Fin janvier 2015, Maewan, le bateau d’Erwan Le Lann quittera l’Aber Wrac’h pour l’Islande, première étape d’une aventure unique de quatre ans entre mer et montagne qui unira marins et alpinistes de renom…

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Erwan Le Lann
I (sauf mentions contraires)

Montagnes Reportages : Quel est ton parcours montagne ?

Erwan Le Lann : Je suis né à Grenoble. J’ai fait énormément de ski alpin quand j’étais petit, puis ado j’ai commencé à me promener en montagne. Je voulais être pilote de chasse à l'époque. J’avais fait des études pour ça jusqu’à ce que je me retrouve en FAC à Grenoble. Je me suis finalement dit que ça serait beaucoup plus agréable de faire de la montagne qu'autre chose. C’est à ce moment-là que je suis rentré en 1997 dans l’équipe Jeunes de Christophe Moulin. En étant dans cette équipe, on avait quasiment l’équivalence du probatoire de l’aspirant-guide. La passerelle a été finalement assez facile et j'ai passé le guide comme ça.

Où as-tu exercé ton métier de guide par la suite ?

J'ai pas mal travaillé en Oisans, vers la Bérarde ou dans le massif de Chamonix. Je n’étais pas vraiment attaché à une seule compagnie. Je faisais des courses assez variées ; rocher, glace, ski ou de l’alpinisme classique. Avant d'être guide, j'avais déjà commencé à partir en expés un peu partout, au Népal, au Pakistan... et petit à petit, ça s'est élargi. J'ai aussi fait beaucoup de voyages pour de l’escalade sur glace.

Comment as-tu monté le projet Maewan – Adventure Base ?

Ce projet correspond en fait à vingt ans d’apprentissage dans ma vie, à faire de la montagne, des voyages, des expés, à côtoyer le froid, la nuit, le jour... J’organise donc un événement qui tourne autour de ça. Depuis neuf ans, j’avais envie de monter un projet avec un bateau et je m'étais remis à naviguer plus sérieusement. J’attendais d’en avoir un qui me convienne pour travailler par la suite sur cette idée plus concrètement. Ça fait maintenant deux ans que le projet s’affine petit à petit. C’est un projet où beaucoup de monde va passer sur le bateau qui servira de camp de base. Des alpinistes et marins me rejoindront pour faire un bout de route avec moi, avec entre autre Jeanne Grégoire, navigatrice professionnelle au vécu incroyable. Les marins qui viendront me rejoindre feront aussi de la montagne. Ce sera un partage ou chacun amènera sa compétence pour en faire profiter les autres. Dans la première équipe pour l’Islande, on part à cinq. Il y aura Aymeric Clouet, Lionel Daudet, Guillaume Vallot, Jeanne Grégoire et moi.

Tu as déjà fait des expés mer-montagne ?

Oui. J’ai beaucoup bossé avec Mike Horn sur son projet Pangaea dans lequel j’encadrais les jeunes comme guide. On est allé en Terre de Baffin, en Antarctique, en Nouvelle-Zélande. Ensuite j’ai fait un autre voyage en bateau au Groenland sur La Louise avec Thierry Dubois.

Parle-nous de ton bateau Maewan…

Je l’ai acheté l’hiver dernier au Québec mais je ne l’ai récupéré qu’en avril dernier. C’est un dériveur lesté. C'est un bateau en aluminium, il a été construit là-bas pour être solide. Il n'est pas très grand, il mesure un peu plus de 11 mètres. Il y a cinq couchettes et on peut être jusqu’à six dedans même si on est un peu serré.

Où se trouve-t-il actuellement ?

Il est à l’Aber-Wrac'h, au nord de Brest. Je suis dedans actuellement. On a changé toute l'électronique et le gréement dormant, le bateau a aussi des nouvelles voiles. Il y a encore beaucoup de boulot mais on a fixé un départ qui devrait se faire à partir du 31 janvier selon la météo.

Comment as-tu tracé le parcours ?

J’ai commencé par dessiner un itinéraire de ce que je voulais faire ; aller dans le Nord et dans le grand Sud puis passer par la Polynésie car j’ai de la famille là-bas. Je ne voulais pas passer par le canal de Panama, le tour des Amériques s'est donc tracé comme ça. Des personnes motivées se sont proposées d’organiser une expé ou un projet particulier selon les endroits tout au long du tracé.

