Comment devient-on maître-chien d'avalanche ? Quelles sont les qualités essentielles recherchées chez un chien d’avalanche ? Comment s’effectuent l'entraînement et les interventions ?... Maximo Lopez est maitre-chien d'avalanche au PGHM de Chamonix et nous explique tout sur son métier.
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
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Collection photos : Maximo Lopez

Montagnes Reportages : Quelles sont tes fonctions actuellement ?

Maximo Lopez : Je travaille au Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix [PGHM] depuis 1999. J’exerce la fonction de secouriste et maître-chien d’avalanche. J'interviens l’hiver pour secourir les victimes d’avalanches. L’été je peux également faire de la recherche de personnes disparues ou égarées.

Vous êtes combien de maîtres-chiens au PGHM de Chamonix ?

Nous sommes actuellement trois maîtres-chiens. En Gendarmerie sur la France entière, on doit être environ vingt-cinq, mais après il y a aussi tous les services des pistes des stations de la vallée de Chamonix qui sont aussi pourvus de chiens.

Vous travaillez géographiquement dans quels massifs ?

On travaille dans le massif du mont Blanc mais on peut être appelé en renfort dans le département de la Haute-Savoie. En 2005, des ressortissants français avaient été emportés par une grosse avalanche au Népal ; deux maîtres-chiens étaient partis là-bas pour essayer de retrouver les corps. Sur le plan administratif ce n'est jamais facile de partir du jour au lendemain au Népal avec des animaux car au retour il y a la quarantaine à respecter. C'est surtout le risque de revenir sans son chien.

Comment es-tu devenu maître-chien d’avalanche ?

Il faut déjà avoir la vocation. Elle m’est venue quand j'ai effectué mon service militaire à Briançon où j'ai servi de cobaye pour des gendarmes en formation avec leurs chiens. J’ai passé un mois de janvier à servir de victime dans des trous dans la neige. Je me suis dit que ce métier me plairait bien.

Quelles sont les formations pour devenir maître-chien ?

En Gendarmerie nous sommes formés par notre propre école. Sinon chaque année l’ANENA [Association Nationale pour l’Etude de la Neige et des Avalanches] organise un stage aux Deux-Alpes. Les chiens des services des pistes des stations de ski de France et de Navarre y sont amenés pour être formés. Pour la partie recherche estivale, les gendarmes sont formés à Gramat dans le Lot ; pour la partie recherche hivernale c’est à Montgenèvre dans les Hautes-Alpes. On effectue un stage de trois semaines. Il y a ensuite l'année suivante un stage de perfectionnement qui dure quinze jours. Au bout de trois semaines de formation, le chien a normalement déjà acquis les fondamentaux. On fait des recyclages régulièrement, c’est aussi l'occasion de se rencontrer entre maîtres-chiens.

Comment est sélectionné un chien d’avalanche ?

Il faut déjà déterminer quel chien a des bonnes aptitudes physiques. La recherche en avalanche sera une des disciplines les plus difficiles pour lui, ce sera très physique. Avec un déplacement qui est souvent ardu, il faut que le chien essaie de remonter les odeurs du manteau neigeux. En plus d'être endurant et en ayant un gros potentiel physique, il doit ensuite être apte ; c'est-à-dire qu’au niveau de son ossature, il doit être bien charpenté pour pouvoir exercer sa fonction dans le temps. On ne doit pas avoir de surprise au bout de deux ou trois ans avec un chien qui a des problèmes de dysplasie (problème de hanche). Une fois que le côté physique et médical est bon, on va rechercher un chien joueur car on ne peut pas faire travailler un chien en avalanche s’il ne l’est pas. Le chien n'a pas conscience de sauver quelqu'un quand il fait une recherche. Il sait juste qu'une personne se trouve sous la neige et qu’il aura son jouet comme récompense s’il la trouve. En même temps on va rechercher un chien joueur qui ait aussi beaucoup d'abnégation. Pour le savoir, on va cacher son jouet et regarder combien de temps il le cherchera. Si le chien arrête sa recherche au bout de quelques secondes, on sait déjà que le chien n'est pas joueur et qu’il n’a en plus pas trop de volonté. Dans ce cas, il ne pourra pas faire l'affaire en recherche avalanche. Ensuite ce n'est pas le tout d’avoir trouvé un chien, il lui faut aussi un maître. Les deux caractères doivent s'accorder. On répond donc à un questionnaire pour savoir quel type de chien on aimerait avoir, lequel nous correspondrait le mieux, en fonction des chiens disponibles.

