Que de chemin parcouru pour Stéphanie Bodet depuis ses premières escalades cafistes dans les Ecrins quand elle avait quatorze ans. Stéphanie évoque ses débuts en escalade et en compétition, ses passions, ses voyages, ses rencontres... et son plaisir des mots qu'elle a posés récemment sur les images de Bertrand Delapierre, « J'ai demandé la lune au rocher », à voir ou à revoir...
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
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Crédits photos : Jocelyn Chavy, Bertrand Delapierre, Thibault Saubusse, David Kaszlikowski, Sean Leary, Arnaud Petit, Thomas Viallelet.

Montagnes Reportages : Tu es originaire d’où ?

Stéphanie Bodet : Je suis née à Limoges. A l’âge d’un an et demi je suis arrivée dans les Hautes-Alpes quand mes parents se sont installés à Gap où j’ai grandi. Ils rêvaient de nature et de montagne et se sont tout de suite passionnés pour cette région et nous ont fait découvrir tous les recoins du Dévoluy, du Champsaur ou du Queyras. On était sur les sentiers, en ski de rando ou à pied chaque week-end et pendant les vacances. Ils avaient aménagé sommairement un Trafic et on partait tous les cinq en montagne avec mon frère et ma sœur. C'était intense !

Tu commençais déjà à regarder les parois ?

J'ai des souvenirs d'escalade assez anciens comme de grimpouiller avec mon frère sur des blocs dans la vallée étroite près de Bardonnechia mais c'était comme grimper aux arbres. On s'amusait. Plus tard, ma maman nous a inscrits à un stage de trois jours à Réotier vers Montdauphin. J'avais onze ans et je crois que je n’avais pas tellement aimé. On grimpait en baskets sur des dalles toutes lisses et bien patinées et ce n’était pas très gratifiant, d'autant que mon petit frère était meilleur que moi et j’avais dû être un peu touchée dans mon amour propre [rires]. A quatorze ans je me suis inscrite aux sorties escalade du CAF et c'est à ce moment là que j'ai réellement commencé à grimper. Et évidemment à Ceüse, sans vraiment me rendre compte du privilège que j'avais de commencer sur cette falaise incroyable. Après, je n’ai plus jamais arrêté ! Au départ, j’étais dans une dynamique à l’ancienne qui n’est plus la même aujourd’hui. On allait au Mont Aiguille ou à la Dibona où je grimpais en tête un an et demi après mes débuts - j'imagine que Rolland Marie qui nous encadrait laissait de temps à autres des rallonges... Au début je voulais être à l'aise sur le rocher pour être à l'aise en montagne mais ensuite, l'escalade pure a pris le dessus.

Tu t'intéressais aux magazines de montagne ?

Mes parents étaient abonnés à Alpirando et Montagnes Magazine. Mon papa s'intéressait à l'actualité de la montagne de manière assez large et il me parlait parfois des éditos de Sylvain Jouty ou de Jean-Mi Asselin qui est vraiment un chouette écrivain. Il aimait surtout les classiques de la littérature de montagne, avec un faible pour le style un peu ampoulé de De Saussure qui nous a accompagné lignes après lignes sur un tour du Mont Blanc en famille ! Et il savourait la joyeuse prose de Livanos, que j'ai lu et adoré moi aussi !
Les magazines, je les feuilletais car ça faisait partie de mon quotidien mais je regardais surtout les photos des beaux grimpeurs et grimpeuses qui me faisaient rêver sur du rocher très lisse et très pur. Ce qui est amusant, c'est que quelques années plus tard, avec Arnaud, j'ai été immergée dans ce milieu. Arnaud a en effet participé aux débuts de Grimper et quelques années plus tard, il a rejoint l'équipe de Rock n'Wall, le magazine crée par Patrick Edlinger.
Je ne me doutais pas que quelques années plus tard nous apporterions notre petit caillou à l'édifice des livres de montagne en publiant Parois de légende qui est plus le bébé d'Arnaud (un livre sur nos plus belles escalades autour du monde) et Salto Angel qui est le récit que j'ai écrit suite à notre expédition au Venezuela.

