Julien Désécures, guide de haute montagne est un grand connaisseur de la face nord des Grandes Jorasses qu’il parcourt depuis seize ans. Il vient de publier un topo-guide Grandes Jorasses Face Nord qu’il nous présente ici, suivi d’une interview de François Damilano qui anime JMEditions avec Françoise Rouxel. Une interview exclusive pour Montagnes Reportages |
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Montagnes Reportages : Tu es originaire d’où ?
Julien Désécures : Je suis né à Paris. J’ai commencé à faire de la montagne tout petit avec mes parents, mes grands-parents, mes oncles et tantes... mon arrière-grand-père faisait de la montagne en amateur. Gamin, le métier de guide ne me faisait pas du tout rêver. Je n’avais d’ailleurs pas lu grand-chose en littérature de montagne. Plus tard j’ai commencé à aller dans l’Oisans avec les copains. On avait un équipement vraiment « limite » surtout avec mes parents, on s’encordait n’importe comment et quand on croisait des guides, ils hallucinaient. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à faire beaucoup de montagne ; j’ai alors intégré les équipes jeunes du CAF. Je suis ensuite allé faire des études d’ingénieur à l’Ecole Centrale de Lyon. J’ai passé le guide parce que j’avais un bon niveau mais je ne savais pas trop ce que je ferais par la suite. C’est plus tard que ça m’est quand même paru évident de travailler comme guide. Avec qui et dans quels massifs travailles-tu principalement comme guide ?Je travaille plutôt avec des clients persos. L’hiver, je fais quasiment que du ski de rando et l’été je fais des courses relativement classiques mais sauvages dans le massif du mont Blanc où je vais de plus en plus. Paradoxalement, tout le monde va dans les mêmes endroits, mais dès qu’on va hors des endroits bondés, on ne croise absolument personne. Par contre dès que tu t’éloignes des classiques, il faut faire très attention car le rocher peut vraiment être mauvais ici. Je trouve même que c’est presque plus dangereux qu’en Oisans. Là-bas, je ne fais pas forcément des courses très classiques et pourtant à chaque fois je suis tombé sur d’autres cordées ; dans le massif du mont Blanc, jamais ! Il y a des explications à ça. Les gens qui vont en Oisans ont l’habitude de ne pas aller pas dans des classiques et on trouve des topos complets de l’Oisans en vente libre alors qu’il n’existe pas un topo complet du massif du mont Blanc. Tu t’intéresses aussi au routage météo ? J’ai commencé à faire du routage météo surtout pour moi et j’en fais surtout avec des gens que je connais. Dans le cadre de notre travail de guide, c’est hyper important de lire et prévoir les conditions météo. D’une certaine manière, les bulletins de Météo France ne sont parfois pas assez précis et il faudrait presque un bulletin pour chaque type d’activité. Un bulletin global est surtout littéraire et ne suffit pas pour faire une analyse précise. Le plus compliqué et difficile dans une prévision météo est de connaître la fiabilité de la prévision, savoir si on peut y aller pour faire telle ou telle chose. Si tu es capable de le faire seul, c’est vraiment intéressant. Comment est née l’idée de faire un topo sur les voies de la face nord des Grandes Jorasses ? Ça fait seize ans que je fais des voies dans la face nord des Grandes Jorasses. J’y ai donc passé beaucoup de temps et j’y ai laissé beaucoup d’énergie. Je la connais donc très bien. Je me suis rendu compte que sur des grandes classiques comme le Linceul, la Colton Mac Intyre ou même l'éperon Croz, pas mal de gens se paument parce que les topos sont faux. Au début j’ai fait comme tout le monde, j’ai grimpé des grandes classiques et j’ai eu envie d’y aller en plein hiver. Par la suite j’ai voulu savoir comment cette face fonctionnait pour pouvoir y aller sereinement. J’ai alors pris beaucoup de photos et j’ai essayé de comprendre comment se formaient ces plaquages en automne, cette neige qui devient un peu de la glace et qui est assez spécifique au massif du mont Blanc. J’ai réfléchi par la suite sur le pourquoi de cette notion d’hivernale. Dans l’histoire de l’alpinisme des années soixante, les hivernales étaient des vrais enjeux. Il n’y avait pas de prévisions météo fiables et si on se faisait prendre dans le mauvais temps en pleine face nord, ça pouvait vraiment mal finir. Avec la fiabilité des prévisions météo, on peut trouver en hiver des conditions aussi clémentes qu’en automne : il n’y a plus trop d’enjeu d’y aller en hiver ! J’ai alors proposé l’idée de faire un topo de cette face à François qui a tout de suite été très motivé. Comment s’est déroulée l’écriture de ce topo ? J’ai mis plus de trois ans pour l’écrire et ça m’a nécessité de un gros effort sur le travail de rédaction. J’ai fait beaucoup de photos sous tous les angles dans la face pour expliquer comment les conditions évoluent. J’ai découpé la face nord en dix secteurs, lesquels sont introduits par un grimpeur qui y a fait quelque chose. Dans ce topo, être le plus objectif et cohérent possible a été difficile à faire pour moi... Est-ce que je devais mettre en avant les solos, les horaires... ? Le contact avec