Pierre Muller, guide de haute montagne et médecin spécialiste en secours en montagne a la passion de ses métiers chevillée au corps. Comment devient-on justement médecin de montagne ? Quelles qualités sont requises ?... Il nous explique ici le fonctionnement des secours d'urgences en montagne et nous parle de son parcours de guide.
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Pierre Muller

Montagnes Reportages : Tu es natif d’où ? Comment as-tu découvert la montagne ?

Pierre Muller : Je suis de Strasbourg. Je faisais essentiellement de la rando familiale quand j'étais gamin. Vers l’âge de douze ou treize ans, j’ai commencé à faire de la montagne avec mes parents mais là on prenait des guides.

Dans quels coins allais-tu ?

J’allais souvent en Suisse, dans le massif du mont Blanc et en Tarentaise - mes parents ont un appartement à Peisey-Nancroix, j’y passais mes vacances. Ensuite avec les copains depuis Strasbourg, j’allais beaucoup dans le Valais suisse et dans l’Oberland.

Tu t’intéressais déjà un peu au milieu montagnard ?

Oui, j’ai lu assez tôt les bouquins de Frison-Roche et « Les 100 plus belles » de Rébuffat. Ça trainait chez moi quand j’avais une dizaines d’années.

Quel est ton cursus de guide ?

J’ai d’abord fait mes études de médecine à Strasbourg et une année à Bristol en Angleterre. Je me suis ensuite installé à Briançon parce qu’un poste se libérait à l’hôpital ayant pour intitulé « secours en montagne ». Je faisais déjà pas mal de montagne à l’époque et j’avais déjà ma liste de courses pour aller au proba. Je l’ai donc passé et je l’ai eu. J’ai fait ma formation dans la foulée tout en étant assistant à l’hôpital. Je prenais des congés sans soldes pour aller en stage.

Comment travaillais-tu au début ?

Je travaillais à mi-temps guide et à mi-temps toubib par du bouche à oreille. J’ai aussi travaillé un petit peu pour un anglais installé ici qui bosse souvent avec des scolaires et avec des groupes d’étudiants anglais. Par ce biais-là j’ai eu des plans d’expés avec des jeunes clients notamment. Je suis parti faire des sommets vierges avec une école d’élèves officiers britanniques dans le Tian Shan en Asie centrale. Après je me suis libéré un peu plus et je suis passé à mi-temps en travaillant davantage.

Quels types de courses fais-tu actuellement avec tes clients ?

J’ai une clientèle très variée avec qui je fais beaucoup de voyages. Je suis allé au Kirghizstan, au Spitzberg, au Maroc ou en Jordanie. Je suis revenu depuis peu d’Asie centrale. Je vais aller au Kamtchatka et j’ai un projet en Antarctique pour 2015. Comme courses dans les Alpes, je fais des traversées de la Meije, l’Eperon Frendo, l’arête de Peuterey, mais aussi des courses type Roche-Faurio, c’est très diversifié. Depuis deux ans, je me suis associé à deux guides du coin, François Lombard et Martijn Schell. On a monté une petite boite qui s’appelle PowderGuides.

Tu as des coins privilégiés ?

Oui. J’aime beaucoup les Dolomites et j’aime bien l’Oisans. Ce sont un peu mes coins favoris. Avant j’aimais bien le Valais mais un petit peu moins maintenant.

Tu exerces où actuellement comme médecin ?

Je travaille à l’hôpital de Briançon depuis quatorze ans. J’y travaille à mi-temps mais j’ai fait pas mal d’années à temps plein. J’ai aussi bossé en Maurienne et aussi à Chamonix – de manière anecdotique car je n’ai jamais été en poste là-bas.

Comment devient-on médecin de montagne ?