Tu te destinais à faire des études de lettres ?

Pas spécialement. J'avais aussi hésité à faire Histoire ou Histoire de l'art. J'avais finalement choisi la fac de lettres parce que j’aimais lire et écrire. Je m’étais dit qu’il fallait de toute façon bien faire quelque chose mais je n’avais pas spécialement envie d’être prof ou instit. Après le DEUG, j'avais vingt ans lorsque ma petite sœur est décédée brutalement. J’ai alors complètement arrêté les études pendant deux ans pour ne faire que de l’escalade. Ça a été une espèce de révolte. Il m'a semblé que je ne serais plus jamais capable d'avoir une vie normale, que tout était trop bref et trop fragile. Avant, je n'en parlais pas mais je sais que le véritable tournant s'est fait à ce moment-là, même si après, j’ai brièvement repris mes études, passé le CAPES et enseigné un an et demi.

Comment as-tu commencé la compétition ?

On était un petit groupe de jeunes au CAF de Gap encadré par un BE super motivé, Jean-marc Mérot et un guide enthousiaste, Rolland Marie. Ils ont beaucoup compté tous les deux pour moi. Rolland nous a motivé à faire de la compétition. Ce qui me plaisait, c'était cette ambiance de copains du même âge qui ne cherchaient finalement pas tant à rivaliser entre eux qu'à passer du bon temps. J’étais surtout ravie de découvrir de nouvelles falaises où les compétitions avaient lieu à ce moment là et petit à petit, l'escalade a pris beaucoup de place dans ma vie. J'ai même abandonné la flûte que j'adorais. Lors de mon premier championnat de France jeune, j'étais cadette et je n’avais jamais mis les pieds sur un mur d’escalade et c’est à ce moment-là que j’ai découvert les prises artificielles. Ça n'a pas été facile et j'ai terminé dernière de la finale [rires]. A dix-sept ans, comme j'avais un tempérament indépendant, j’ai décidé d’aller passer mon bac à Aix-en-Provence. C’était le début du pôle escalade au CREPS. Le mur promis n'était pas encore construit et comme je n’avais pas de voiture, c’était donc assez compliqué d'aller grimper en falaise. Olivier Guidi, l'entraîneur du CREPS m’y emmenait parfois heureusement ! Au final, j'ai moins passé de temps à grimper qu'à admirer l'architecture aixoise et à découvrir les bonheurs de la vie étudiante avec ma copine de terminale !

Qu’est-ce qui t’a décidé à continuer dans cette dynamique ?

Ma façon de grimper et mon niveau ont vraiment évolué lorsque j'ai rencontré Arnaud [Petit] en 1995. Ça a été le coup de foudre et notre relation est vite devenue « sérieuse » et mon entraînement aussi ! Grimper à l'époque avec François Petit, Marie Guillet ou Liv Sansoz, m'a fait entrer dans une dynamique d’entraînement que je ne connaissais pas auparavant.

Combien a duré cette période de compétitions ?

A peu près cinq ans. Au championnat d’Europe au Zénith à Paris en 1996, j’ai fait 3ème, j’avais alors dix-neuf ans. Ensuite j’ai souvent terminé 3ème de la coupe du monde en difficulté. Devant il y avait Liv, Katie Brown, Laurence Guyon et Muriel Sarkany qui randonnaient dans des 8a+/8b à vue sur résine, alors je m'aperçois que c'était déjà pas si mal !
C'est avec l'arrivée des coupes du monde de blocs que j'ai davantage pu m’exprimer car j’avais plus de force que d’endurance. En 1999, j'ai gagné la coupe du monde de bloc et les X-Games à San Francisco.

Des sponsors te suivaient à cette époque ?

