Aymeric Clouet (Clouclou) est revenu récemment d'Islande de l'expédition Maewan Adventure Base. Il nous raconte son aventure et sa première expérience d'expé sur un bateau...

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Lionel Daudet, Bertrand Delapierre, Frédéric Drouault, Christophe Dumarest, Jérome Para, Patrick Wagnon

Montagnes Reportages : Tu as réattaqué ton boulot de guide directement à ton retour d’Islande ?

Aymeric Clouet : Non, pas directement car je n’avais rien qui se présentait. Le surplus de boulot de guide est plutôt le week-end en ce moment. J'avais juste un truc de calé depuis longtemps avec des clients, que j'ai eu récemment pendant trois jours : une demande en mariage au refuge des Cosmiques sur fond de coucher de soleil... c’est rare !

Pas trop dur le retour ?

Je m'attendais un peu à ce qu’est un retour d'expédition en altitude, mais en fait, je n'ai pas eu le même retour que d’ordinaire. Je ne suis pas arrivé complètement explosé et éreinté physiquement. C’est vraiment une grosse différence. Il y a aussi le fait qu'en Islande, il n'y a pas de décalage horaire et donc aucune différence de rythme. Et puis il faut dire qu’on n'a pas eu un rythme exténuant. Lorsqu'on naviguait, c’est qu'il faisait relativement beau et quand on ne naviguait pas, c’est qu'il faisait mauvais et on ne risquait pas d'aller faire des choses en montagne.

Du coup au final, on a peu grimpé, une petite cascade à la frontale le soir en partant du bateau mouillé dans une crique, et une belle ligne « classique » en partant du port d’Eskifjordur que nous avons nommée Princess Jeanne, un clin d’œil à Jeanne Grégoire.

Comment t’es-tu retrouvé dans l’expédition Maewan ?

J'avais eu un projet il y a longtemps et j’en avais discuté un peu avec Erwan. Il m'a alors dit qu'il avait aussi un projet : « Est-ce que cela t'intéresse de faire le voyage en bateau de la Bretagne jusqu'à l'Islande ? » Je n'avais jamais vraiment navigué sur un bateau. J’avais déjà fait deux ou trois petites navigations comme ça, mais je ne savais pas ce que c'était de rester sur un bateau et d'y dormir. Ce n’était peut-être pas pour moi la meilleure façon de découvrir la mer vu l’endroit où on allait naviguer... (rires) mais j'ai accepté tout de suite car j'avais vraiment envie de découvrir ça.

Tu n’as pas trop eu la tête dans le seau pendant la navigation ?

Ah si, complètement la tête dans le seau ! (rires). En fait, je suis parti bien fatigué et je me doutais bien que j'allais prendre cher au début. Mais j'espérais comme tout le monde que j'allais m'amariner... et je ne me suis amariné qu'à moitié. Même sur la fin où on faisait des petites navigations entre 12 et 36 heures, je tenais le choc mais je sentais bien que ce n'était pas loin. Mais lors des trois grosses navigations que l'on a faites entre la Bretagne et l'Écosse, l’Écosse et les Iles Féroé, Féroé et l’Islande, à chaque fois je me suis pris un bon gros coup de bâton derrière la tête.

Comment s’est déroulée la traversée jusqu’en Islande ?

On est parti de l’Aber Wrac’h environ une grosse semaine après ce qui était prévu à cause des créneaux météo. On a eu un peu de chance car il y a un anticyclone qui s'est posé sur l'ouest de l'Irlande et on a pu partir. On a navigué cinq jours jusqu’en Écosse. On a mouillé à Stornoway, un port important au nord des Iles Hébrides, bien protégé des grosses tempêtes. Le but était de rester là pour attendre un éventuel créneau qui nous permette d'aller directement en Islande. Mais on savait aussi que ça ne serait peut-être pas possible de l'avoir.

Les Iles Féroé n'étaient pas directement sur notre itinéraire mais elles pouvaient l'être en se déroutant légèrement. C’est ce qu’on a fait. On a mouillé au sud des Iles Féroé et on a laissé passer un premier coup de vent. Ensuite on est remonté sur une ile un peu plus au nord où on s'est vraiment pris une grosse tempête. Après on a pu partir directement sur l'Islande.

Il y a eu un peu de casse sur le bateau…

Oui, mais il faut savoir qu'’Erwan n'a pas trop eu l'occasion de naviguer avec son bateau depuis qu’il l’a acheté. Il a beaucoup bossé dessus avec l’aide de plein de potes et nous avons un peu navigué quelques heures vite fait le long des côtes de l’Aber Wrac’h juste pour voir. Le bateau est donc parti pratiquement « neuf » dans le sens où toutes les réparations et les modifications étant faites, il fallait donc tester un peu tout ça.