les gens pour essayer d’avoir des photos, des retours d’infos n’a pas été simple non plus ; il fallait tout le temps les relancer parce qu’ils oubliaient ou pensaient à autre chose. Un échange très fructueux s’est donc fait avec François et je suis content du résultat. Ta as refait toutes les voies de ton topo? Non (rires) je n’ai pas refait toutes les voies, il doit y en avoir quarante-quatre ! Quelle qualité de rocher trouve-t-on dans ces voies ? Certains murs (ou Headwall) sont en très bon rocher. Mais on ne trouve pas du bon rocher tout le long d’une voie et certaines voies logiques suivent des failles de frictions (= très mauvais rocher). Par exemple à l’ouverture de la Bonatti-Vaucher, il y a eu un éboulement et ils ont failli mourir. Le rocher est donc souvent ingrimpable mais par contre, quand il y a du plaquage, c’est absolument génial. Autre exemple, dans le couloir des Japonais où ils ont mis trente jours à le grimper, le rocher est en fait du sable ! Le plaquage y est très rare, mais quand il y est, c’est unique. Par contre il faut savoir lire la surface du rocher pour savoir si c’est bon ou pas, parfois c’est blanc et on ne sait pas trop si c’est du plaquage ou de la neige pulvérulente. Peut-on encore ouvrir des voies dans cette face nord des Grandes Jorasses ? Tous les grands itinéraires logiques ont été ouverts donc on n'ouvre plus vraiment de nouvelles voies, on fait en général des variantes. Maintenant, avec le dry, peut-être que l’on pourra faire des choses vraiment différentes dans les prochaines années. Cette paroi est très large, elle fait plus de mille mètres. Il y a par contre des voies sauvages qui n’ont jamais été répétées. La configuration de certaines voies a-t-elle changé depuis leur ouverture ? J’ai beaucoup parlé avec des grimpeurs pour avoir leur témoignage, car même en ayant fait pas mal de voies dans cette face, je ne peux pas me souvenir de tout. Pour donner des exemples précis de changements de configurations de certaines voies ; la sortie de l’éperon Croz. Il y a au moins trois sorties possibles et beaucoup de monde se trompe car ce n’est vraiment pas simple. Je l’ai faite deux fois ; une fois je suis sorti à gauche, une autre fois à droite. J’ai voulu être sûr de mon coup et j’ai donc demandé au plus de monde possible. Certaines personnes ne savaient d’ailleurs pas trop où elles étaient sorties. En plus, Il y a eu un éboulement qui a un peu changé la configuration du secteur par rapport à ce qu’on trouve écrit dans le Vallot ou le Labande. Autre exemple la Colton Mac Intyre a toujours été confondue avec "Extrem Dream". C’est pourtant bien différent. J’ai eu beaucoup de mal à trouver l’itinéraire original car celui qu’on utilise actuellement varie selon les conditions de la face. A l’attaque de la Gousseault-Desmaison, le glacier a bien changé depuis 1971 ou 1973 [année où Desmaison est retourné faire la voie], il y a donc plusieurs attaques possibles. Souvent des grimpeurs disent qu’ils ont ouvert une variante car ils passent un peu où ils veulent. On ne sait donc plus très bien où passe vraiment l’itinéraire original vu la transformation du glacier. J’ai donc présenté dans ce topo les différentes manières de faire cette voie. Quelles sont les voies de cette face qui sont les plus grimpées ? L’été, en voie de rocher, l’éperon Walker reste une des grandes voies incontournables des Alpes. L’hiver, le Linceul et l’éperon Croz en passant par la variante slovène et les goulottes Mac Intyre restent les trois grandes voies classiques de mixte. Ensuite il y a plein de nouvelles voies en plaquage qui ne sont pas très dures en utilisant les nouvelles techniques, et qui sont même plus courtes, comme la combinaison polonaise "Belle Hélène". Il y a des voies qui ne sortent pas au sommet ? Oui, les petites Mac Intyre. On peut aussi les sortir au sommet mais dans ce cas ça change complètement la donne. En général on les descend dans la voie sur abalakof, sinon on peut rejoindre le col des Hirondelles mais ça reste quand même un peu compliqué. Parfois des mauvaises habitudes se sont longtemps perpétrées comme le fait de redescendre de la Pointe Walker par l’arête des Hirondelles. On pense que c’est à cause des "100 plus belles" de Rébuffat qui décrit la traversée Rochefort-Jorasses et qui fait descendre par cette arête. En fait, l’arête des Hirondelles est un vaste « chantier » absolument pas du tout adapté à la descente. Le haut de cette arête n’en est en fait pas une, c’est une espèce de sas qui va se perdre et finir sur l’arête de Tronchey. Donc, vouloir descendre du sommet de la pointe Walker par l’arête des hirondelles est absolument une mauvaise idée. Par contre, il est vrai que lorsqu’on fait le Linceul, on peut rejoindre assez « facilement » le col des hirondelles. Est-ce qu’on trouve quelques traces historiques de passage dans les voies ? Pas beaucoup, on ne trouve pas grand-chose et il n’y a pas beaucoup de pitons dans cette face. Il y a un sac qui pend dans la Desmaison et un autre dans les cheminées de sortie de la Terray-Rébuffat au-dessus du couloir des Japonais.
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