Je n’avais pas de contrats fixes mais des primes aux résultats avec Petzl, La Sportiva et Beal qui s'ajoutaient aux primes des compètes. Comme je faisais pas mal de podiums, je commençais à gagner ma vie. Je n’avais pas besoin de travailler l’été pour payer mes études et ça me permettait d’être quasi autonome financièrement vis-à-vis de mes parents. Avec Arnaud, on a retapé un appartement en 1996, avec l'aide de nos parents et on a profité de notre relative autonomie pour voyager. On est parti à Madagascar avant la saison de coupe du monde en 1998 pour gravir notre premier big wall. On était déjà attiré par les grandes voies et les destinations d’escalade qui n’étaient pas encore trop explorées. Ce qui a beaucoup changé par rapport à aujourd’hui, c’est qu’à cette époque, les marques ne donnaient pas d'argent à des jeunes grimpeurs pour voyager. Hormis les pionniers tels qu'Alex Huber, les grimpeurs qui vivaient comme ça étaient très rares. Maintenant que la vidéo est devenue accessible à tous et que les moyens de communication se sont multipliés sur le net, les marques ont avantage à communiquer sur des jeunes qui ont le goût de l'exploration, qui voyagent pour ouvrir de nouveaux blocs ou faire des grandes voies... L’escalade s’est diversifiée ; il y a les bloqueurs, les falaisistes, ceux qui font de la grande voie, ou certains qui font de tout comme Adam Ondra qui arrive à traverser toutes les disciplines avec un génie incroyable.

Comment es-tu passée de la falaise et des compétitions aux grandes voies et aux voyages ?

Lorsque Arnaud était gamin, des gens comme Rébuffat et autres grands noms le faisaient rêver. A onze ans il plantait des pitons sur des blocs derrière chez lui à Albertville. Il avait des rêves d’ouvertures depuis très jeune. De mon côté, j’avais envie de voyages et d’aventures car j’ai toujours aimé l’inconnu. J’avais fait des grandes voies faciles aux Gillardes dans le Dévoluy ou en Oisans mais je n’étais jamais allée dans le massif du Mont Blanc. En 1997, Arnaud avait commencé à ouvrir sa voie au Grand Capucin assuré par Pascal Gaudin et son papa. A la fin de l'été, j’ai laissé tomber Arco, une compète importante pour l'aider à terminer sa voie. J’ai alors découvert cette magnifique flèche de granit et la beauté incroyable du massif. J’ai senti qu’il y avait autre chose, une autre dimension, mais qui était aussi douloureuse et pas franchement facile. Autant j’étais à l'aise en calcaire autant, sur le granit, je ne comprenais rien ou presque ! Je me suis rendu compte que ce qui me plaisait en escalade, c’était de découvrir de nouveaux rochers, de nouveaux styles, de me remettre en question et de ne pas me contenter uniquement de voies sportives ou peut-être aussi parce que je n’avais pas assez de motivations au niveau de la performance pure. Ce qui était parfait, c’est qu'Arnaud était dans le même état d'esprit.

Difficile de garder un haut niveau ?

Ce qui est difficile c'est de garder la motivation pour répéter la même chose. Cela doit dépendre du tempérament de chacun. Dans mon cas j'ai toujours été plus attirée par l'aventure que par la performance sportive. Je m'en suis aperçue assez vite. Lorsqu'en salle d'isolement de compète tu lis Ella Maillard ou Nicolas Bouvier et que tes voisins lisent « Sport et Vie », tu vois qu'il y a un décalage et que tu n'es sans doute pas sur le bon chemin.
En fait, je vis le haut niveau comme une expérience limitative, trop éloignée de ce qui fait à mon sens la richesse de la vie.
Il y a trois ans, j’ai essayé de me remettre un petit peu à grimper dur avec deux projets difficiles pour moi en un seul été. J’ai finalement échoué dans les deux. Je n’ai réussi ni à faire complètement en libre la voie d’Arnaud au Grand Capucin avec une longueur en 8b à 3600m ni le 8c que j’essayais à Céüse. Cette expérience m'a fait beaucoup de bien. Elle m'a permis de réaliser une fois pour toute qu'à être trop tournée vers la performance, j’appauvrissais ma relation avec l'escalade et que je perdais de vue l’essentiel. Bien sûr, c'est personnel et j'admire ceux et celles qui ont l'opiniâtreté que je n'ai pas.

