François Damilano, guide, alpiniste, glaciairiste,… anime JMEditions avec Françoise Rouxel. Il nous parle de leur collection des petits livres jaunes "Nouvelles d’en Haut" et notamment du tout dernier livre paru : Mythologies Alpines, qui a reçu le Grand Prix du Pays du Mont-Blanc 2013 – mention « Coup de cœur du jury » – au 23ème Salon du Livre de Passy

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos et illustrations: François Damilano / JMEditions

Montagnes Reportages : Comment est née votre collection Nouvelles d’en Haut ?

François Damilano : Au départ, on est spécialisé dans l’édition de topos-guides. A partir du moment où l’on s’est structuré en maison d’édition, que l’on aime le livre et la littérature alpine en particulier, immanquablement on a envie de s’intéresser au texte. Et quand tu es une maison d’édition qui commence à être connue et reconnue, un certain nombre d’auteurs t’envoient des manuscrits. On s’est donc plongé à un moment donné dans cette aventure de décrypter ces manuscrits et on a décidé de créer une collection de petits livres poche. L’idée est d’apporter sur le marché de jolis petits objets et des textes iconoclastes avec un ton qui est un peu de l’auto-analyse du milieu de la montagne, ça peut aussi se faire sous forme humoristique, ou sur un sujet différent des récits de courses qui sont généralement le lot commun de l’édition. C’est un peu ce qui guide la ligne éditoriale des petits livres jaunes qui paraissent par deux, encordés comme en montagne et plutôt tous les deux ans entre une série de topos-guides car ce n’est pas le cœur de notre activité.

Vous recevez beaucoup de manuscrits ?

Non. On reçoit quelques manuscrits de manière spontanée et d’autres de certains auteurs ou écrivains. Le ton est tellement particulier qu’ils ne peuvent pas nécessairement rentrer ni dans le format ni dans la collection.

Quels sont les premiers titres que vous avez sortis ?

Il y a trois ans sont sortis les deux premiers livres dans cette collection : Un mois d’émois d’Yves Exbrayat et Coup de cœur, coup de coke de Jean-Claude Legros. Ce sont des récits d’alpinisme qui sont traités de manière particulière et romanesque ; l’un est un récit d’expédition, l’autre est un récit de course en montagne. Un mois d’émois a reçu un Prix au Salon du Livre de Montagne de Passy en 2011. Ce roman est un carnet de courses inspiré de son expédition sur un sommet vierge au Népal. C’est écrit à la manière de Fréderic Dard ; ça flingue à toutes les pages,... les guides, le bouddhisme, les porteurs, les aventuriers ; c’est souvent sarcastique avec une grande autodérision sur notre milieu de l’aventure. Ce livre a très bien marché car il y a très peu de littérature montagnarde à la fois drôle et moqueuse. Coup de cœur, coup de coke est un polar qui mêle l’ascension de la voie Bonatti au pilier ouest des Drus du temps où il était encore debout ! Tout ça avec une histoire de trafic de cocaïne et avec l’ascension solitaire de Catherine Destivelle quand elle avait ouvert sa voie en face ouest. Dans ce polar, tout paraît tout à fait incroyable mais tout est vrai. C’est une mise en abyme de l’écriture, tout est vrai mais jusqu’à quel point...? En tout cas Catherine Destivelle parle elle-même de la rencontre des héros de ce roman dans son autobiographie Ascensions.

… et les dernières parutions ?

En novembre dernier, on a sorti à la fois Déclinaison(s) et Mythologies Alpines. Déclinaison(s), est un livre d’Hervé Bodeau qui après avoir découvert les deux premiers petits livres jaunes nous a fait cette proposition d’écrire une nouvelle oulipienne. Dans ce style d’écriture sous contrainte, en France on connaît en particulier les romans de Raymond Queneau ou de Georges Perec. Hervé Bodeau s’est inspiré de cette écriture qu’il a mise à la sauce alpine. Il a mélangé la contrainte de décliner une même anecdote qui se passe en montagne en un certain nombre de styles différents. Mais contrairement au travail très littéraire de Queneau, ce qui est intéressant chez Bodeau, c’est qu'il s’est inspiré des moyens de communication d’aujourd’hui. On va retrouver la même petite histoire sous forme d’un interrogatoire de police, d’une pièce de théâtre, d’un tchat, d’un échange au sein d’un forum, mais également d’une BD ou d’un polar... c’est vraiment un délice et un bijou d’écriture.

Le livre Mythologie Alpines a été primé récemment au salon du livre de Passy, ça a été une surprise ?

A partir du moment où l’on présente des livres auprès d’un jury à un salon, on rêve toujours [avec beaucoup de fausse modestie] d’avoir une petite distinction. C’est aussi une aide à la mise en avant d’un bouquin. Pour une petite maison d’édition telle que la nôtre où l’on n’est pas attendu sur le texte ni sur la littérature, c’est intéressant d’avoir eu deux livres primés sur quatre. Mythologies Alpines a en plus une forme qui est très particulière puisque c’est un collectif de quarante contributeurs ; ce n’est pas facilement primable dans un festival ou dans un salon parce que ce n’est pas une construction classique. Cela prouve que le travail éditorial qu’on essaie de mener correspond au désir du lecteur et c’est dans ce sens-là qu’il est très plaisant d’être distingué d’un coup de cœur du jury pour Mythologies Alpines.

