Fred Souchon est guide secouriste depuis une dizaine d’années dans le prestigieux Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix (PGHM). Entre les monts d'Auvergne et les grandes faces des Alpes, il n'y a finalement qu'un petit pas...
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Fred Souchon (sauf mentions contraires)

Montagnes Reportages : Comment es-tu venu à la montagne ?

Fred Souchon : J’ai passé toute ma jeunesse en Auvergne, des petites montagnes à 1886 m d’altitude maximum. J’habitais au Puy-en-Velay en Haute-Loire. Mes parents faisaient beaucoup de randonnées dans les Alpes pendant les vacances d’hiver et d’été. Mon papa avait été chasseur alpin mais il ne faisait pas d’alpinisme et c’est un peu lui qui m’a mis le pied à l’étrier lors de nos randos.
Dans notre bibliothèque familiale, il y avait deux livres qui étaient un peu mes livres de chevet : « les 100 plus belles » de Rébuffat et « 342 heures dans les Grandes Jorasses » de Desmaison. Je crois avoir regardé chaque page du livre de Rébuffat au moins cent fois (rires). Je revoyais ces sommets lors de nos randonnées, la Meije, le Mont Blanc... Ça m’a vraiment donné le goût de la haute montagne et j’avais vraiment envie d’aller voir ça de près.

Tu es resté longtemps en Auvergne ?

J’y suis resté jusqu’à l’âge de vingt quatre ans environ. A la fin de l’adolescence, je me suis mis à l’escalade. Je grimpais beaucoup en Auvergne, dans les gorges du Tarn et de la Jonte ou en Ardèche. J’avais vraiment envie de travailler en montagne. J’ai donc passé le brevet d’accompagnateur en moyenne montagne dans l’espoir de décrocher un jour le diplôme de guide. J’ai travaillé comme accompagnateur quelques années en Auvergne entre le Cantal, le Puy de Dôme et les monts d’Ardèche.

Vouloir devenir secouriste, c’est venu comment ?

J’ai fait mon service militaire en Haute-Savoie. J’allais en haute montagne les week-ends et pendant les vacances. Un jour lors du retour d’une course, j’ai croisé un hélico dans le bassin de Talèfre qui faisait un secours. Il s’est posé pas loin de moi. Un médecin et un secouriste en sont descendus... ça été pour moi « LA » révélation. Je me suis tout de suite dit que c’était ce métier que je voulais faire.

Comment es-tu rentré au PGHM ?

Vu que je n’étais pas guide, je ne suis pas entré directement en PGHM. Je suis d’abord parti en Gendarmerie mobile vers Grenoble où j’ai passé toutes mes formations montagne, puis les tests d’entrée en PGHM. Pour ceux qui rentrent en Gendarmerie et qui sont déjà guide de haute montagne, ils intègrent l’école de Gendarmerie pendant un an et à l’issue, ils vont directement en PGHM. Mais il y a quand même peu de personnes qui arrivent en école en étant déjà guide. J’ai donc passé le guide dans la foulée quand j’étais au PGHM et j’ai eu le diplôme en 2010.

Travailler au PGHM de Chamonix a été un choix délibéré ?

Oui. A l’issue des examens, on te propose des places et en fonction de ton classement tu choisis une unité. J’ai choisi Chamonix. Cela fait dix ans que j’y suis et je n’ai plus envie de partir (rires).

Comment s’effectuent les premières années dans l’unité ?

Les premières années sont rythmées entre les secours au sein du PGHM et les stages CNISAG (centre national de ski et d’alpinisme gendarmerie) de Chamonix pour apprendre ce métier de secouriste, les techniques de secours, la partie judiciaire... Puis une fois en unité, il reste encore au moins une à deux années de formation pour être vraiment secouriste à part entière.

Comment sont planifiées les astreintes d’alertes ?

On travaille cinq jours par semaine et on a deux jours de repos. Sur ces cinq journées sont réparties des astreintes de première alerte à la DZ(1), de seconde alerte et d’entraînements. A la DZ tous les jours 24h/24h, il y a entre deux personnes d’alerte en basse saison, et quatre personnes en haute saison. On y est présent du lever du soleil au coucher du soleil. Ensuite il y a encore des équipes de quatre secouristes derrière ces personnes d’alerte, qui sont soit au bureau soit à 20 minutes de la DZ. Ils sont prêts à venir nous renforcer en cas de secours où il est nécessaire d’avoir plus de monde comme une avalanche, une chute de sérac, une recherche de personnes ou alors tout simplement parce qu’il y a plusieurs secours en même temps. De permanence à partir en secours, on est donc au minimum six. Nous sommes trente-huit secouristes. Le PGHM de Chamonix est la plus grosse unité de secours en montagne en France.