Revenir vivre dans les Hautes-Alpes était important pour toi ?

J’ai quitté les Hautes-Alpes à dix-sept ans pour aller à Aix où j’ai passé trois ans et Arnaud m’a rejoint la dernière année. Ensuite on a fait une escale à Grenoble. On a aussi vécu trois ans dans un village paumé au-dessus d'Albertville. J’adorais l'endroit car j’ai besoin d’être à la campagne. Par la suite, on est allé à Chambéry où j’ai passé le CAPES de lettres pour finir mes études. Après ça, j’avais vraiment eu une grande nostalgie des Hautes-Alpes et je n’avais qu’une envie, y retourner ! Arnaud était amoureux de Céüse depuis son plus jeune âge et le petit village de Sigoyer est devenu notre camp de base.

Quelle est la spécificité de l’escalade à Céüse ?

C’est une escalade de face dans un calcaire très compact essentiellement à trous. Il n’y a pas de pinces ou de grosses colonnettes comme on peut en trouver à Kalymnos où tu te mets en lolotte ou dans des positions abracadabrantes. Ici c’est davantage une escalade de résistance sur petites prises. Par contre on trouve des inclinaisons variées, des dévers et même des grandes voies techniques du côté de la Grande Face. En plus de là-haut, la vue est vraiment superbe !

Il y a des parois que tu aimerais découvrir ?

Oui bien sûr ! Il y a encore tellement d’endroits où nous ne sommes jamais allés et des grandes parois qui nous font rêver, du côté de l'Ethiopie ou du Zanskar par exemple. Il y a aussi des lieux où l'on ira peut-être plus parce qu’on a l’impression que physiquement ça sera trop dur... [rires] et des parois proches de la maison où je n'ai pas encore eu l'occasion de grimper, comme les Trois Becs dans le Diois, mais pour celles-là, je sais que j'ai le temps !

Parmi tous tes voyages, le Maroc a été un vrai coup de cœur ?

Le village de Taghia a été une belle découverte en 2002. Pendant dix ans, on y allait chaque année et à l’époque il n’y avait pas encore trop de voies ouvertes. J’ai eu un coup de foudre pour les gens du village et j’ai un petit peu appris à baragouiner le berbère avec les enfants. Nous avons noué des liens d'amitié assez forts et lorsque je suis à Taghia, je suis souvent tiraillée entre l'envie de grimper et l'envie d'accompagner une amie qui va garder son troupeau de chèvres en montagne. Taghia appartient à ma géographie intime. Je connais presque aussi bien ses vallées environnantes et ses reliefs que les montagnes de chez moi.
Ensuite, de longs voyages verticaux comme l'ascension du Salto Angel, de la Tour Sans Nom à Trango ou de Free Rider à El Capitan m'ont laissé de grands souvenirs. La vie en paroi, c'est un voyage dans le voyage avec une temporalité particulière et une manière de vivre dégagée des réflexes du quotidien. Si il n'y a avait pas la contrainte de ces énormes sacs à hisser pour vivre en autonomie, j'y passerai volontiers beaucoup plus de temps !

 

Comment s’est initié le projet du film « J'ai demandé la lune au rocher » avec le réalisateur Bertrand Delapierre ?

Arnaud a ouvert Octogénèse en 1991 sur les grands murs lisses des Taghie Lisce, en Corse. On y est allé ensemble il y a deux ans pour que j'essaie de la répéter et ça a marché. On s’était bien mis à la dalle en allant grimper deux hivers de suite à La Pedriza, un massif de granit près de Madrid. L'escalade en dalle m'a permis de ressentir des choses nouvelles et à la suite de cette ascension, j’ai écrit un petit poème. Plus tard on est retourné avec Bertrand faire des images en se disant qu’on allait faire un petit clip vidéo comme il nous arrive d'en faire. Bertrand est hyper efficace. On a tourné les images sur deux jours car on n’avait pas beaucoup de temps et de budget. A la fin, au moment de faire les interviews traditionnelles, je lui ai dit que pour changer, j’avais l'idée d'un texte qui pourrait servir de narration. Je l’ai quasiment écrit d’un seul jet. Bertrand était content et motivé pour travailler sur un projet différent. J’ai donc peaufiné mon texte et je l’ai coupé parce qu’il était un peu trop long pour le film. Ensuite Bertrand est venu chez nous pour faire le son. On avait bien conscience qu'il nous manquait quelques images par rapport au texte mais que l’on ferait avec. Ma diction est parfois assez scolaire – c'est un métier de faire une voix ! Mais au final, je suis très contente du résultat. Bertrand a fait de superbes images et un super montage. Sans compter que c'est la première fois que j'exprime des choses aussi personnelles et le fait qu'elles résonnent chez d'autres me touche beaucoup.