Où vous fournissez-vous ?

Il y a des élevages un peu partout, mais en ce qui nous concerne, c'est notre administration qui nous les fournit. On est surtout doté de chiens de type Berger belge malinois, et aussi de Berger allemand. Nous avons de plus en plus de Bergers allemands louvés qui sont un petit peu typés loup, un peu gris foncé au lieu d'être brun fauve et noir. On les trouve dans les pays de l'Est et depuis vingt-cinq ans on exploite ce filon. On a du mal à trouver l'archétype du Berger allemand car la plupart a souvent des dysplasies. Personnellement j'ai eu la chance d'avoir un Berger allemand comme premier chien. Mon deuxième chien actuel Burn, est un Berger malinois, il a sept ans.

D'autres races sont utilisées ?

Oui, on trouve aussi d'autres races comme les Flat Coated, les Labradors et aussi les Border Collie. Actuellement le Border Collie est un peu remis en cause dans la recherche en avalanche, mais il en existe qui font malgré tout un excellent travail. Sur l’avalanche, c’est souvent très dur pour le chien ; il s'enfonce, il peut faire très froid. C’est là que les Malinois, les Bergers allemands et les Flat Coated vont arriver à bien tirer leur épingle du jeu. Je pense que dans des conditions rudes, les Labradors et les Border Collie ont moins le mental.

Un maître-chien travaille avec un seul chien ?

Normalement il n'a qu'un seul chien mais par contre il y a des chiens qui peuvent travailler avec plusieurs maîtres.

Quels sont les qualités d'un bon maître-chien… ?

Il faut beaucoup de patience pour le dressage du chien. On se doit d’être toujours d'humeur égale parce que le chien est toujours pareil et ressent toutes nos émotions et notre stress. Ce serait injuste de lui faire subir nos humeurs de caractère si on est énervé. Quand nous sommes en intervention le chien ressent d’ailleurs tout de suite que ce n'est pas comme d'habitude.

… et pour un chien d'avalanche ?

Déjà, parmi les chiens que l'on utilise, nous ne prenons que des mâles, jamais de femelles. Si deux mâles et une femelle étaient amenés à travailler ensemble sur une avalanche, ça pourrait poser des problèmes. Ensuite il faut que le chien soit régulier, qu’il ait toujours la même volonté et le même physique. Il ne faut pas que le jour J, il n'ait pas envie de chercher. D'ailleurs souvent quand il n’a pas envie de chercher, ce n'est pas de sa faute, c'est souvent le maître qui a commis une erreur ; le chien peut avoir pris un choc par sa faute ou s'être blessé avec une pelle. Si un chien est désagréable, il ne revient pas et va essayer de fuir ce qu’il n'aime pas. C’est donc souvent dû à un accident arrivé précédemment si un chien a un problème.

Comment s'effectue l'entraînement du chien ?

Il faut toujours conserver au chien un entraînement physique et il ne faut surtout pas qu’il sorte des limites qu'on lui a fixées ; il va tenter tous les jours d'aller au-delà de ce qui lui est autorisé. Il faut donc le surveiller en permanence car si on n’arrive plus à avoir d'autorité sur lui, on ne peut plus le faire travailler correctement. On ne relâche donc pas la discipline physique même l'été ; on peut lui faire chercher des personnes cachées dans un bout de forêt ou dans des rochers. On lui fait travailler ses aboiements à la découverte. Quand il a détecté quelqu'un, il s'assoit et aboie jusqu'à ce que son maître arrive. L'intérêt est que sur une avalanche par mauvais temps ou de nuit, le maître saura dans ce cas-là qu'il a trouvé quelque chose.

Le chien ne craint pas trop le froid ?

