Ses nombreux voyages et expéditions lui ont fait sillonner le monde. Le guide cantalien Antoine Cayrol est resté fidèle à son pays d’enfance, l’Auvergne où il s’implique humblement depuis des années à faire découvrir le grand potentiel de cette région, l'escalade et le ski…
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Antoine Cayrol

Montagnes Reportages : Tu es originaire d'où ?

Antoine Cayrol : Je suis né en Ardèche dans les monts du Vivarais. Mon père étant natif du Cantal, je suis venu par la suite dans cette région peu de temps après. On peut dire que je suis originaire du Massif Central au sens un peu large, entre l’Ardèche et l’Auvergne, dans la partie montagneuse ardéchoise.


Il y avait des montagnards dans ta famille ?

Mon père était marcheur et grimpeur mais pas au sens moderne du terme. A cette époque, l’escalade en Auvergne n’était pas démocratisée. Il se pendait un peu sur les cordes pour descendre en rappel les rochers volcaniques du coin. Il faisait aussi de la montagne sans crampons dans les faces nord locales en taillant un peu des marches, mais ce n’était pas vraiment de l’alpinisme.

Qu’est-ce qui t’a motivé à devenir guide de haute montagne ?

Jeune, j’étais assez agité. J’étais toujours en train de grimper aux arbres et même un peu sur les cailloux mais sans savoir que l’alpinisme existait. Quand j’ai lu Premier de cordée en 6è, tout ce qui était auparavant un peu flou dans ma tête a alors pris un contour précis. C’est vraiment à la lecture de ce livre que j’ai voulu devenir guide de haute montagne.

Tu as eu un cursus classique dans ton parcours ?

Oui, ça a été un parcours à peu près classique. J’ai voulu rentrer dans un lycée qui formait aux métiers de la montagne mais à l’époque il y avait un peu de protectionnisme ; les jeunes qui n’étaient pas de la région ou des vallées avaient du mal à y rentrer, ils ne prenaient que des gamins des Alpes. Il n’y avait pas d’équité dans ce domaine-là. Sur trois ans de suite je n’ai pu rentrer ni à Thônes, ni à Saint-Michel-de-Maurienne, ni à la Mure il me semble. Je satisfaisais pourtant aux exigences requises, j’avais des points FFS pour la compète en ski, je faisais de l’escalade, j’avais tout ce qu’il fallait, mais malgré ça, je n’ai pas été pris. A dix-huit ans, je voulais vraiment me rapprocher des Alpes et j’étais prêt à tout pour habiter à Chamonix. Je suis donc rentré à l’Ecole Militaire de Haute Montagne [EMHM]. J’ai alors découvert qu’il y avait le Groupe Militaire de Haute Montagne [GMHM] et ça a été un peu ma motivation au-delà du fait de devenir guide. Je savais bien qu’en restant dans les chasseurs alpins, j’arriverais bien à être aspirant-guide au bout de deux ou trois ans et à finir une partie de mon monitorat de ski mais à ce moment-là je me suis principalement attaché à rentrer dans ce groupe.

Tu as alors quitté l’Auvergne à ce moment-là ?

J’ai eu une période assez longue - quand je suis parti dans les chasseurs alpins de 18 ans à 36 ans - pendant laquelle j’ai été absent de l’Auvergne. Puis après avoir quitté le groupe j’avais vraiment envie d’y revenir une grande partie de l’année. Alors je suis toujours à Chamonix l’été et je suis à l'ENSA un peu en hiver. En automne et un peu au printemps, quand je ne suis pas en voyage, je suis en Auvergne.

Qui sont tes clients, quel type de courses fais-tu avec eux ?

Je travaille beaucoup avec des clients privés. On est assez peu de guides en Auvergne, et que ce soit François [Lesca], Gaylord [Dugué] ou Zsolt [Osztian], nos clients nous sont assez fidèles. Je suis guide depuis plus longtemps qu’eux car étant plus vieux, j’ai donc la chance d’avoir une clientèle très variée, allant du débutant au très bon alpiniste. Je fais aussi pas mal de ski de rando avec des clients persos. Je ne me paierais jamais un billet d’avion en amateur pour aller faire du ski de rando en revanche j’aime beaucoup prendre un groupe de clients habituels et partir avec eux skier. Cette année par exemple je suis allé en Norvège dans les Alpes de Lyngen. C’est un peu les seuls voyages que je fais en professionnel. Je n’aime pas aller grimper avec des clients à l’étranger – sauf un client de très bon niveau – et je ne prendrai jamais un groupe de cinq ou six personnes pour aller faire un trekking peak au Népal, ça ne m’intéresse pas du tout. Il faut des qualités de guide que je n’ai pas comme le fait d’être patient.