Qui était de la partie et comment avez-vous procédé pour les prises de vues ?

Nous étions trois ; Arnaud, Bertrand et moi. Ce n’est pas la première fois que nous travaillons ensemble. On s'entend très bien alors c'est très agréable. En pratique on grimpait la longueur en tête puis on fixait une corde statique pour Bertrand. Ensuite Bertrand montait au relais et se plaçait où il voulait. Le grimpeur repartait alors dans la longueur en tête. C’est appréciable lorsque tu as mal aux pieds dans tes chaussons d’avoir quelqu’un d'aussi rapide que Bertrand dans la prise de vue ! C’est aussi un super alpiniste et tu peux lui faire entièrement confiance. Il montait en solo dans une espèce de rampe, s'installait sur une petite crête et faisait quelques images de moi sans que je m’en rende compte. Après il redescendait en courant, remontait ensuite au jumar sur la corde. Filmer en paroi, ça demande des compétences d'homme orchestre !

Dans le film, tu parles à tes orteils...

C’est un petit clin d’œil à quelqu’un que j’aurais vraiment beaucoup aimé connaître, Chantal Mauduit. Je ne l’ai malheureusement jamais rencontrée. Son livre J'habite au paradis sorti quelques mois avant sa disparition m'avait beaucoup touchée. Par la poésie qui se dégageait de ses ascensions et de ses récits, elle est l'une des alpinistes qui m'a le plus marquée quand j'avais vingt ans.

Tu cites souvent le mot « adhérer »…

J'ai joué sur la richesse sémantique de ce mot que j'aime beaucoup en effet. Il y a l’idée qu’en dalle, il ne faut être ni dans une volonté excessive ni dans une passivité nonchalante. C'est un équilibre subtil, à la fois mental et physique. En fait, c'est valable pour toutes les escalades. Apprendre à se détacher du but, à vivre un cheminement sans se projeter, sans s'accrocher au résultat.
Et bien sûr, il y a l'idée qu’adhérer, c'est adhérer à l'instant. C'est une façon d'être au monde, de se fondre. C'est « se laisser agir » par les événements, ce qui ne veut pas dire s'abandonner à une quelconque fatalité mais au contraire épouser l'expérience de la vie sans préjugé. Et il me semble que c'est lorsque quelque chose lâche en nous, qu'un petit instant de grâce peut naître. C'est ce que j'entends par s'oublier soi-même. Et l'escalade est formidable à ce niveau là. Tu es obligé d'y être sinon ça ne marche pas. En fait, c'est une expérience valable sur le rocher comme dans la quotidien et c'est pas toujours facile !

Tu prends le même plaisir à grimper qu’à tes débuts ?

Avec le temps, je comprends ce qui me plait et me fascine tant avec l’escalade. Même si je prends un peu du recul pour faire d’autres choses depuis deux ou trois ans et que je grimpe moins qu'avant, il y a quelque chose qui ne change pas ; lorsque j’arrive sur une nouvelle falaise, que je découvre un rocher inconnu, la magie opère. Quel que soit mon niveau, j'ai soudain une énergie débordante, une envie irrésistible de grimper. Je suis aimantée et c'est sans doute la plus belle chose qui me lie à l'escalade. Savoir qu'un bout de rocher m'attendra toujours quelque part pour me surprendre, m'offrir des sensations neuves et me demander de m'adapter...