Le planning sur les quatre ans est calé ?

Les personnes arriveront petit à petit et ça risque de bouger tout le temps car on peut difficilement s’engager sur un projet, deux ou trois ans à l’avance. Je sais très bien que même si certains ont des envies, ils peuvent avoir après d’autres priorités au moment venu. Ce n’est pas très grave. Depuis deux semaines, je commence d’ailleurs à avoir pas mal de sollicitations.

Ce n’est pas un projet uniquement sportif ?

Ce projet n’est pas fermé au sport. Il est ouvert à chaque personne qui aura une belle idée pour utiliser le bateau et aller quelque part. Science, faune, flore, photographie,... je reste ouvert à tout et il y a déjà plusieurs pistes à ce sujet.

Quelles seront les activités sportives abordées ?

On commencera par de l’escalade sur glace, de l’alpinisme et du ski de rando. Après, ce sera un mixte de tout ce qu’on trouvera sur place, puis du bigwall. Ensuite il y aura toute la partie alpine au niveau de l’Alaska. Et lorsque nous serons sur les iles « au chaud », on fera de l’escalade et des grandes voies. Puis on retournera en Patagonie pour du kayak, du surf, du speed riding et du parapente. Tout ça est en train de se mettre en place.

Le bateau permettra d’accéder plus facilement à des lieux très isolés ?

Oui car la plupart des endroits où nous irons sont loin des routes ou compliqués d’accès autrement que par bateau. Pour l’Islande, on a repéré deux endroits, l’un à l’ouest et l’autre au nord-ouest où il y a un potentiel à priori énorme en cascade de glace. Personne n’a pu aller voir et y grimper jusqu’à maintenant. S’approcher par la mer nous permet de repérer les objectifs et de s’y arrêter si nous sommes intéressés. On est sûr de rien, mais on ira voir ce que ça donne.

Quelles seront les zones les plus délicates pour la navigation ?

La première étape ne sera pas facile car on est obligé de partir tôt fin janvier afin qu’il fasse suffisamment froid pour avoir de la glace en Islande. Nous serons en plein hiver et les perturbations sont plus fortes dans cette partie, notamment la zone qui traverse le nord de l’Irlande jusqu’en Islande. Ça va secouer, c’est quasiment sûr, mais on prendra le temps d’attendre un créneau météo qui nous permette de passer.

Par ces temps difficiles, ça n’a pas été trop compliqué pour le budget ?

Oui, ce n’est pas facile et j’ai beaucoup mis de ma poche. Le budget est en tout cas bouclé pour que je puisse partir. Ce qui coûte très cher concerne toute la partie vidéo et photo, le matériel, le montage du film... Et ce qui va un peu dimensionner le projet sont les partenaires que je trouverais ou pas. J’ai actuellement un très bon partenaire, la Cegelec Mobility, qui va m’aider à priori sur les quatre ans.

Le voyage dans la lenteur est différent ?

J’ai beaucoup voyagé sur terre et j’avais vraiment envie de voyager sur mer. Je connaissais déjà un peu. J’ai vu la différence de cette notion de voyage quand je suis allé en bateau en Antarctique et que je suis revenu de là-bas en avion. On naviguait au bout du monde en observant une faune très riche changeant régulièrement. On voyait les premiers icebergs et les premières terres. Puis au retour, on a décollé et on est passé au-dessus de la mer de nuages pour réatterrir. Je me suis alors dit ce n’était pas ça le voyage. Dans la lenteur du déplacement, on a la compréhension de ce qui se passe, où l’on est, comment les choses agissent. Je suis quelqu’un de curieux. Tout cela permet d’apprécier davantage les lieux.

Pendant ces quatre ans, tu ne reviendras pas en France ?

Si. Je vais revenir. En fait je vais naviguer environ six mois de l’année. Je tenais à faire ce voyage et dans la construction du projet, je me suis arrangé avec Petzl, chez qui je travaille, pour me libérer six mois chaque année.

La mer et la montagne ont pour toi la même approche ?

Oui. Ce sont tous les deux des territoires sauvages identiques dans lesquels on va se fondre pour essayer de comprendre un peu mieux comment ça se passe. Ce sera une observation permanente de la faune, de la flore, des marées, de la température, du soleil, de la météo... La mer et la montagne ont beaucoup de similitudes.

> Le site web de l'expé Maewan Adventure Base ici

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