Eliot Hennion a quitté son Auvergne natale pour venir s'installer au pied du mont Blanc afin d'assouvir ses rêves verticaux...

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Eliot Hennion
(sauf mentions contraires)

Montagnes Reportages : Tu es d’où… comment as-tu découvert la montagne ?

Eliot Hennion : Je suis d’origine auvergnate, de Montluçon. Mon père a fait un peu de montagne quand il était jeune mais ce n’était pas de l’alpinisme, plutôt de la randonnée. J’ai découvert la montagne quand j’étais enfant en faisant du ski aux Menuires où on allait pratiquement chaque hiver. Les étés, on faisait de la rando dans le même coin. J’ai rapidement eu une passion de la montagne. Petit, j’avais énormément de plaisir à être dans ce milieu, à contempler ces paysages et à me demander ce qu’il y avait derrière chaque col.

Qu’est-ce qui t’a fait venir t’installer à Chamonix ?

D’abord je n’avais quasiment jamais fait de montagne avant de venir m’installer à Chamonix en août 2011. Mais depuis que je suis enfant, j’ai toujours voulu vivre et travailler en montagne. A la base je n’avais pas trop d’idées sur quelles directions m’orienter. Pendant un moment j’avais pensé à faire moniteur de ski mais mes parents m’ont un peu découragé en me disant que ça ne me permettrait jamais d’en vivre à l’année. Du coup j’avais un peu oublié cette idée et je me suis orienté sur des études scientifiques en faisant une école d’ostéopathe à Lyon mais au bout d’un an, j’ai arrêté. Je me suis posé la question de ce que j’allais faire de ma vie et je me suis alors rappelé de mon rêve de travailler en montagne. J’ai découvert le métier de guide de haute montagne un peu par hasard en parlant avec des amis. Je me suis rendu compte que ce serait quelque chose d’assez merveilleux pour moi, même si je ne connaissais à ce moment-là rien à la haute montagne.
C’est ce qui m’a donné l’envie de m’installer dans la vallée de Chamonix pour faire de la montagne le plus possible. Depuis mon arrivée, j’ai pratiqué au maximum avec cette idée d’avoir un métier qui me laisse le plus de temps possible pour atteindre le niveau nécessaire pour me présenter au proba. J’ai donc été animateur pour des enfants en centres aérés et garderies, surveillant au lycée... Je vais donc me présenter pour la première fois cette année au proba et j’ai commencé début mars par le ski.

Epreuve de ski que tu as validée mardi dernier... Content je suppose ?

Oui, vraiment content d’avoir réussi alors que ce n’était pas joué d’avance. Ce test technique, on le redoute un peu tous car il y a une part de chance pour le réussir, par rapport aux conditions de neige et puis même si on est bon skieur, on ne maîtrise pas toujours tout. Une faute est vite arrivée et on n’a pas de deuxième chance. Je sais aussi que si j’ai réussi ce test, c’est grâce à une préparation spécifique tout au long de l’hiver. Je ne suis pas allé en montagne de la saison, je n’ai fait que du ski et principalement en station pour travailler la technique même si ce n’est pas ce qu’il y a de plus excitant. J’ai aussi participé aux stages préparatoires du CRET de Briançon et de la Compagnie des guides de Chamonix ce qui m’a mis en conditions pour réussir. Maintenant il faut se mettre sérieusement au boulot pour être au top cet été. Je compte d’ailleurs participer aux stages préparatoires spécifiques pour les épreuves estivales.

