Korra Pesce est un accro du mixte et des grandes voies glaciaires où il excelle particulièrement.
Il vient de répéter il y a quelques jours Rolling Stones dans la face nord des Grandes Jorasses. Portrait express d'un jeune guide à l'avenir prometteur...

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Korra Pesce
(sauf mentions contraires)

Montagnes Reportages : Tu viens de quel coin ?

Korra Pesce : Je suis italien. Je viens de la région du Piémont entre Turin et Milan. On habitait à une heure du mont Rose et on faisait beaucoup de randonnées dans les vallées avoisinantes quand j'étais petit. Jusqu’à l'âge de 16 ans, je ne faisais ni d’alpinisme, ni d’escalade, ni de ski.

Quels étaient tes modèles de grimpeurs quand tu étais tout jeune ?

Déjà, je n'avais pratiquement que des livres d'alpinisme dans ma bibliothèque et j'en ai beaucoup bouffé ! J'avais des livres d’alpinistes connus, et c'est amusant d'avoir pu côtoyer ces personnes à l’ENSA. Bonatti m'a énormément marqué dans ma pratique de la montagne. Beaucoup d’alpinistes pas forcément connus m’ont influencé et fasciné.

Quand es-tu arrivé en France ?

En 2001 et 2002, j'ai passé tout ce temps à Chamonix. Je me suis dit, tant qu'à habiter en montagne, autant habiter à Chamonix car il me semblait que c’était l'endroit le plus intéressant pour moi. J'étais impressionné par la vallée de Chamonix depuis que j'étais petit, ce qui n’était pas le cas des vallées italiennes.

Tu avais déjà l'idée de faire un métier de montagne ?

Oui mais l'urgence avant tout était de pouvoir m'installer à Chamonix. J'étais jeune, alors soit je trouvais un travail et à ce moment-là je pouvais trouver un logement, sinon c'était râpé car je n'allais pas faire du camping sauvage pendant des mois !

Au début, je parlais à peine le français. Un anglais pouvait à la rigueur trouver un travail plus facilement ici mais moi je n’étais pas anglais ! Chamonix était un peu différent il y a quinze ans. On était donc en 2004 et j’espérais déjà pouvoir rester. A cette époque, j'ai souvent travaillé au refuge Torino où je savais que je pouvais y aller quand je voulais. Puis vers 2005, j'ai commencé à travailler assez facilement dans des magasins de sports de Cham. C'était intéressant, j'ai travaillé six ans chez Snell. Comme j'étais un plus tranquille au niveau travail, j'ai commencé à passer mon diplôme de guide. Au début, je manquais de temps pour ne faire que ça vu que je le faisais en même temps que mon travail. Ça a donc pris un peu plus de temps nécessaire, mais la priorité avant tout était d'être à Chamonix.

Est-ce que ça a été facile pour toi de t'intégrer ?

Au début, je n'avais pas un profil intéressant pour aller en montagne avec qui que ce soit. Du coup, je faisais essentiellement de la montagne avec les potes que j'avais à l'époque et que j'ai encore maintenant. Je ne connaissais pas vraiment de personnes ici et je n'avais pas non plus l'idée de chercher à tout prix des gens avec qui grimper. Ça a donc mis le temps que ça a mis.

En 2005, j'ai passé l'hiver au Canada, dans les Rocheuses où j'ai fait énormément de cascades de glace avec des gars que j'ai connu sur place. C’est en revenant en France à ce moment-là que j'ai commencé à grimper avec Jeff Mercier. J'ai dû avoir un profil qui lui convenait pour aller en montagne avec lui (rires).

Comment s'est passé ton cursus de guide ?

Je l’ai attaqué assez tard car j'ai toujours eu ce problème avec le ski. Je n'ai jamais vraiment aimé faire du ski jusqu'à il n'y a pas longtemps. Le reste du probatoire a été assez rando car à l'époque j'avais déjà fait au moins trois listes de courses. Jusqu'à 2007, j'ai continué à faire du ski car je n'étais pas pressé et je préférais aller au diplôme en étant largement à l'aise.

Actuellement, tu travailles comme guide pour une compagnie ?

Je suis indépendant et je travaille un petit peu avec la compagnie des guides de Chamonix et avec une autre compagnie.

Quels types de courses pratiques- tu ?

Je fais un travail classique de jeune guide dans la vallée de Chamonix. Il m'arrive aussi d’encadrer des équipes de jeunes allemands, des courses classiques ou de travailler sur des tournages de cinéma. Je fais aussi beaucoup de ski de rando, beaucoup de mont Blanc. Les choses se font tranquillement en ne les forçant pas.

As-tu des coins de prédilection ?

Dans les Alpes, je suis vraiment fan de mon massif ici. Je connais aussi un peu les Dolomites, ça m'a vraiment impressionné et je compte y retourner. Sinon je suis déjà allé trois fois en Patagonie et j'ai adoré ça.

Tu as un petit groupe d'amis avec qui tu grimpes généralement ?

Oui et c'est assez varié. Il y a des Espagnols tels que Martin Elias avec qui je viens de faire Rolling Stones dans la face nord des Grandes Jorasses. En Patagonie j’ai grimpé récemment avec Pierre Labbre et Damien Tomasi. Je vais d’ailleurs sûrement refaire des choses avec eux. J'ai aussi pas mal grimpé avec Jeff Mercier et Jon Griffith avec qui j'ai aussi pas mal de projets. Je grimpe aussi avec mon pote italien Andrea Di Donato, Tomas Muller...
Je ne cherche pas à me faire énormément de compagnons de cordée car c'est toujours un peu délicat de grimper avec quelqu'un que tu ne connais pas bien dans ce genre de courses.

