Derrière le grillage de la DZ des Bois à Chamonix, les grosses machines volantes le fascinaient. « Je veux être pilote d’hélicoptère » s’était-il dit. Philippe Sebah a réussi son rêve de gamin. Il nous entraîne ici avec passion dans les coulisses de son métier de pilote d’hélico de secours en montagne…
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Philippe Sebah / (Bruno Magnien), PGHM (Mathieu Robin) et Yannick Michelat (Remerciements particuliers à Fred Souchon)

Montagnes Reportages : Tu es originaire d’où ?

Philippe Sebah : Je suis savoyard, originaire de Chambéry mais j’ai ensuite beaucoup vécu à Paris.

Tu as une formation de guide ?

Non je ne suis pas guide. Je faisais un tout petit peu de montagne quand j’étais gamin. Ensuite j’en ai fait un peu personnellement avant de venir dans les hélicos. Quand j’étais en escadron de gendarmerie mobile à Chambéry, j’ai suivi les premiers stages pour être secouriste en montagne, j’ai fait deux fois cinq semaines, ce qu’on appelait à l’époque une qualification été hiver au CNISAG [Centre national d'instruction ski et alpinisme de la gendarmerie]. Ensuite j’ai fait mon chef de détachement, mais je ne l’ai fait que l’hiver car j’avais réussi mes examens pour partir en école de pilotage, j’ai donc interrompu ma formation. Maintenant je me remets à la montagne à titre personnel après donc plus d’une dizaine d’années d’interruption. Je fais du ski, de la randonnée et beaucoup de VTT.

Comment devient-on pilote d’hélicoptère de secours en montagne dans la gendarmerie ?

Il y a en amont deux filières. Les pilotes que l'on récupère des trois armées : l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air très rarement. Ils passent le concours gendarmerie et partent en école. On les récupère après leur scolarité directement dans les formations aériennes de la gendarmerie. A partir de là, on fait rentrer ces militaires dans un cursus de qualification montagne assez rapidement s’ils sont volontaires et s’ils ont les disponibilités pour le faire. Ensuite il y a un deuxième type de recrutement qui est celui des purs gendarmes dont je fais parti. Après mes études je suis rentré en école de gendarmerie à Berlin – A l'issue j'ai été affecté en escadron de gendarmerie mobile à Chambéry. J'ai passé un examen pour partir à l'ESALAT de Dax qui est l'école des pilotes inter-armée en France. [Un an à un an et demi de formation est nécessaire]. Ensuite nous sommes affectés dans des unités plaine ou bord de mer, pour apprendre le métier – Très rapidement les pilotes de gendarmerie passent dans notre centre de vol en montagne à Briançon tous les 18 ou 24 mois. Ça leur permet de s’aguerrir, d’affiner leur pilotage et d’acquérir des notions plus précises sur l’aérologie. C’est là que les instructeurs essaient de les détecter, de voir ce qu’ils valent, etc. Pour commencer une qualification montagne il est exigé d’avoir un minimum de 1000 heures de vol, ce qui correspond à peu près à quatre ans – un pilote de gendarmerie réalise 250 heures de vol par an en plaine ou en mer – Ensuite, la personne rentre dans un cursus montagne à Briançon durant deux ans environ. A l'issue elle est qualifiée montagne, elle est alors affectée dans une unité de moyenne montagne, comme Digne, Ajaccio, Tarbes,... elle peut y rester un minimum trois ans. Puis elle peut venir sur des unités en plus haute montagne comme Briançon et Chamonix.

Qu’est-ce qui t’a vraiment décidé à devenir pilote d’hélico en montagne?

J’ai toujours voulu être pilote et j'aimais la montagne. Gamin j’étais impressionné par les pilotes de chasse qui posaient sur les porte-avions, c’est vraiment extraordinaire. Durant mes études en DEUG de Sciences, j’ai quand même fait ce concours qui m'a amené à faire un bref passage à Rochefort. A l'issue j’ai poursuivi mon cursus en FAC. La montagne était quand même bien ancrée en moi et puis je trouvais extraordinaire d’aller sauver des gens avec un appareil tel que l’hélicoptère. Quand j’allais en vacances aux sports d’hiver et en particulier à Chamonix, j’étais au bord du grillage de la DZ des Bois, ça me faisait rêver. C'est probablement à ce moment où j'ai voulu devenir pilote d’hélicoptère en montagne.

Je suppose que les places sont chères… ça représente combien de pilotes ?

Oui, les places sont chères mais en même temps on n’a pas beaucoup de volontaires et c’est un gros problème actuellement. Je suis pilote instructeur, ça fait quinze ans que je participe à la formation des pilotes montagne et je connais bien la problématique. Le travail des instructeurs consiste à détecter les personnels sachant que l'on a du mal à trouver des pilotes qui soient volontaires pour cette spécialité. De plus tous les appelés ne sont pas élus ! On essaie d’y remédier parce que tu investis sur une personne, cela a un coût, ce sont des heures de vol, des frais de déplacement, etc. Pour répondre à la deuxième question, Il y normalement trois pilotes par unité montagne, sauf à Chamonix où nous sommes deux pour l’instant. Il y a huit bases montagne ce qui représente une trentaine de pilotes avec les instructeurs.