Ton arrivée sur Cham n’a pas été celle que tu espérais apparemment…

En arrivant à Chamonix, je ne connaissais absolument personne, je n’avais ni famille ni amis dans la région. Oui, ça a été une assez grosse désillusion. Je pensais qu’en venant dans la capitale de l’alpinisme, j’allais pouvoir très facilement rencontrer des partenaires sur place. J’ai été assez naïf de croire ça. Je suis bien allé au CAF de Cham mais la moyenne d’âge élevée est plus intéressée par la rando en été. C’était assez décevant.
Pendant ma première année ici, je ne voulais pas rechercher du monde avec internet car j’en avais une mauvaise image. Au bout d’un moment, vu que je ne trouvais personne localement, j’ai quand même décidé d’y jeter un œil, et c’est là que j’ai rencontré quasiment tout le monde. C’est dur de créer le premier contact avec des gens ici car ils ont déjà leurs relations et n’ont pas beaucoup de raisons d’aller chercher ailleurs. Même maintenant que j’ai fait quelques belles courses, ça reste assez compliqué de rencontrer des locaux. Après ça dépend bien sûr aussi de ta personnalité, si ça t’est facile d’aller vers les gens ou pas. Mais cette démarche qui est d’aller vers des personnes que tu ne connais pas en leur disant, j’ai fait ça et ça, est-ce que ça te dirait de venir avec moi ? Ce côté un peu égocentrique ne correspond pas à ma personnalité. Maintenant que j’ai une liste de contacts assez complète, je n’ai plus trop de raison à mon tour à aller chercher qui que ce soit d’autre. Après coup, je comprends maintenant assez bien comment ça se passe ici.

Sur quels sites web as-tu rencontré tes partenaires ?

Sur Camptocamp qui est vraiment un super outil pour rencontrer des partenaires de montagne. J’ai rencontré la plupart des personnes avec qui je fais de la montagne maintenant sur ce site. Ensuite c’est un peu plus compliqué quand tu rentres dans des niveaux plus élevés et techniques. Je fais beaucoup de glace et de mixte et c’est une pratique où tu trouves assez difficilement du monde à bon niveau sur C2C. C’est en fait difficile de partir avec des gens que tu ne connais pas car ce sont des courses qui restent engagées et il faut être sûr de rester dans l’horaire. Pour de l’escalade en rocher, c’est par contre assez facile de trouver des personnes avec un bon niveau sur C2C.

Quelles sont les classiques que tu as faites dans la vallée ?

J’en ai fait un paquet, notamment l’arête des Cosmiques que j’ai dû faire une vingtaine de fois ! C’est une petite arête d’initiation que je trouve vraiment géniale et intéressante par le fait qu’il y a plein de variantes possibles et qu’à chaque fois, tu peux passer par des endroits différents. Je l’ai faite aussi bien en plein été quasiment sec qu’en plein hiver par un jour de tempête où j’avais brassé dans la neige tout le long. Au final, c’est là que j’ai appris l’alpinisme à force d’y retourner.
J’ai fait la Kuffner mais j’ai été un peu déçu. Je m’attendais à quelque chose d’un peu plus technique. Mais c’est quand même magnifique avec une très belle vue sur les Flammes de Pierre. J’ai fait avec Morgan Baduel en juin de l’année dernière la Bodin-Afanasieff au Tacul. Ce n’est pas énormément parcouru. On l’a fait en mode rapide en 2 h, tout en corde tendue. C’était assez fun. Sinon dans les Ecrins il y a deux ans, j’ai fait la traversée de la Meije, la Traversée du Râteau et la Tête du Rouget.

Comment est venue cette idée d’enchaînement l’automne dernier dans la face nord des Grandes Jorasses ?

D’une idée mutuelle avec Morgan. Cela faisait deux ans que j’avais vraiment envie d’aller dans cette face. Morgan avait déjà fait l’éperon Croz il y a quatre ans. Les conditions étaient bonnes cet automne, on y est donc allé et on a réussi à faire deux voies en une semaine dans la face nord. On a commencé le 3 septembre par faire la Colton-Mc Intyre dans l’éperon Walker. Ce n’était pas trop cool car il y avait beaucoup de monde avec pas moins de sept cordées dans la voie ! Les conditions et la météo étant toujours là et la motivation encore plus, on est donc retourné rapidement dans la face le 8 septembre pour faire la Combinaison Polonaise à la Pointe Hélèna. On était tout seuls. C’est le jour où Korra Pesce a établi son record en faisant la voie en solo en 2h 10. On ne s’est pas trop gêné car il est passé devant nous comme une flèche !

