentet, Steph Benoist, Patrice Glairon-Rappaz... J'étais un peu plus mature et moi impressionnable. Ils n’étaient pas des idoles mais ils ont eu une forte influence sur ma vision, ma pratique de la montagne et plus généralement sur ma vie.

A quel moment as-tu décidé de devenir guide de haute montagne ?

C'est marrant parce que ado je voulais tout faire sauf devenir guide et moniteur de ski. Finalement c'est exactement ce que je suis devenu et j'en suis très content. Ça marchait pas mal à l’école alors après l’IUT à Annecy, j’ai choisi une école d’ingénieur à Grenoble dans les risques naturels (Polytech Grenoble) en section géotechnique parce qu'il y avait des cours de nivologie. Je voulais travailler sur les avalanches.
Finalement, on a fait 2×4 heures de nivologie en troisième année d’école et un milliard de cours sur la résistance des matériaux, la géologie, la mécanique des sols... Je n’étais pas vraiment un élève brillant !
J’ai fini mon école et mon diplôme d’ingénieur et je me suis rendu compte pendant mon stage de fin d'études que ce n’était pas trop mon truc ! Le même été, j’ai réussi le proba de l'Aspi et j'ai attaqué la formation. Pendant le stage hivernal de l’Aspi 2, on a fait de la nivologie sur le terrain, on a appris à conduire un groupe en hors piste, à gérer les risques... Je me suis dit : « C’est dément… c’est ça que je veux faire ! ».

Tu es adepte des grandes courses. Qu’est-ce que tu y trouves de spécifique ?

J’aime le côté complet des grandes courses. On utilise toutes les facettes de l’alpinisme, une longue approche, des longueurs plus techniques en rocher, une sortie mixte... il faut savoir tout faire !
J’aime bien la phase de préparation d'une grande course, quand tu y réfléchis la veille… qu’est ce que je vais mettre dans mon sac… essayer d’optimiser ! A la fin d'une belle et grande course en montagne, je suis content par exemple, quand j'ai utilisé tout le matériel, tous les vêtements et quand j’ai fini toutes les vivres de courses sans avoir manqué de rien ! C’est un peu idiot mais je me dis : « Ah cool ! bien optimisé, bien préparé ce coup-ci... ».

Comment as-tu commencé le ski de pente raide ?

J’ai fait pas mal de ski en club et de la compétition quand j’étais enfant et ado. Je n'ai jamais été un cador, mais ça m'a donné des bonnes bases techniques. Vers 16 ans, j'ai commencé le ski de rando et ça m'a vraiment motivé surtout pour les couloirs qu'il fallait remonter en piolet/crampons. Le ski de pente raide, c’est un délire sympa. Tu dois vraiment être concentré et à l'écoute des conditions de la montagne. J’ai fait quelques expés de ski au Pérou en 2007, en Alaska en 2010 et au Pakistan en 2013. Maintenant j'ai un peu moins de projets à skis et je fais moins de sorties mais ça reste vraiment une pratique de la montagne que j'apprécie beaucoup.

As-tu un terrain de prédilection ?

Je n'ai pas de terrain de prédilection et j'essaie de ne pas être trop mauvais partout ! Ça me gonflerait de faire que du ski, que de la glace ou que du rocher pendant un an. J'aime bien profiter des différentes conditions de la montagne avec différents jouets (skis, chaussons escalade, piolets...) en fonction des saisons et des conditions !

 

Champion de France militaire d'escalade en 2014… ça a été difficile d'obtenir le titre ?

Le championnat de France militaire d’escalade est un événement vraiment sympa. Il est organisé par l'Ecole militaire de haute montagne à Chamonix tous les ans en novembre.
J'ai déjà participé en 2012, 2013 et l'année 2014. En 2012 et 2013, je revenais juste d’expés (Kamet en octobre 2012 et Shishapangma en octobre 2013). Je n'avais quasiment pas grimpé depuis six mois entre la préparation des expés et les deux mois sur place. C’était sympa comme compète mais j'avais la sensation frustrante de ne pas donner le meilleur de moi-même. De ne pas pouvoir me battre.