Un élément (coulisseau) s’est arraché assez bêtement sur la grand-voile entre l'Écosse et les Iles Féroé. Il ne devait pas être à l’origine vraiment bien dimensionné pour son usage. On a eu la chance d'arriver dans un port où on travaillait l'aluminium. Le bateau d'Erwan est en alu ce qui signifie qu’on peut difficilement utiliser un autre métal. Au port, ils nous ont donc refait sur mesure les pièces en alu, dix fois plus solide que ce que l'on avait à la base.

As-tu trouvé des similitudes dans l'engagement entre la navigation et l'alpinisme ?

Oui carrément. En pleine mer, il y a le bateau qui te protège un peu comme le refuge en montagne, mais tu es engagé beaucoup plus longtemps et à la merci de la météo. Après, je trouve que la météo maritime est quand même beaucoup plus facile à prévoir qu'en montagne.
En mer, si les prévisions donnent deux ou trois jours de beau, tu seras pratiquement sûr que ça se passera comme prévu et qu’il n'y aura pas trop de changement. Alors qu'en montagne, avec le relief, il y a un côté plus aléatoire pour prévoir la même période.

Quand j'étais malade et qu'on s'est pris une tempête qui n'était pas prévue, il fallait quand même aller sur le pont, affaler les voiles, protéger le bateau, et ensuite se mettre en sécurité dans le bateau. Il y a quand même une phase où tu es exposé aux vagues, au vent et il ne faut pas que le barreur fasse n'importe quoi. Certaines choses sont un peu différentes de la montagne mais on a quand même des rapports identiques comme la confiance à l'autre, la météo identique, le fait de rester humble face aux éléments, etc.

Quels étaient les membres de cette première équipe pour l’Islande ?

Sur le bateau, il y avait Erwan, le capitaine en chef. Jeanne Grégoire était la «sous»- capitaine jusqu'en l'Islande. Elle a fait beaucoup de régates, elle est très expérimentée sur les réglages d’un bateau. Elle ne connaissait pas du tout le bateau d’Erwan et l’a « découvert » en même temps que lui. C’était hyper important qu'elle soit là, pour nous apprendre à bien régler le bateau, à bien gérer le pilote automatique et l’informatique, ce qu’elle maîtrise super bien. En plus que c'était la seule femme à bord et ça faisait du bien d'avoir un peu de féminité sur le bateau !

Quand on est arrivé en Islande, le bateau était mieux préparé et on savait déjà plus ce qu'il était capable de prendre en gros vent et ce dans quoi il était à l'aise.

Il y avait ensuite Lionel Daudet « Dod » qui avait l'expérience de ses voyages avec Isabelle Autissier. Lui aussi avait des choses très intéressantes à apporter, Guillaume Vallot qui se dédiait plus à la photo et la vidéo, et puis il y avait moi !

Vous n'avez pas pu réaliser en Islande tout ce que vous vouliez ?

Non, à cause du retard dû à la météo. Et le temps défilait aussi quand nous étions en train d'attendre des bons créneaux. Avant d'arriver en Islande, on n'a jamais trouvé un bout de glace car il faisait vraiment chaud. Dans les Iles Féroé, on a mis les pieds dans un petit peu de neige, mais ça gelait à peine. Par contre, toutes les côtes de la partie ouest des Iles Féroé sont vraiment très rocheuses et basaltiques. On y a vu de très belles et grosses falaises. Il y a là-bas un potentiel énorme, mais on n’était pas là pour ça.

Les marins ont aussi chaussé les crampons ?

Jeanne s'était fixée d'arriver en bateau jusqu’en Islande. Elle est restée avec nous plus longtemps que ce qui était prévu. Elle n'avait jamais fait de cascade de glace. On a donc réussi à lui faire faire une initiation. Renvoyer un peu la balle et permettre de partager les différentes approches, c’est aussi ça cette expé.

Cette nouvelle expérience t’a-t-elle donné envie de renouveler l’aventure ?

Oui je compte bien le refaire. Mais je ne te cache pas que je suis en train de faire ma petite enquête précise sur le mal de mer avec que tout ce qui peut le déclencher. Il y a beaucoup de choses qui sont dites, comme des remèdes de grand-mère mais j'ai senti des choses se passer qui ne relevaient pas de ces remèdes mais plutôt du domaine de la mécanique interne du corps. Je pense que tout ça se travaille.