Quelle vision portes-tu sur ton métier de guide ?

Il faut d’abord que le guide reste lié à ce qu’est la pratique de l’alpinisme en amateur. Pour être plus précis, il est inconcevable pour moi d’emmener des gens sur des grands sommets si l’on met des cordes fixes. Il faut qu’on fasse faire de l’alpinisme aux gens dans les règles éthiques de ce qu’est l’alpinisme en amateur. Je suis contre les mecs qui équipent pour leurs clients des voies en montagne avec des spits partout. Je crois que les guides ne sont pas forcément les mieux placés pour avoir un jugement très beau et pertinent sur ce qu’il faut faire avec l’équipement en montagne ou ailleurs. Je pense que ce sont les amateurs qui sont les mieux placés pour ça. Les guides ne doivent pas sacrifier leur terrain de jeu d’amateur sur l’autel de la sécurité pour leurs clients. J’aime faire ce métier de guide avec les mêmes règles éthiques que ce que je pratique en amateur. Ce métier, c’est aussi le fait de vivre en montagne – ce qui peut être effectivement assez basique – et plus les années passent, plus je mesure ce privilège. Je touchais ça moins du doigt quand j’étais jeune guide où j’étais plus avide d’action. Et partager ma passion, avoir une clientèle variée d’une grande richesse humaine me plait beaucoup dans ce métier de guide.

Tu pratiques d’autres activités en amateur ?

Oui, je fais aussi du ski de rando et pas mal de ski de pente raide. J’ai toujours aimé ça et en Auvergne c’est très bien pour se préparer à de belles descentes. Avec mon amie à Chamonix, on a fait la descente à ski du Frendo cette année. Je ne suis pas un très fort skieur de pente raide mais j’ai fait quelques classiques, Malory, Gervasutti... C’est vraiment quelque chose que j’aime bien. Sinon j’aime beaucoup le base-jump même si je ne le pratique pas, et particulièrement les images qui sont faites lors de ces sauts, c’est complètement dingue. J’ai pas mal de copains qui sautent et je suis donc un peu au courant de ce qui se fait dans cette discipline.

Tu t’es même essayé au solo intégral à une certaine époque ?

Ça a été une période de ma vie de grimpeur mais j’aime encore bien le pratiquer. L’année dernière j’ai fait en solo intégral le roc d’Hozières qui est la plus grande voie d’Auvergne, la Walker auvergnate [rires]. J’ai aussi fait en solo en cascade de glace le Grand Rideau au Puy Mary. Je pense qu’en terme d’alpinisme c’est une de mes meilleures réalisations en glace ; un grade 5 sup difficile qui fait plus de 100m. Le solo intégral n’est pas une activité que je pratique beaucoup mais j’en ai toujours fait un petit peu ici, à Chamonix, dans les Alpes, ou en falaise parfois.

 

Le trail aussi ?

Oui je fais du trail depuis plus de vingt ans. Je le pratique particulièrement en Auvergne et de la même façon que je fais de la montagne et de l’alpinisme : en autonomie et sans ravitaillement. Il y a quelques temps j’ai rallié les trois montagnes emblématiques de l’Auvergne : le Puy de Dôme, le Puy de Sancy et le Plomb du Cantal en 22 heures. Cette traversée est devenue une vraie course qui peut aussi se faire dans l’autre sens. Plusieurs coureurs ont repris ce challenge et je crois que le meilleur temps est à 21 heures 40 minutes, quelque chose comme ça. Par contre, je n’aime pas du tout les compétitions, les courses avec un dossard et de la rubalise partout, ni les concentrations de monde en montagne, même si c’est souvent l’occasion de voir les copains guides et de faire débuter des gens.

Un palmarès de plus de mille ascensions à ton actif…. Pas mal !