Non. Ce sont des combattants et ce n'est pas le froid qui les inquiète. Le chien peut travailler jusqu'à -15° tant qu’il n'est pas mouillé. Il développe aussi un sous poil qui le protège. Lorsqu'il a détecté une odeur sous la neige, il gratte avec ses pattes pour montrer à son maître où est la victime. Ses coussinets peuvent être endommagés à force de gratter selon la qualité de la neige. Sur les avalanches de séracs où il y a de la glace, ils peuvent vraiment s'abîmer les pattes très rapidement. Il existe des pommades pour graisser les coussinets et les faire durcir par la suite.

Le flair du chien est vraiment exceptionnel ?

Il possède à peu près quarante fois plus d'odorat que l’homme. Sur une avalanche, il va arriver à différencier les odeurs provenant de l’intérieur du manteau neigeux et les odeurs qui sont en surface. Bien sûr il y a la théorie et la pratique. En exercice ça se passe souvent très bien mais dans la pratique le marquage - le grattage - n’est pas toujours aussi caractéristique qu'en exercice et c’est bien souvent plus difficile. Il faut alors bien savoir lire son chien pour savoir ce qu'il veut nous dire.

Il a un régime alimentaire particulier ?

Non. Quand l’hiver arrive on peut augmenter les doses en lui donnant un peu d'huile de foie de morue mélangée à ses croquettes ou des sardines à l’huile pour qu’il puisse lutter contre le froid plus facilement.

Le processus d’intervention est très rapide dès que l’alerte est donnée ?

Comme le massif du mont Blanc n'est pas très grand on arrive rapidement sur les lieux quand il ne fait pas trop mauvais. Il y a bien sûr d'autres massifs ou cela prend de plus de temps et ce n’est bien sûr pas favorable pour les personnes ensevelies. Le plus efficace pour sauver des personnes ensevelies reste l’auto-sauvetage avec l’intervention immédiate des membres du groupe grâce au détecteur des victimes d’avalanche (DVA). Nous autres arrivons souvent après. Il faut aussi que les odeurs aient le temps de sortir pour que le chien puisse travailler. Si on arrive trop tôt elles ne seront peut-être pas encore sorties du manteau neigeux.

Quel processus se met en place dès votre arrivée sur une zone d'avalanche ?

Déjà on effectue un survol en hélico pour observer comment s'est écoulée la neige et on regarde s'il existe des indices de surface. On regarde aussi d’où vient le vent de façon à faire travailler le chien face au vent et non pas dos au vent pour que les effluves arrivent vers lui. On va essayer d’économiser le chien ; si c’est trop raide on va le faire travailler du haut en bas si ce n'est pas raide, du bas vers le haut. Vis à vis des sondeurs qui vont intervenir pour nous prêter main forte, il faut également ne pas trop souiller la zone avec le survol de l'hélicoptère. A un moment donné ils ont chaud et déposent leurs vestes sur la neige ; cela crée des points chauds qui peuvent retarder le travail du chien et le gêner dans sa recherche. On fait donc très attention à tous ces paramètres. Ensuite il faut être sûr que le chien parcourt toute l'avalanche avec des zones préférentielles. Si le premier chien n’a rien trouvé, ça laisse le temps au deuxième chien d'arriver et de parcourir à son tour l'avalanche. Les deux chiens peuvent aussi la parcourir en même temps. Une des qualités requises aussi pour un chien est qu’il ne soit pas bagarreur car il doit pouvoir travailler avec ses congénères sur l'avalanche.

Quand le chien aboie et marque l’arrêt…

Le chien fait à ce moment-là un marquage. Il faut essayer de ne surtout pas faire effondrer la poche d’air que la personne ensevelie est susceptible d'avoir. Avec la sonde on va essayer de toucher la personne et si par chance on y arrive, on plante une deuxième sonde pour savoir dans quel sens cette personne se trouve. Et ce n'est pas parce que nous l’avons trouvée que la recherche est terminée et qu’il faut s'arrêter là. A ce moment-là le chien est content et excité, on se met alors en retrait sur le côté pour que les pelleteurs commencent leur travail et que les secouristes interviennent pour dégager et réanimer la ou les personnes. Ensuite nous relançons le chien pour poursuivre la recherche.