As-tu repéré quelques similitudes entre le mal de mer et le MAM(1)?

Oui, il y a carrément des similitudes dans le fait où tout le monde ne réagit pas de la même manière. Par exemple, Erwan n'est jamais sujet au mal de mer. D'autres ont plus d'expérience là-dessus et savent le gérer. Pour certains, ça passe et pour d'autres comme moi, ça a carrément été la guerre. A partir de là, je me dis que ça ne va pas changer. Il faut que je trouve et que j'arrive à évoluer sur ce sujet car j'ai vraiment envie de repartir avec Erwan l'année prochaine.

Tu es originaire de Grenoble… Tes souches familiales sont là-bas ?

Mes parents sont tous les deux originaires de la région nantaise. Mon père était très fan de montagne et il a entraîné ma mère à Grenoble. On a vécu un moment dans le centre-ville, ensuite on est allé vivre à Voiron. On faisait pas mal de randonnées en famille et je me suis aussi très vite mis à la randonnée à ski. Je faisais aussi un tout petit peu d'escalade.

Ensuite au collège, j'ai rencontré un guide de haute montagne professeur d'EPS à Voiron. Il avait organisé une association sportive montagne escalade, et je suis parti à fond dedans. J'avais déjà un peu l'idée d'être guide ou prof d'EPS.

Être guide était un rêve pour toi ?

D'abord, c'était plutôt une idée que j'avais au collège mais je ne savais pas vraiment comment ça allait se concrétiser. Mes parents ont quand même beaucoup insisté pour que j’aie un autre diplôme si pour une raison ou une autre je n'arrivais plus à exercer ce métier de guide. J'ai donc fait un IUT de Génie Civil qui n'a rien à voir. J'ai fini tout mon cursus d'études par le cursus de guide au final.

En IUT, j’étais en sport étude et ensuite j'ai recommencé à zéro en STAPS et obtenu une licence Entraînement Sportif. Jusqu'à 20 ans, j'ai eu la fibre de la compétition mais après j'ai commencé à me sentir mieux à l'extérieur.

Tu es actuellement guide indépendant ?

Quand j'ai commencé à travailler, j'étais plutôt dans le genre du guide qui n'a pas envie de se mettre dans une structure. Je picorai un peu à droite et à gauche ce qu'on me proposait. J'ai rencontré Pauline entre-temps qui était basée à Samoëns et qui avait mis pas mal de choses en place là-bas. De Grenoble, je suis donc venu vivre ici en Haute-Savoie.

Il y a quelques années, j'aurais bien aimé m'investir plus dans une compagnie ou un bureau, mais ici, on est plutôt basé dans la Vallée Verte. On est loin des compagnies et bureaux de guides et quand tu es loin des structures, que tu n'es pas là le soir pour les tours de rôle, ça ne marche pas. Actuellement je me suis rapproché de Chamonix Experience, une structure basé à Chamonix, pilotée par Sebastien Rougegré, un collègue de promo que j’estime beaucoup.

Quel type de courses proposes-tu ?

Je suis un touche-à-tout ; canyoning, école d'escalade, grandes courses, ski, cascade de glace, goulottes où là c'est vraiment mon domaine de prédilection. J’emmène aussi certains clients fidèles en expédition. C'est toute cette variété que me propose ce métier qui fait que ça reste toujours intéressant.

Ta cordée (AC-DC) avec Christophe Dumarest est toujours active ?

D’abord, on a eu notre projet Shining Wall qu’on a essayé de mener à bien. Mais je trouve que c'est quand même assez compliqué dans le milieu de l'alpinisme d'avoir un projet comme celui-là. Trouver des sponsors, c'est vraiment la galère et ce n’est pas trop mon truc. On essaie encore de faire des choses ensemble mais on a tous les deux des gamins, on a chacun notre boulot et en ce qui me concerne, je suis plus parti maintenant sur des expéditions. Christophe, ce n'est pas trop son domaine de prédilection.

Du coup, c'est dur de trouver des créneaux pour faire des choses ensemble. Ça s'est un peu dissipé. Il y a plein d’autres potes avec qui j’aime aussi partager de grosses aventures, Jérôme Para, Pierre Labbre et Patrick wagnon pour ne citer qu’eux...