Par passion car c’est vraiment le moteur. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait par accident et c’est ce que je voulais faire dès le départ. Je suis souvent contacté par des étudiants en médecine un peu partout en Europe qui me posent cette question. Il faut déjà être urgentiste et avoir une grosse expérience en SMUR, en médecine hospitalière. Il faut être capable de gérer tout seul loin de l’hôpital un malade grave, de le stabiliser et de le ramener à l’hôpital. Il faut le faire en montagne dans un environnement hostile et austère avec peu de matériel et surtout sans être secondé par une infirmière car en SMUR, elle est vraiment notre bras droit. On a bien sûr les gendarmes et les CRS qui sont là pour l’aspect technique, c’est à dire nous protéger et nous extraire mais pas forcément pour nous convier dans notre travail. Pour du secours en montagne, il faut être un urgentiste patenté.

Etre guide est-il nécessaire lorsqu’on est médecin de montagne ?

Il ne faut pas forcément être guide pour être médecin de montagne. On n’est d’ailleurs pas nombreux à être guide et médecin. Il y avait Jérôme Morachioli mais il est mort dans une avalanche il y a deux ans et demi. Il y a Manu Cauchy mais il ne fait plus d’urgences, Bernard Lanaspre à Briançon qui fait des urgences mais qui ne fait plus le guide, Luc Chardonnet à Briançon et Michel Cadot à Chamonix. J’ai appris récemment qu’Eloi Manteaux, un annecien, vient de le réussir après l’avoir raté deux fois. En Suisse, ils sont deux plus un troisième toubib qui vient de réussir le proba suisse. De plus en plus de jeunes médecins essaient le proba. De plus en plus de jeunes en parlent. Ils aiment la montagne et s’intéressent de près au secours en montagne. La qualité de la formation des médecins en France est quand même reconnue et bonne. Les nouveaux assistants avec qui on bosse sont extrêmement compétents sur le plan médical et ils tiennent sacrément debout en montagne.

Il faut donc être très à l’aise dans le milieu montagnard ?

On avait dressé à l’époque à Chamonix avec Jérôme Morachioli une sorte de cahier des charges qui stipulait d’avoir des gens en bonne condition physique, capables de faire mille mètres de dénivelé dans des temps raisonnables, de skier, de tenir debout avec des crampons, d’évoluer dans un milieu instable et raide pour que l’environnement ne constitue pas dès le départ des secours une entrave à leur réflexion et à leur action médicale. Tu arrives dans cet environnement de façon stressante. Tu es à l’hôpital et tout à coup tu te retrouves treuillé dans une pente à 45° ou un éboulis raide. Du coup là, il faut être capable de ne pas être un boulet pour les secouristes. Il faut faire abstraction de cet environnement pour pouvoir se concentrer sur sa première mission qui est de soigner la personne. Si tu n’es pas montagnard, tu es effrayé et tu n’es plus en mesure d’agir sur le plan médical même si tu es un très bon médecin.

L'urgence médicale des secours en montagne est-elle une spécialité à part entière ?

Non car on est trop peu nombreux mais beaucoup de gens pensent que c’est une spécialité. Il y a un DU que j’encadre. C’est le Diplôme Universitaire de médecine de montagne dispensé à Grenoble et Toulouse. Mais c’est juste une formation, ce n’est pas une spécialité proprement dite. C’est un complément de formation qui se dispense sur deux ans au cours de cinq ou six stages d’une semaine. Il n’y a aucune sélection pour faire ce DU. Un gynéco ou un pédiatre peut le faire même s’il ne fait jamais de secours en montagne. Mais ça nous permet de repérer un peu les urgentistes qui ont le pied montagnard et une vraie sensibilité montagnarde, et de faire comprendre les enjeux, d’expliquer ce qu’est notre métier.

Comment se composent les permanences à l'hôpital ?

Déjà il faut dire qu’on n’est pas tout à fait organisé de la même manière dans les différents massifs. En Maurienne, à Grenoble et à Chamonix, il y a un médecin attitré en poste à la DZ prêt à partir avec les gendarmes - en tout cas, au moins pendant la haute saison. Depuis cette année à Chamonix, ils sont passés avec un médecin en poste à la DZ et ceci 365 jours par an. Ce sont les seuls en France. A Briançon, nous sommes trois à la journée avec un médecin désigné pour le secours en montagne. Nous ne sommes pas sur toutes les interventions si elles ne se justifient absolument pas. Chez nous ça a changé depuis quelques temps car il y a des pressions et des guerres terribles sur les enjeux du secours en montagne et sur le préjudice qu’on fait courir à la victime parce que les services de l'‘Etat ne s’entendent pas forcément et se livrent une guerre sans merci.