Il y a une profondeur maximum pour que le chien puisse détecter une personne ensevelie ?

Cela dépend surtout de la qualité de la neige. Plus elle est compactée et moins l'odeur ressortira. J'ai déjà vu des victimes ensevelies avec seulement vingt centimètres de neige au-dessus d’elles avec aucune odeur qui ne sortait. Là c’était une plaque à vent qui s'était compactée, c’était complètement étanche. On a retrouvé les victimes à la sonde le lendemain. Tous les chiens qui était passés dessus n’avaient rien flairé.

Combien de temps travaille un chien sur une avalanche ?

Tout dépend comment porte la neige et si on s'enfonce ou pas. S’il y a plusieurs chiens, on va essayer de les faire tourner pour ne pas les épuiser. Je pense qu'au bout de douze à quinze minutes le chien mérite de se reposer un peu. On lui envoie alors un petit copain à sa place et ainsi de suite.

Vous utilisez aussi des caravanes terrestres ?

C'est rare mais ça peut effectivement arriver. A ce moment-là on se déplace en motoneige ou à skis avec le chien dans notre trace. Le chien est familiarisé avec tous ces paramètres ; il faut qu'il puisse prendre un télésiège ou monter sur un siège de scooter, sur une remorque… en général il aime bien et fait confiance à son maître, ça ne lui pose aucun problème.

La méthode de recherche est différente selon le type d'avalanche ?

Non, la méthode n'est pas très différente. Par contre il faut faire très attention aux risques de sur-avalanche et il faut parfois savoir renoncer. Et puis dans une avalanche, nous n'avons pas parfois la certitude qu'il y a quelqu'un dessous. Neuf fois sur dix on nous demande quand même d'effectuer une reconnaissance. Des témoins peuvent prétendre avoir vu des skieurs dans l'avalanche, mais souvent, ce sont des souches d'arbres. Il faut donc être bien sûr d'avoir le maximum d’éléments avant d'intervenir. Ce serait bête de prendre beaucoup de risques alors que personne n’est enseveli.

Vous avez eu des grosses interventions récemment ?

Oui. Fin décembre de l’année dernière, nous sommes allés en renfort dans le département pour une grosse avalanche à la station de la Clusaz. Deux personnes étaient décédées, elles avaient déjà été découvertes lorsque nous sommes arrivés. Il fallait quand même vérifier s'il n'y avait pas d'autres personnes ensevelies. Les trois chiens présents ont cherché mais n'ont rien trouvé, pas plus que les sondeurs. Il peut arriver aussi que la neige se soit énormément compactée et dans ce cas l'odeur de l'être humain ne ressort pas. Tous les chiens auront beau passer mais rien n'y fera. A ce moment-là on aère le manteau neigeux par des vagues de sondages et ensuite on fait repasser les chiens. Mais tout ça demande des gros délais, avec peu de chances de retrouver les gens vivants.

As-tu déjà été confronté à des interventions difficiles?

Les dangers objectifs sont ce qu’il y a de plus délicat et surtout à craindre. Parfois nous travaillons sous des séracs ou de la neige en équilibre au-dessus de nous, c'est surtout là que c'est dangereux. Ça m’est déjà arrivé de devoir m'échapper en courant parce que le pilote de l'hélicoptère nous annonçait que l'avalanche repartait au-dessus de nous. Heureusement, l’avalanche avançait doucement et j'ai eu le temps de me sauver avec le chien. C'est arrivé à plusieurs reprises.

Un chien d’avalanche travaille combien d'années?

Si le chien est en bonne santé, jusqu'à huit ou neuf ans. Au-delà ce n'est pas très bien raisonnable ni pour le chien ni pour les victimes.

Une petite récompense pour le chien quand il a bien travaillé ?

Il ne faut pas trop les récompenser sur le lieu de l'avalanche mais plutôt à l'extérieur lorsque le travail est fini. Certains chiens reçoivent un os pour se défouler ou des sardines à l’huile... les chiens d'avalanche ne sont pas malheureux.

 

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