Les Grandes Jorasses représentaient un rêve pour toi ?

Oui, carrément. Quand je suis arrivé ici, j’ai commencé à lire des topos ou des récits. Ça me donnait presque l’impression d’une muraille impossible à gravir. En 2013, j’avais fait Beyond The Good and Evil dans la face nord des Pèlerins, l’année dernière, j’ai fait le Supercouloir au Tacul, j’ai alors commencé à réaliser que j’avais un bagage technique certainement suffisant pour aller dans les Grandes Jorasses. Quand l’occasion s’est présentée, je n’ai eu aucune hésitation.

Comment te sentais-tu les jours précédents ces courses ?

J’étais assez calme et serein comme un peu tout le temps (rires). Il y avait en fait plus d’excitation que de stress. J’avais vraiment hâte de me confronter à cette face, mais sans le côté violence d’une bataille. Je voulais juste voir ce dont j’étais capable de faire. Physiquement et techniquement, je n’avais pas de stress particulier. Et après avoir fait la Colton, quand on y est retourné pour faire la Combinaison Polonaise, cette face a été un peu démystifiée pour moi car je pensais que c’était beaucoup plus difficile. Ça reste bien sûr une face exceptionnelle et une montagne vraiment difficile à grimper. C’est quelque chose de magnifique où les sensations sont géniales.

Tu as sauté de joie au sommet ?

Pas vraiment (rires). Quand tu arrives au sommet de la Walker, tu sais que ce n’est pas fini, qu’il y a toute la redescente de l’autre côté et qu’il y en a encore pour un bon moment. Ça a quand même été une joie intense de sentir une vraie réalisation. C’est assez jouissif d’être au sommet des Grandes Jorasses et de te dire que l’as fait par la face nord.

Quelles ont été les conditions d’ascension ?

Bonnes, avec de la neige plus ou moins polystyrène un peu tout le long. Du coup c’était facile à grimper mais au final assez engagé. Comme on était en tout début de saison, dans la longueur clé bien raide de la Colton, il y avait de la neige partout, le rocher était caché y compris le relais. Quand je suis parti en tête pour grimper cette longueur, c’est la première fois où je me suis vraiment dit, si je tombe, je vais sûrement mourir. Parce que je savais très bien qu’il n’y avait aucune broche de bonne et que si je tombais j’arrachais tout et sûrement le relais aussi. J’avais seulement pu poser deux ou trois broches sur les vingt premiers mètres. D’ailleurs quand Morgan est parti du relais, une des broches est sortie juste en tirant dessus. C’était un moment de pression mais en même temps le fait d’avoir cette conscience de l’engagement, ça m’a fait grimper d’une façon propre. J’ai pris mon temps et j’ai avancé en étant technique. C’était d’une intensité bien plus mentale que physique.

Quelles sont les voies que tu aimerais faire maintenant ?

J’ai quelques projets sympas en tête. En face est du Tacul, il y a trois grandes voies techniques en glace et mixte de 800 m entre le Supercouloir et le couloir Macho : Coco Fesse, Non-stop et D-Day. Elles sont rarement réalisées et il n’y a globalement pas de topos. Ce sont des lignes que j’aimerais bien aller visiter et si possible les enchaîner, faire les trois voies en trois jours par exemple.
Mais mon grand rêve est la voie Lesueur aux Drus. C’est un objectif qui traîne dans ma tête depuis un an. Mais ça représente quand même quelque chose de vraiment un cran au-dessus de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Je vais donc attendre un peu pour progresser en dry pour être un peu plus à l’aise avant de me lancer dedans.

Des voyages en perspective ?

Non. Pour l’instant je me concentre uniquement sur le diplôme de guide. J’essaie de passer un maximum de temps en montagne sous tous les créneaux météo, à faire le plus possible de ski, à continuer à m’entraîner en salle pour progresser en grimpe, etc. Les projets de voyages ou même les vacances en famille, ça passe un peu à la trappe pour le moment.

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