Ça n’a pas été compliqué de travailler avec autant de contributeurs ?

Oui, c’était compliqué au sens où l’on a d’abord fait une grand liste de contributeurs potentiels et après il nous a fallu en choisir un certain nombre de manière subjective. On n’avait pas envie de solliciter énormément de monde et de laisser des textes en bord de chemin. Il fallait donc homogénéiser le travail pour le cadrer de manière à ce que la contrainte soit bien comprise par chaque contributeur qui allait accepter d’écrire sur une mythologie de son choix. On a donc travaillé avec des écrivains, des journalistes, des universitaires ou des grimpeurs... Ensuite il y a eu une dizaine d’allers-retours entre chaque contributeur et nous ; et quand on multiplie ça par quarante contributeurs, alors effectivement ça fait du boulot ! Mais ça s’est réparti sur un temps assez long. Ce qui est compliqué aussi à mener dans un tel travail, c’est de se dire qu’à un moment donné, il faut boucler le projet et de savoir jusqu’à quel moment on peut continuer de faire retravailler les textes. Sachant [sans trahir de secret] qu’il y a des textes qui n’ont absolument pas été touchés, et puis d’autres où l’on a beaucoup travaillé avec leurs auteurs. Il y a donc des styles d’écriture qui sont très variés avec des approches très différentes ; je pense que c’est ce qui rend sympa la lecture de ce livre. C’est à la fois la diversité des sujets, des tons qui sont employés, pour décortiquer un mythe alpin qui résonne en tout alpiniste.

C’est toi qui as eu l’idée de ce collectif ?

Oui, c’est rigolo et c’est une vieille histoire. Il s’avère que dans une vie passée, j’ai un peu lu de sociologie. Etudiant j’avais lu Mythologies de Roland Barthes et dans ma bibliothèque j’ai un certain nombre de bouquins de lui qui restent assez référentiels à mes yeux. J’avais beaucoup aimé cette manière de décortiquer des mythes qui résonnaient dans la société française, de les faire parler et d’en tirer les signes pour comprendre pourquoi ils résonnaient en chacun de nous. Tout à fait par hasard, je suis tombé il y quelques années sur un bouquin de Jérôme Garcin qui s’inspirant de Barthes avait justement sollicité un certain nombre de contributeurs pour écrire sur les mythes d’aujourd’hui. A ce moment-là ça m’a paru évident… nous qui revendiquons souvent que l’alpinisme n’est pas un sport mais une culture, il fallait absolument qu’on fasse « notre » Mythologies !

« L’alpinisme n’existe pas sans récit » lit-on sur la page d’accueil du blog de JMEditions…

C’est une petite pointe d’humour pour dire et rappeler que l’alpinisme est invisible à l’œil du public et de la société. C’est à la fois son drame et son charme. Dans ce sens, l’alpinisme n’existe que parce qu’on le raconte. Quand on revient de montagne, on le raconte avec des récits écrits de différentes manières et ça depuis les toutes premières explorations. Ce qui se passait là-haut, caché des habitants de la vallée, n’existait que par le récit des cristalliers, des chasseurs ou des explorateurs. A ces récits se sont rajoutés des dessins, des gravures, la photographie, le film... finalement ce sont d’autres formes de récits car il n’y a pas que les mots et l’écriture pour raconter. Pour moi, l’alpinisme n’existe qu’à travers ce que chacun des alpinistes veut bien ramener en bas dans la vallée.

Pendant des décennies, l’écriture de montagne ne s’est-elle pas principalement résumée qu’à des récits personnels ?

Chaque génération essaie de créer un renouveau dans chaque activité. Effectivement la littérature alpine a beaucoup été alimentée par les récits encore que, depuis assez longtemps, un certain nombre de gens travaillent sur d’autres formes d’écriture telle que la nouvelle ou les variations. Et c’est sans doute là notre ligne éditoriale, si on se réfère aux quatre livres de cette collection. A un moment donné on se sert de styles d’écriture pour expliquer la réalité de l’alpinisme sans passer par le récit de courses pures. On essaie de désacraliser le milieu et déconstruire les récits pour mieux les apprécier.

Comment se porte la littérature alpine en France ?

Au tournant des années 90, on s’est demandé si l’édition de montagne n’avait pas connu une période de crise. Les éditeurs spécifiques se sont certainement posé des questions sur le développement de l’alpinisme, sur un renouveau de la pratique de sports de montagne. Et quant au grand débat de savoir s’il existe une « littérature alpine » spécifique, mieux vaut interroger notre ami Bernard Amy... J’aurai quand même tendance à être optimiste sur le sujet. Quand on regarde les librairies alpines françaises qui ont quasiment toute la production, on s’aperçoit qu’il y a actuellement beaucoup de choses à lire et de qualité.

En conclusion …

Ce qu’on cherche à faire avec les petits livres jaunes ? [On les appelle maintenant comme ça dans le milieu]... Qu’ils soient faciles d’accès et continuer d’alimenter ce plaisir de lire des histoires de montagne. Ce sont des livres qui s’appréhendent, ce sont des petites friandises assemblées dans la poche du sac à dos. On peut aussi les lire et les relire à la frontale bien emmitouflé dans son sac de couchage !

 

 

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