En 2014, je n’ai pas fait d’expé en automne. J'ai repris la grimpe en juin en revenant du Shisha et je me suis pas mal entraîné, pas mal amélioré. J'ai fait mon premier 8b en falaise, mon premier 8a à vue et je me suis fixé comme objectif d'aller en finale au CFME, donc finir dans les huit premiers.
Pas mal de forts grimpeurs militaires était absents à la compétition. Notamment Dim Munoz et Arnaud Bayol du GMHM, mais aussi la Truite et Fabien Dugit du PGHM. Je me suis dit qu'un podium était jouable.

En qualif et en demi-finale, j'étais assez bien, sans pression et je me suis donc qualifié pour la finale. Objectif atteint, le reste n’était que du positif. En finale, j'ai bien mieux grimpé que ce que j'imaginais et je me suis régalé. Je gagne d’une prise... Vraiment serré ! En fait je pense que j'aurais adoré la compétition d’escalade si j’avais commencé étant gamin.

Tu es au GMHM depuis 2012. Comment s'est passée l'intégration dans le groupe ?

J’habite Chamonix depuis 2010 en colocation avec Sébastien Ratel. Je voyais son quotidien au GMGM, les mauvais côtés (comme dans n'importe quel travail) et surtout les côtés déments, du temps, des moyens pour s'entraîner et s'investir à fond dans les projets. Il m'a dit qu'une place de « jeune » se libérait dans le groupe et que j'aurai un assez bon profil. Je ne le croyais pas trop et je me demandais si j'avais le niveau.

J’ai aussi grimpé avec Sébastien Bohin et Dimitri Munoz également du GMHM qui m'ont dit la même chose. J’ai commencé à me poser sérieusement la question. Je voulais être sûr à 100 % avant de postuler. Finalement je me suis présenté aux sélections. Il y avait de la grimpe en salle, du dry-tooling, du ski de randonnée et surtout un entretien de motivation devant les dix membres du GMHM.

Après les sélections, ils ont décidé que j'avais le meilleur profil, en tout cas celui qui correspondait le mieux à ce qu’ils cherchaient. Trop content, c'est une chance énorme d'appartenir à ce groupe !

Les projets du moment (haute altitude en style alpin) me bottent à fond. L'équipe est démente, la moitié de mes collègues de travail sont des supers copains avec qui je grimperais même si je n'étais pas dans le groupe. Et surtout, l'état d'esprit est hors normes. Nous visons vraiment des projets de groupe ou l'équipe est plus importante que l’individu seul, un peu comme l'équipe nationale jeune d'alpinistes. Je m'y retrouve parfaitement.

L'intégration s'est très bien passée, nous sommes partis en expé au Kamet deux mois après mon arrivée dans le groupe. Même si je ne faisais pas partie de l'équipe qui a ouvert une voie démente, un vrai bijou dans un style impeccable, j'ai beaucoup appris et trouvé ma place dans l'équipe. Aujourd'hui, ça fait trois ans que je suis dans les rangs du GMHM. Ma pratique, mon approche de la montagne s'est bonifiée et me permettent d'envisager avec les autres membres des projets de haut niveau en expédition.

As-tu un groupe d'habitués avec qui tu grimpes régulièrement ?