Oui c’est beaucoup mais quand j’étais au groupe, j’étais payé à faire ça. J’avais déjà fait beaucoup de montagne avant et j’ai continué à en faire beaucoup après. J’y suis resté presque onze ans et je l’ai quitté suite à une série d’accidents. Je me sentais un petit peu dans la ligne de mire, j’ai alors voulu un peu rompre ce cycle-là – car ça me mettait des idées un peu noires – et casser cette façon de faire de la montagne en me mettant dans un autre registre. Malgré tout j’ai continué par la suite à beaucoup grimper en amateur.

Comment as-tu vécu ces années au GMHM ?

Ça a été un sacré privilège d’être dans ce groupe. Il n’y avait pas de difficultés pour monter des expéditions, pour trouver des sponsors et des compagnons de cordée. L’ambiance était bonne, axée et déterminée sur l’alpinisme et les expéditions. J’ai eu la chance d’y être quand il y avait plusieurs programmes de voyages, aussi bien des big-wall, que des expés en altitude ou des expéditions polaires qu’on appelait alors Terra incognita. Cette période a été tout à fait passionnante.

Ces expés en zones polaires ont été riches d’enseignement ?

Sans aucun doute. Avant de rentrer au groupe j’étais déjà guide et je rêvais d’Himalaya, des Andes… Avec cette parenthèse polaire qui a duré presque quatre ans, je me suis découvert une vraie attirance pour les zones arctiques et antarctiques. On a fait plus de 4000 km à pied en quatre ans. Tirer la pulka sur des grandes étendues ou sur la banquise, j’ose dire que j’ai donné [rires] et ça m’intéresse moins maintenant. Par contre grimper dans le grand Nord ou dans le grand Sud, ça me plait beaucoup. J’y reviens assez souvent avec beaucoup de plaisir et j’y retourne d’ailleurs l’année prochaine. Ces destinations qui allient la mer, la montagne et l’alpinisme sont vraiment des destinations fascinantes.

La haute altitude t’intéresse ?

J’aime bien la haute altitude et j’ai eu la chance de faire des 7000 techniques dans des voies assez dures. Je suis aussi monté à l’Everest mais c’était ma première expérience en haute altitude ; je n’ai pas pu faire ni essayer mon ascension sans oxygène car j’étais dans l’équipe qui faisait la trace. Ça reste quand même un bon souvenir et je me suis assez bien acclimaté. Je pense d’ailleurs retourner en haute altitude mais bon... j’ai 47 ans, mais j’ai quand même des projets pour retourner sur des itinéraires techniques, soit sur des gros 7000, soit peut-être sur un 8000 pour une voie un peu technique, ça me motive toujours.

C’était important pour toi de revenir vivre en Auvergne ?

Oui, c’est important d’être là car c’est un peu la terre de mes ancêtres même si la formule est un peu vite dite. C’est un endroit où je me sens bien et où toute ma famille vit. Je suis très attaché depuis de nombreuses années à faire découvrir cette région car elle est en fait méconnue. Par exemple, si les monts de Cantal étaient en Ecosse, ils seraient super connus. En fait notre région n’a rien à envier au Ben Nevis ou au Glencoe. Humblement j’essaie de travailler à la connaissance de ce massif et c’est vrai que je suis assez impliqué à ce niveau-là, notamment et surtout avec les jeunes du pays. En Auvergne il y a une espèce de complexe de réserve de peaux-rouges où l'on inculte aux jeunes un peu trop facilement le fait qu’en hiver, l’herbe est bien meilleure à manger ailleurs. Même si paradoxalement avec tous les voyages que je fais, je ne suis pas le mieux placé pour ça, on essaie – parce que je ne suis pas du tout le seul dans cette démarche – d’ouvrir un peu les yeux à nos jeunes dans les clubs ou autres sur le grand potentiel de leur région. Quand j’étais plus jeune, on était peut être cinq sur la région à faire de l’alpinisme dans les monts du Cantal ; personne ne grimpait. Quand je suis revenu ici, on n’était pas tellement nombreux. On a fait un cycle en alpinisme qui a bien marché et chemin faisant, le nombre de personnes a augmenté. Maintenant il y a carrément un topo, beaucoup de gens font du mixte et grimpent dans les voies qu’on a mises en ligne. Je suis assez heureux de voir que la mayonnaise a pris.

C’est aussi un vrai laboratoire du mixte ici ?