Tu sembles bien attiré par le Népal…

J’adore le Népal car leurs habitants sont adorables. Ensuite tu peux quasiment aller au pied des montagnes à partir des villages, ce qui permet d'organiser des expéditions pas trop lourdes. A la limite, tu peux prendre juste quelques porteurs pour t'aider à porter un petit peu de matériel dans le dernier village, et puis après tu te débrouilles. C’est ce qu'on avait fait avec Patrick Wagnon en 2013. On avait été hyper autonome.

Si on compare avec le Pakistan, comme la région de Concordia, du Karakorum, là-bas tu n'as pas le choix. Ce sont plusieurs jours d'approche et les expéditions sont beaucoup plus lourdes en logistique. Mais à mon sens, les montagnes y sont quand même plus belles et plus verticales.

Es-tu attiré par la très haute altitude ?

Oui, j'aimerais bien aller voir là-haut comment je me comporte mais ce n'est pas mon objectif premier. J'ai plutôt toujours été attiré par tout ce qui est technique. Aller en haute altitude, ça se finit toujours dans les pentes de neige parce qu'on arrive plus à avancer. Si ça se présente j’irais mais je ne vais pas tout mettre en œuvre pour faire cette expérience.

Quels sont tes coins de prédilection dans les Alpes ?

J'aime bien varier. Lorsque j'étais à Grenoble pour mes études, j'ai fait beaucoup de courses dans les Ecrins et ça m'a forcément marqué. Quand je retourne là-bas, j'y ai beaucoup de souvenirs. C'est tellement vaste et tellement sauvage que c'est toujours un grand plaisir d'y retourner. Mais en même temps, à Chamonix, tu es directement dans des trucs hyper raides et les remontées te permettent de gagner un temps énorme. Le granite chamoniard est quelque chose d'incomparable. Il y a aussi le coin du Viso que j'adore. Je vais plus rarement du côté du Cervin, ce coin-là me marque moins... Bref chaque massif a ses avantages.

Quels sont tes futurs projets ?

Je ne me focalise plus trop longtemps à l’avance sur des objectifs hyper précis. Mais je pars au Népal dans le Langtang dans deux semaines avec Colin Haley, un Américain que j’ai rencontré en Patagonie avec Christophe. Colin est bien en forme en ce moment et avait envie de découvrir le Népal. Il m’a demandé qu'on y aille ensemble vu que j'ai un peu d'expérience là-bas.

Ça va être une belle aventure car c'est la première fois que je pars avec quelqu'un dont je ne partage pas la même langue maternelle. On a quand même déjà grimpé ensemble. Pour se dérouiller les jambes, on s'était fait la face nord des Droites à la journée, mais on n'a jamais vraiment partagé de gros projets ensemble. On s'est côtoyé déjà plusieurs fois et je n'ai pas trop d'appréhension là-dessus, je pense qu'on va bien s'entendre.

Avais-tu des modèles quand tu étais plus jeune ?

Je n'ai jamais vraiment eu de modèles et ça ne m'a jamais vraiment inspiré. Par contre, des gens comme Patrick Edlinger et Catherine Destivelle m'ont beaucoup marqué quand j’ai commencé à m’intéresser de près à l’entraînement. Dans le milieu montagne, des récits tels que « 342 heures dans les Grandes Jorasses » me révulsaient. Je ne supportais pas ce style, maintenant peut-être un peu moins parce que je vais y trouver des choses qui vont peut-être plus m'intéresser sur le plan historique par exemple. Mais en fait ce genre de récit me saoule un peu.

Tu n’as pas l’air fan de Desmaison…

Pas trop en fait. Mais je respecte sa carrière et le grand bonhomme qu'il a été. C’est plutôt toute cette mise en scène qu’il faisait que je n’aime pas. Mais bon... c’était une époque différente.

Comptes-tu retrouver un de ces jours les Dolomites ?

J'adorerais mais le problème, c'est que toutes ces dernières années, j'ai passé trop de temps en expédition et du coup mon niveau en escalade a plutôt tendance à régresser. J'essaie de remettre un coup de booste à l'automne et au printemps mais je n'ai jamais retrouvé le niveau comme lorsqu’on s'était lâché à la Marmolada dans les Dolomites.

Il y a eu peu de moments de ma vie où j'ai eu des instants de grâce comme là-bas, où tu y vas en forme, où il fait grand beau, et où tu vas dans les voies qui te conviennent parfaitement. J’adore le terrain d'aventure et les Dolomites font partie des rochers qui sont les plus proches pour moi de ma sensibilité. Je ne sais pas comment, mais c'est sûr, j'y retournerai. Mais il faut que je m'entraîne ! (rires)

(1) = MAM : Mal aigu des montagnes

> Le blog d'Aymeric Clouet ici

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