Je passe la plupart de mon temps à grimper et à aller en montagne avec mes collègues du GMHM. Je pense que c'est une de nos forces. Nous nous connaissons au quotidien, dans les moments sympas mais aussi dans le dur, ce qui permet d'envisager les gros projets bien flippant en expé, avec plus de sérénité.
J'aime aussi passer du temps avec d'autres potes qui sont hors du GMHM : Damien Tomasi, Pierre Labbre qui sont guides à la compagnie de Chamonix. Mes potes préférés restent les copains crétins du Te Crew : Alex Marchess ou en tête, Jean Rem, Lucho Mongellaz, Flo Gex, Lambert Galli... J’ai fait une expé avec eux au Pakistan : du bonheur en barres ! Enfin, ma femme Ena est bien à fond dans la montagne ce qui nous permet de passer pas mal de temps ensemble... un bon moyen de concilier entraînement et vie de famille.

Quels sont les petits coins que tu affectionnes particulièrement dans la vallée ?

Je deviens un peu snob et ça me gonfle de faire la queue dans des itinéraires sur-fréquentés ! Grimper dans la face nord des Grandes Jorasses avec 5 cordées au-dessus s'éloigne complètement de ma conception de la montagne.

En cherchant bien et en changeant un peu d'approche, on trouve des coins vraiment sympas et tranquilles, même à Chamonix et même entre le 14 juillet et le 15 août.

Tu as déjà fait pas mal d’expés… Lesquelles t’ont le plus marqué ?

J’adore les expés, c'est un des rares moments de l'année où je prends du temps pour moi, pour me poser, pour réfléchir : Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? Sans rire, c’est génial de visiter plein de pays. Connaître des nouvelles cultures et surtout voir les plus belles montagnes de la Terre.

J'ai adoré le Tibet. Les montagnes et les paysages sont fabuleux. J'ai énormément aimé le Pakistan, ses gens et les montagnes sont démentes. Pour moi, c'est le futur des expés même si la situation géopolitique est très tendue !

Mais mon expé préférée reste le Kenya en 2011, avec mes copains du GEAN, Dim Messina, Simone Duverney, Jib Deraek, Toto Arfi... C'était plus en voyage qu'une expé et on a fait un super beau big wall en libre au Mont Poï, une très belle voie classique sur le mont Kenya et des soirées de dingue à Nairobi. Une expé qui restera pour longtemps dans ma mémoire.

Tu pars justement à l’Annapurna aujourd'hui… Que vas-tu y faire ?

Le projet est d’ouvrir une nouvelle voie en face sud de l’Annapurna. C'est un gros projet qui fait bien peur... mais la maturité, l'expérience et les compétences gagnées ces dernières années d'expéditions me permettent d'envisager ce projet assez sereinement.

En fait on s'est rendu compte que sur les très grosses montagnes, il faut avoir beaucoup de chance ou un niveau de dingue pour réussir du premier coup. Nous y allons pour voir, pour repérer, pour s’imprégner de la face.

C'est sûr que si les conditions et la motivation de l'équipe sont réunies, nous ferons une tentative... mais c'est plus une expé de repérage.

Tu étais au Népal en avril lors du séisme. Comment as-tu vécu la situation sur place ?

Un moment dur... Je me suis senti vraiment proche de la mort. Je n'arrive pas à comprendre comment nous y avons échappé. Nous étions sur une petite route de montagne avec ma femme Ena au moment du séisme. Des blocs énormes se sont mis à tomber de partout. 10 m en amont et nous étions aplatis, 50 m en aval et nous étions écrabouillés ! Je pense que ce n’était simplement pas mon heure.

Vivre cette situation sur place et voir le décalage entre ce que disaient les médias et la réalité m’a presque fait vomir. J'ai de la peine pour le Népal et j'encourage tous les gens à aller en expé, en trek ou juste en voyage au Népal. C’est la meilleure aide qu'ils peuvent leur apporter.

As-tu d'autres projets en vue ?

J'ai pas mal de petits rêves/projets un peu idiots...

Faire un double back flip en ski.
Faire un 8c réputé morpho, trouver une méthode de nain et redescendre en disant c'est pas si dur que ça !
Skier un 8000 avec ma femme et les punks du Te Crew.
Faire des enfants pour aller grimper et skier avec eux.

> Le blog d'Antoine Bletton ici

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