Oui, c’est un endroit extraordinaire pour le mixte avec un peu une constante qui est que ce n’est pas facile de se protéger dans les longueurs, tout particulièrement dans les voies difficiles. Je suis un peu intégriste là-dessus mais on ne veut pas que l’ambiance soit équipée. C’est un atout pour l’esprit d’aventure. De toute façon il y a beaucoup de couloirs ou de voies ici où chacun peut trouver son niveau. Ces voies dures sont assez peu parcourues mais elles ont le mérite d’exister. Ce sont des objectifs intéressants. Le gars qui est capable de faire des voies dures ici en mixte, peut aller se promener dans la face nord des Droites. Sans oublier que la météo ici peut être assez terrible. Quand les dépressions arrivent, tu peux passer du gel au radoucissement en un rien de temps. Ici tu ne fais pas la grasse matinée quand il fait mauvais ! [rires]

As-tu des coins de prédilections dans les monts du Cantal ?

J’ose dire que je fais un peu partie des précurseurs qui ont ouvert des voies dans ces coins-là. Avant les gens ne faisaient pas trop de mixte. On était les premiers à grimper ici parce qu’il n’y avait personne avant tout simplement. Nous étions des précurseurs malgré nous [rires] dans les cascades du Puy Mary qui sont des secteurs exceptionnels. J’ai donc un faible pour la face nord du Bataillouse qui est de l’autre côté de ma vallée. J’y grimpe depuis l’âge de quinze ans. C’est une très belle face, haute, sauvage avec de très belles voies dont certaines sont très abordables et d’autres très dures. Je suis content de voir qu’il y a du monde qui grimpe dedans.

Suis-tu l’actu montagne ?

A vrai dire, je ne suis pas trop l’actu et je ne suis pas un lecteur assidu des revues spécialisées. Par les annales du GHM, je sais quand même ce qui se fait de marquant. Je suis quand même au courant qu’Uli Steck fait des chronos pas possibles et que Yannick Graziani a fait un truc pas mal en Himalaya. Je suis plus intéressé par l’actu du libre en escalade dans les big-wall.


Ta dernière expé ?

Tout récemment, avec Laurent Bibollet et Manu Chance, on est allé ouvrir un big-wall de 900m dans le Zanskar en Inde. C’est une voie de trente-trois longueurs en quatre bivouacs et cinq jours d’escalade. C’est un projet qui vient d’eux. Ils avaient déjà grimpé dans ce coin-là et avaient repéré ce pilier que personne n’avait trop vu avant parce que ça se situe dans une vallée secondaire.

Une multitude de voyages et expés, y-a-t-il encore des endroits que tu aimerais découvrir ?

J’ai eu la chance d’aller sur tous les continents, c’est un vrai privilège et une chance d’avoir fait une cinquantaine de voyages dans des pays différents. J’avoue que les choses que j’avais vraiment envie de faire, j’ose dire que je les ai faites mais je ne suis pas en reste pour les projets. L’année prochaine je retourne en Péninsule Antarctique avec une équipe de copains pour ouvrir des voies et faire du ski de pente raide. Ensuite je dois aller au Venezuela avec d’autres potes pour essayer d’ouvrir une voie sur un tepui. Après j’aimerais bien aller grimper dans l’Ennedi au Tchad, ouvrir des voies de rocher dans un secteur où peu de monde a grimpé. Ce sont donc les prochains projets, après voilà... les projets et les expés, ça se fait ou ça ne se fait pas, mais pour l’Antarctique, c’est sûr car c’est calé, on a déjà des partenaires qui nous suivent.

On pourra te rencontrer prochainement dans deux manifestations auvergnates ?

Oui, je suis pris comme guide pour encadrer la sécurité et ensuite le soir je fais une petite conférence pour les gens qui participent à la manifestation. Il y a le Cantal Y Cimes(1) qui se passe à Super-Lioran dans la face nord du Bataillouse dans le Cantal, et ensuite il y a le Mont-Dore Y Cîmes(2) qui comme son nom l’indique se passe donc au Mont-Dore – on appelait avant l’Auver’glace – Ce sont donc deux week-ends de montagne pour les gens qui débutent ou ceux qui sont déjà habitués. C’est une ambiance très sympa.

(1) = Cantal Y Cimes : Super-Lioran le 11 et 12 janvier 2014 [3è édition] / (2) = Mont-Dore Y Cîmes : Mont-Dore le 25 et 26 janvier 2014 [11è édition]

 

> Le site web d'Antoine Cayrol ici

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