Sur qui tombe-t-on quand on fait le numéro des urgences, le 112 ?

Dans les Hautes-Alpes, si tu fais le 112 ou le 04 92 22 22 22, tu tombes sur le planton pompier. Il y a ensuite un basculement au PGHM ou à la CRS. Ce n’est pas le cas en Isère ou lorsque tu fais le 04 76 22 22 22, tu tombes sur le planton du PGHM ou de la CRS une semaine sur deux. Quand c’est du médical ou de la traumato qui implique un blessé, une victime, un malade, il y a forcément un médecin régulateur du SAMU qui rentre dans la boucle et qui décide des moyens qu’on met en œuvre pour le secours.

Quelle est ensuite la chronologie du processus d’intervention ?

L’alerte étant donnée, on juge si c’est alors nécessaire de mettre un médecin à bord de l’hélico. Si c’est le cas, l’hélico nous prend en tenue sur le toit de l’hôpital. Après avoir fait notre intervention, on décide soit de ramener la personne à l’hôpital, c’est ce qu’on appelle un primaire classique. Ou alors on fait un primo-secondaire, on prend le malade si on estime que sa gravité nécessite d’être prise en charge dans un service très spécialisé, particulièrement pour la neurotrauma, la trauma cérébrale grave. Pour les polytraumatisés sévères avec des lésions du bassin, ils ne transitent plus par Briançon. On les envoie directement à la cellule de déchoquage à Grenoble.

Les types de traumatologies rencontrés en Oisans sont-ils les mêmes que dans les autres massifs ?

Exactement et c’est tout à fait superposable. Selon la saison, il y a de la randonnée, de l’alpinisme, du VTT, du ski sur piste ou hors-piste. C’est aussi nous qui intervenons pour le ski sur piste quand c’est grave. C’est très varié avec beaucoup de traumatos lourdes, voire très lourdes notamment au cœur de l’été ou au cœur de l’hiver. Il y a sept, huit, neuf morts par hiver pour nous sachant qu’il y en a une trentaine par an en France. On a beaucoup d’avalanchés l’hiver car notre département est très étendu, il est parcouru par beaucoup de skieurs de rando. En nombre de secours, on reste les deuxièmes en France en nombres d’interventions par an, les plus actifs étant Chamonix.

Vous êtes parfois confrontés à des secours abusifs ?

On a effectivement régulièrement des secours abusifs, comme des gens qui arrivent trop tard sur les arêtes de la Meije et qu’il faut aller chercher. Mais je ne peux pas dire que ce soit l’essentiel des sorties et que ça soit extrêmement pénalisant pour nous. Les gens sont heureusement respectueux et font attention. Mais ça arrive beaucoup l’hiver à la Grave. Il y a des itinéraires où il faut une corde pour descendre en rappels. Les gens s’embarquent alors dans des itinéraires parce qu’ils voient des traces de skis en se disant que s’il y a des traces, ça doit déboucher. Ça débouche effectivement si tu as 60 m de corde, un baudrier et un descendeur. Alors ils se retrouvent parfois coincés en haut des rappels d’Orcières, et là ils appellent l’hélico. C’est extrêmement pénible l’hiver d’aller chercher dix ou quinze mecs par jour quand c’est la pleine saison à la Grave.

As-tu été confronté à des interventions assez périlleuses ?

Oui. Des interventions très traumatisantes psychologiquement avec des morts de copains, de jeunes… En quatorze ans il y a eu effectivement un peu de tout ça.

Tu participes aussi à des expés en tant que médecin ?