Une proximité avec la nature t’est nécessaire ?

J’ai toujours été très proche de la nature. Je me rappelle qu'enfant, du côté du Pré de Madame Carle, je construisais de minuscules cabanes en brindilles de mélèze. J'ai toujours été fascinée par le détail, les couleurs, le grain du rocher, la petite faune qui y vit et sa flore délicate et fragile. Pour moi, l'essentiel est là, apprendre à garder les yeux ouverts, rester sensible à ces rencontres minuscules. Lorsque tu n’es pas content parce que tu n’as pas réussi une voie, que tu te fermes en oubliant tout ce qui vit autour de toi, je trouve ça dommage. Bien sûr, ça arrive à tout le monde mais cette frustration, c'est comme une petite mort.
Au Grand Capucin, ce qui m'a marquée, c’est la rencontre avec un papillon, presque au sommet de la voie. C’était inespéré et étonnant de voir cette petite chose fragile dans un tel endroit. C’est aussi ce qui me fait tant aimer les grandes voies. Lorsque tu passes du temps en paroi, tu deviens plus attentif au détail et le temps se dilate. Les moments passés au relais sont parfois ennuyeux mais tu peux aussi les transformer en temps de petites méditations et de découvertes.

Tu t’intéresses à d’autres activités ?

J’adore marcher et je fais du yoga. J'ai commencé une formation de yoga il y a trois ans. C'est vraiment très enrichissant et c'est une discipline qui complète bien l'escalade et je m'intéresse aux passerelles qu'il y a entre les deux activités.
Pour le reste, je suis restée très grimpeuse et toutes les activités où il faut déployer du matériel m'ennuient. Le parapente par exemple me fait rêver mais le pliage de la voile, qui n'est pourtant pas celui d'un base, est déjà pour moi une contrainte ! [rires]. Le base-jump et tous les sports aériens violents en vitesse et en adrénaline ne sont finalement pas mon truc. Ça me fascine quand même et j’adore regarder les sauts, je trouve ça merveilleux.
Au final, comme j’ai une santé un peu bancale depuis mon enfance à cause de l'asthme, j'ai appris à canaliser mon énergie sur ce qui me tient vraiment à cœur et ça m'a rendue un peu monomaniaque !

Tu lis beaucoup ?

Oui car il me semble que c’est inépuisable, que je ne sais rien et que j’apprends des choses chaque jour. En fait, mes lectures sont assez variées, désordonnées et vagabondes. Il y a des sujets qui me passionnent depuis des années comme l'érémitisme et toutes les questions portant sur la solitude alors j'épuise la chose petit à petit en passant par les poètes, les philosophes, les ouvrages de spiritualités orientales... Et comme j'aime écrire, lire est une nourriture essentielle. L'écriture va de pair avec la lecture, c'est son prolongement en quelque sorte.

Des projets pour 2014 ?

Cette année, j'aimerais parvenir à publier un recueil de poèmes écrits les années passées. Côté grimpe, avec Arnaud, nous n'avons pas encore de projets précis mais nous avons déjà quelques idées...
Et puis nous avons commencé à mettre en place des stages et des voyages d'escalade pour transmettre un peu de toute cette expérience accumulée après 25 années de grimpe. Et au-delà de l'aspect technique et de la progression physique, j'ai surtout envie de partager une vision joyeuse et sereine de l'escalade.

J’ai lu qu’enfant tu rêvais être bergère ou égyptologue… pas trop déçue ?

[Rires] j’ai toujours eu envie d’avoir une vie marginale et grâce à l'escalade, je crois que j'ai en partie concrétisé ce rêve.

Et comment va Pimpoune [le chat] ?

Il va très bien merci ! On s’en occupe bien lorsqu'on est à la maison parce qu’on l’a beaucoup abandonné l’année dernière. Cet après-midi on grimpait sur notre mur d’escalade. Il est venu avec nous et nous empêchait de grimper parce qu’il fallait qu’on le caresse tout le temps... [rires]

 

 

> Le blog de Stéphanie Bodet ici / Le site web de Stéphanie et Arnaud Petit ici

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