Sur quelles activités sportives intervenez-vous en secours le plus fréquemment ?

Nos interventions sont très variées et vont dépendre de la saison. En hiver, on va plus être sur des interventions au profit des domaines skiables avec des pathologies liées aux accidents de ski, de surf,... des sports d’hiver de station. Puis hors domaine skiable en moyenne ou haute montagne, on intervient sur des activités telles que la raquette à neige, le ski de randonnée, le ski de pente raide, et/ou sur glacier (Vallée Blanche), pour des alpinistes dans des voies glaciaires type goulottes et couloir de neige (Courtes, Droites, Tacul...) En été nous intervenons sur des secours dans les domaines de la randonnée, de l’alpinisme, du VTT, mais aussi des sports de vol libre (parapente, delta, base jump).

Le type de traumatologies a-t-il changé ces dernières années avec les nouvelles activités émergentes ?

Ce n’est pas tellement le type de traumatologies qui a changé. On traite toujours des personnes qui lorsqu'elles sont blessées, présentent des fractures, des entorses, des traumas crâniens, des problèmes dus à l’altitude (œdèmes, MAM(2))... Avec les nouvelles activités émergentes telles que VTT de descente, base-jump, wingsuit, nous avons de nouveaux types de secours et nous sommes de ce fait amenés à adapter ou améliorer nos techniques de secours.

Quelle est votre zone géographique de travail ?

Toute l’année, on travaille sur le massif du Mont-Blanc, jusqu’au massif des Aravis. Une semaine sur deux, nous faisons toute la partie est du département en dehors du massif du Mont-Blanc en mixité avec un pompier. A Annecy, il y a un PGHM qui s’occupe de toute la partie ouest du département de la Haute-Savoie et une semaine sur deux, il fait tout le département jusqu’au massif du Mont-Blanc. C’est une particularité de la Haute-Savoie. On peut nous voir travailler ici avec deux hélicos différents, soit celui de la Sécurité Civile, soit celui de la Gendarmerie.

Combien de secouristes êtes-vous à partir pour chaque secours ?

En général, dans l’hélico on part toujours à deux secouristes et un médecin. Arrivés sur le lieu du secours, on juge rapidement si nous sommes assez nombreux pour traiter et réaliser le secours à trois. Si ça ne suffit pas, on fait venir le nombre de personnes qu’il faut en fonction du nombre de victimes ; deux, quatre, six autres personnes,... mais dans 90% des cas, on arrive à traiter avec deux secouristes et un médecin. Les alertes arrivent au PGHM en centre-ville de Chamonix puis elles sont retransmises aux secouristes, médecins et équipages qui se situent à la DZ des Bois.

Vous n’utilisez pas toujours l’hélico ?

Non. Dès que l’hélico ne peut pas nous transporter sur les lieux, on part en caravane terrestre à pied, ou à ski. Ça peut durer une demi-journée, une journée, deux jours, peu importe. On utilise au mieux tous les moyens dont on dispose comme les quads ou des véhicules 4x4. S’il le faut on peut aussi demander à faire rouvrir des remontées comme celles de l’aiguille du Midi ou des Grands Montets par exemple, et ainsi gagner plusieurs heures pour rejoindre une victime.

Quelles est votre fréquence d’entraînement ?

Nous nous entraînons toute l’année, plusieurs fois par semaine. Que ce soit sur des activités telles que le ski, l’escalade, l’alpinisme mais aussi sur des exercices de secours (pédestres ou en hélico). Dès qu’il y a des périodes où il y a moins d’activité, on en profite pour s’entraîner sur des exercices de secours, et du secourisme...

Qu’est-ce qui rend certains secours plus difficiles que d’autres ?

C’est souvent la météo qui peut rendre un secours difficile. Il peut être parfois délicat pour l’hélico d’accéder directement aux victimes, du fait de l’aérologie ou par rapport à la nuit. L’hélico est capable de voler de nuit et l’équipage est équipé de jumelles à vision nocturne. Mais pour que l’on engage un hélico de nuit, il faut vraiment que la personne présente un risque vital, ou soit en danger imminent, car la nuit c’est souvent très délicat.

Quel a été le bilan de la dernière saison estivale ?