Il n’y a plus aucune expédition nationale qui peut se payer un médecin d’expé. Maintenant ce sont des expés légères qui n’ont pas les moyens. Il y a souvent un médecin dans l’expé mais il est là comme grimpeur. Maintenant on fait en général soit de la télémédecine avec l’Ifremmont, soit on me téléphone avant pour constituer une trousse de secours mais ça, c’est un peu à la bonne franquette. Je ne le fais qu’avec des amis et pas pour des expés commerciales. Quand je pars, c’est comme guide et comme chef d’expé en ayant évidemment une trousse de secours hyper complète. Et puis dans tous ceux qui se prétendaient médecins d’expés, il y avait vraiment de tout, y compris des gens qui n’avaient aucune expérience des urgences et encore moins de la haute altitude. Tout le monde peut se prétendre médecin d’expé dès lors qu’il a fait le diplôme de médecine de montagne et fait deux voyages au Népal, ça me parait assez « light ».

Les femmes sont aussi bien présentes dans les secours en montagne ?

Oui. Dans notre équipe il y en a trois qui sont super compétentes et sont de très bonnes toubibs. Ce sont toutes des montagnardes. Une est monitrice d’escalade. Une autre est elle-même femme de guide avec une très bonne condition physique. La troisième est skieuse de fond. Il y a maintenant au moins 30% de filles dans les secours en montagne. Ça augmente car il n’y en avait nulle part auparavant. C’est un peu comme les proportions d’étudiants en médecine qui se sont inversées : il y a maintenant plus de filles que d’hommes dans les facs de médecine.

Y-a-t-il eu une nette évolution de la science dans la médecine de montagne ces dernières années ?

Pour la médecine hospitalière SMUR et les urgences, il y a eu une vraie révolution et ça s’est forcément répercuté sur la médecine de montagne. Mais la médecine de montagne souffre d’être un peu petite et orpheline, du coup il n’y a pas beaucoup de gens qui font de la recherche scientifique et universitaire pour faire avancer la science dans ce domaine. C’est tout simplement parce qu’on n’a pas de grandes séries. Pour arriver à faire avancer la médecine, pour valider des nouveaux gestes et des nouvelles thérapies, il faut faire des études. Et faire des études nécessite des grandes séries. En montagne, on n’a pas de grandes séries. Ce n’est pas comme les infarctus, ça reste quand même à petite échelle. Et pour tirer des conclusions et valider nos actes thérapeutiques, c’est beaucoup plus compliqué, long et difficile.

Vous vous rencontrez régulièrement entre confrères ?

L’Association Nationale des Médecins du Secours en Montagne (ANMSM) regroupe tous les médecins de montagne de France, qu’ils soient pyrénéens, niçois, grenoblois, chamoniards, mauriennais... On se rencontre donc régulièrement. On a d'ailleurs eu un congrès l’hiver dernier à Valloire. J’étais modérateur des débats. C’est sympa et convivial car on est encore une toute petite famille. On se connait tous et on invite en général les collègues suisses et italiens à nos congrès, et vice-versa. La communication et les débats sont d’un bon niveau.

Les caravanes de secours terrestres se pratiquent toujours ?

Oui, c’est même assez régulier quand l’hélico ne peut pas voler. En nuit noire sans lune, dans le mauvais temps ou quand on ne peut attendre le matin, dans ce cas on y va à pied. Ça peut être très long, surtout en Oisans. L’été, il y a des alertes régulières.

Es-tu attiré par la très haute altitude ?

Jusqu’à présent ça ne m’a pas vraiment attiré. Le plus haut où je sois allé, ce sont les Tours de Trango au Pakistan. Je suis aussi allé un peu au Népal pour encadrer des stages de guides et de secours en montagne pour la Nepal Mountaineering Association. Je n’ai donc pas l’expérience de la haute altitude. J’ai par contre un projet en amateur de peut-être aller sur un 8000 facile en juillet prochain avec Mathieu Maynadier et un autre gars. Mathieu m’a proposé d’aller prendre la mesure de cette haute altitude.

> Le site web de Pierre Muller ici

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