Tu peux nous parler justement un petit peu de Martin Elias ?

Martin vient de la région de La Rioja du nord de l'Espagne. A la base il est pyrénéiste. Il a développé un sens de la montagne qui n'est pas commun à tout le monde dans les Alpes occidentales. Du coup il est adapté aux voies sévères et difficiles en face nord que l'on a ici. C'est un excellent compagnon de cordée, c'est d'ailleurs le meilleur compagnon de cordée qu'on puisse imaginer. Je dois d'ailleurs bientôt aller dans les Pyrénées que je ne connais pas où il y a apparemment des magnifiques parois avec des voies sur coinceurs. Je dois aussi aller en Espagne au mois de mai.

Qu'est-ce qui t'a motivé à faire il y a quelques jours Rolling Stones ?

C'est le genre de voie dont on parlait souvent mais au vue des conditions, on s'orientait toujours vers autre chose. J'aurais eu aussi largement le temps d'y aller à l'époque avec Jeff pour essayer de faire la voie en libre mais deux slovènes l'ont fait juste une journée avant qu'on parte. Mais bon... ce n'était pas non plus une priorité pour nous d'y aller.
Cet hiver il y avait toujours un peu de vent et toujours quelque chose qui nous empêchait d’y aller et là en avril, on a eu un bon créneau. On en a donc profité avec Martin pour y aller.

Qu'est-ce qui t'a particulièrement intéressé dans cette voie ?

Cette voie a un itinéraire très élégant. Rolling Stones est un des itinéraires iconiques de la face nord des Grandes Jorasses. Déjà, avant que les slovaques n’ouvrent cette voie, on parlait beaucoup de l'éventuelle Directe à l'éperon Walker. Pour te donner un exemple, à l'époque où Yannick Seigneur a ouvert la Directe de l'Amitié dans la face nord de la pointe Whymper, le projet à la base était de faire la directe de la pointe Walker plutôt que d'ouvrir une voie dans la Whymper.

Est-ce que l'itinéraire a changé depuis son ouverture par Kutil, Prochazka, Slechta et Svejda en juillet 1979 ?

Non. Ce qui a changé, c'est plutôt la façon dont on l'approche. Les slovaques ont ouvert la voie en été et à cette période, elle porte bien son nom ! Ça reste quand même quelque chose de limite suicidaire car dans la goulotte de départ, les pierres tombent régulièrement. On a mis quelques heures à grimper la partie dangereuse. Dans les zones rocheuses, il y a des quelques endroits où on est moins exposé mais en été c'est du rocher pourri et c’est vraiment pas génial. L’été, les dangers sont là et on ne peut pas les ignorer.

Fin 2014, tu es allé justement faire une ascension rapide dans la face nord des Grandes Jorasses...

Oui, en septembre je suis allé faire La Polonaise en solo. Il y avait des belles conditions et j'en ai profité pour faire cette voie que je n’avais jamais faite. Il y avait des plaquages raides, quelques pas de mixte parfois un peu délicats mais dans l'ensemble ce n’est pas quelque chose qui m'a terrorisé. Ça m'a permis de grimper relâché et de ne pas m'arrêter pendant toute la durée [2h10].
A la base, c'est une voie qui peut être assez compliquée et qui peut prendre pas mal de temps, mais dans les conditions où je l'ai trouvé, elle pouvait se faire en solo sans prendre de risques exagérés. Il faut aussi dire que je ne fais que ça que de grimper dans ce genre de terrain tout le long de l'année.

Peut-on encore ouvrir des nouvelles voies intéressantes dans la face nord des Grandes Jorasses ?

Ça dépend avec quel œil on les regarde. Si c'est vraiment une volonté d'ouvrir une voie, il y a sûrement moyen de le faire mais je ne vois pas ce qui peut me taper à l'œil. Je préfère répéter d’anciens itinéraires, en mixte, ou les refairer en libre.

Je suis plutôt dans la répétition que d'aller forcer des voies pour parfois se retrouver à croiser des voies historiques comme dans les dernières voies ouvertes dans les Grandes Jorasses. Tout ça finalement pour quelque chose qui n'est pas forcément intéressant. Je suis plutôt dans l'esprit de redécouverte de ce qui existe déjà.

Les Grandes Jorasses ou les Drus restent des montagnes exceptionnelles pour toi ?

Les Drus et les Grandes Jorasses sont mes deux montagnes fétiches. Je passe mon temps à aller soit dans l'une, soit dans l'autre selon les conditions. C'est vraiment quelque chose qui m'attire beaucoup.

Qu’as-tu fais comme voies dans les Drus ?

J'ai fait la Directe Américaine dans la face Ouest, le Couloir nord direct, la voie des Tchèques, la Pierre Allain. Avec Jeff, on a aussi fait la Voie des Guides jusqu'à 80 m du sommet et ça a été notre but le plus marquant. Une autre fois aussi dans la Lesueur, on a eu un accident avec un copain qui s'est pris un bloc. On s’est aussi pris un but dans la Gabarrou-Long et j'aimerai bien y retourner. J'ai touché du coup un peu à toutes les voies dans les Drus mais il m'en reste encore quelques-unes à faire.

Tu es aussi fan des Dolomites…

Oui, j’y suis allé avec Jeff et on a eu un gros coup de cœur en tombant sur une voie de 800 m démente qu'on a pu ouvrir dans la face ouest du Pordoï, Ghost Dog, une voie presque toute en glace où on s'est vraiment fait plaisir. J'y suis aussi retourné pendant le stage guide en été. C'est vraiment beau et il y a des beaux défis à faire en escalade.

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