Il y a eu moins de gens en montagne cet été et on a eu moins d’accidents. C’est toujours difficile de savoir pourquoi les gens ne viennent pas à telle ou telle saison, mais là, c’est sans aucun doute à cause du mauvais temps qui a limité la fréquentation. Cet été au cours des perturbations, il a plu parfois jusqu’à 4000 m d’altitude et du coup ça a permis d’avoir cet automne dans le massif des bonnes conditions dans les voies glaciaires, les goulottes et les grandes faces telles que les Grandes Jorasses ou les Droites. Ça a engendré vraiment un regain d’activité dès septembre car il y avait vraiment beaucoup de monde en montagne à ce moment-là. Le public de l’automne est un public de pratiquants. Il est un peu différent de celui que l’on rencontre le reste de l’année.

La pratique du parapente a-t-elle modifié les objectifs des alpinistes ?

Personnellement, le parapente m’ouvre de nouveaux horizons en montagne. Le matériel a beaucoup évolué. Il est maintenant très léger et beaucoup moins encombrant. Ça te permet de le prendre beaucoup plus facilement quand tu pars en moyenne ou haute montagne. A titre d’exemple, il y a une vingtaine d’années, lorsque les gars montaient au mont Blanc, ils portaient un sac d’environ 15 kg et au sommet parfois ils ne pouvaient pas décoller à cause du vent. Maintenant, avec des voiles qui pèsent entre 1.8kg pour les plus légères et 3 kg, ce n’est pas très grave finalement si tu ne décolles pas. Dans ce cas tu redescends tranquillement à pied. En revanche si ça vole, c’est vraiment le top ! Cet automne, il y a eu pas mal de réalisations faites par des alpinistes qui ont utilisé leur parapente pour accéder au pied des voies ou pour redescendre d’une ascension comme aux Grandes Jorasses notamment mais aussi à d’autres endroits.

Des futurs projets justement en parapente ?

Le parapente me permet d’imaginer de nouveaux projets en montagne que ça soit ici ou dans d’autres massifs. Mon futur projet est une association d’alpinisme et de vol. Pour 2015, je vais tenter de traverser les Alpes exclusivement à pied et en parapente en y associant plusieurs sommets, et surtout, d’y associer des amis.

Tu t’intéresses aux nouvelles tendances telles que le wingsuit ?

Je connais juste l’activité par des copains qui la pratiquent ou par les vidéos que l’on voit passer sur internet. Je trouve ça vraiment impressionnant, et je les admire beaucoup mais je ne pense pas passer le cap. Il n’y a guère de place pour l’erreur. C’est une discipline très différente du parapente.

Tu sembles beaucoup apprécier cette vallée de Chamonix…

J’aime beaucoup Chamonix même si j’ai régulièrement besoin de retourner en Auvergne où j’ai mes racines... c’est une région de terroir, plus sauvage où les gens sont aussi plus réservés mais très attachants. J’apprécie d’être dans le massif du Mont-Blanc par rapport à ce condensé de tout ce qu’on peut faire ici. C’est pour ça que je me suis attaché à cette vallée. On y trouve toute une palette d’activités que ce soit au niveau de l’escalade, des courses dans des couloirs, de goulottes, ou de grandes faces. Mais même si j’apprécie beaucoup le coin, j’essaie quand même quand c’est possible de voir ailleurs et de découvrir d’autres massifs.

Quel est ton secteur préféré dans le massif du Mont-Blanc ?

J’aime beaucoup le secteur de l’aiguille d’Argentière. Bizarrement je me sens bien là-bas. Du sommet tu as un super panorama sur tout le bassin d’Argentière et sur le mont Blanc. Je ne me lasse jamais d’y retourner que ce soit en alpinisme ou en ski, par sa voie normale, ses arêtes ou ses voies rocheuses. Je trouve cette montagne très attirante.

Quel conseil donnerais-tu à un jeune attiré par ce métier de secouriste ?

Je pense qu’il faut déjà avoir le sens de l’engagement pour autrui. C’est un métier de secours où l’on porte assistance aux gens. On donne quelque part de nous-mêmes pour aller chercher ces personnes. On juge rarement les personnes sur ce qu’elles ont fait pour en être arrivées là. Avant tout, on va les chercher car elles ont besoin d’aide. Il faut aussi aimer travailler en équipe et savoir se remettre en question car les techniques et les matériaux évoluent tout le temps. Tu progresses aussi régulièrement dans ta réflexion et dans ta façon de penser. C’est un métier passionnant. On travaille dans un milieu ou l’on se sent bien et surtout que l’on pratique toute l’année, que ce soit en ski, en escalade, en alpinisme ou en parapente pour ma part. Porter assistance aux gens en difficulté, c’est plus qu’un métier, c’est un engagement.

(1) = DZ : Dropping Zone = Zone d'atterrissage pour un hélicoptère / (2)= MAM : Mal aigu des montagnes

Montagnes Reportages © 2014. Tous droits réservés. All rights reserved