Comment se fait-il qu’il y ait si peu de volontaires ?

C’est vraiment un fait de société et on a du mal à y répondre. Premièrement, il faut être volontaire. Deuxièmement, c’est tout de même un engagement qui est différent par rapport à un pilote travaillant en plaine ou en bord de mer tant au niveau du pilotage que missionnel et où la prise de risque est importante. Troisièmement, et là c’est plutôt un problème de société, c’est par rapport aux épouses et aux enfants. Quand on travaille en montagne, on vit en fond de vallée, que ce soit à Chamonix, Modane, Briançon, etc... et les familles et surtout les épouses sont de plus en plus réticentes à suivre leur mari car elles sont obligées de démissionner de leur poste et ne retrouvent pratiquement jamais l'équivalent sur place. C'est une dure réalité dans le privé et dans une moindre mesure pour les épouses qui sont fonctionnaires, en l’occurrence, médecins hospitaliers, infirmières ou enseignants.

Y a-t-il des femmes pilotes montagne ?

Nous avons actuellement trois femmes pilotes. La première femme pilote – qui n’est d’ailleurs plus en gendarmerie depuis six ou sept ans – a été en 1993 la première femme motard en gendarmerie. Elle est devenue ensuite pilote d’hélicoptère.

Est-ce qu’un pilote d’hélico a aussi ses mentors, ses héros pilotes, tel un Bonatti pour un alpiniste ?

Je n’avais pas de héros mais par contre quand je suis venu en gendarmerie, oui, j’ai eu des mentors très rapidement avec des pilotes qui étaient instructeurs en montagne. Ce sont eux qui m’ont non seulement formé au vol en altitude, mais qui m’ont fait aimer encore plus la montagne. Un certain nombre d'entre eux sont partis à la retraite, d'autres hélas disparus à la suite d'accidents. J'en profite pour leur adresser un hommage.

Quelles personnes composent un hélico dans le cadre d’un secours en montagne?

Pour le massif du mont Blanc, la base de l’équipage est toujours un pilote, un mécanicien de bord treuilliste, deux secouristes du PGHM et un médecin du SAMU. Pour le département, c’est un peu différent, un pilote, un mécanicien de bord, un secouriste du PGHM, un secouriste pompier et un médecin.

Comment se fait la liaison entre vous et le PGHM ?

Toutes les alertes tombent au PGHM qui régule les secours à l’instar du CODIS ou du SAMU. Ensuite ils nous basculent l’alerte à la DZ. Pour la zone de Chamonix, c’est le PGHM qui régule en amont.

Comment s’effectue la permanence des pilotes?

Malheureusement depuis un an il manque un pilote qualifié pour Chamonix. Nous sommes deux pilotes pour assurer la permanence 24 heures sur 24, 365/365 jours.

Pour ceux qui ne connaissent pas, où se trouve votre DZ ?

La DZ se trouve aux Bois à Chamonix. Nous y sommes de manière permanente depuis 1999, date de sa reconstruction.

Quelle sont les zones géographiques que tu es censé survoler dans le cadre de ton travail ?

Toute la zone du massif du mont Blanc en semaine impaire et le reste du département de la Haute-Savoie en semaine paire.

Quelles sont les différences particulières entre le vol en montagne et le vol en plaine ?

On va démystifier... Un pilote privé est tout à fait capable de voler en montagne dans des conditions clémentes, cela ne lui posera pas de problème à condition de respecter certaines procédures. Il va mettre un peu plus de temps qu’un pilote montagne pour poser sur un point mais il va y arriver. Après, ce qui fait vraiment la différence, c’est que nous exploitons ces machines en limite de puissance. L’équipe minimum dans l’hélico c’est au moins cinq personnes au décollage, mais en plus après ça, il faut récupérer les victimes. Nous sommes en général très lourds avec très peu de kérosène, la gestion de la mission est compliquée avec un hélico qui est pratiquement souvent en limite de puissance, parce qu’on est en altitude...

… même avec les dernières générations d’hélicos ?

Oui tout à fait. L’Alouette III était vraiment extraordinaire et souvent en limite de puissance mais l’EC145 l’est aussi mais bon... il faut relativiser. Cette machine possède une cellule qui est beaucoup plus importante, elle a deux moteurs, on prend plus facilement plus de monde mais on est souvent, et particulièrement l’été en limite de puissance. Ensuite ce sont les conditions aérologiques et météorologiques qui font que ça devient très compliqué et parfois extrême. Avec des vents forts voire violents, des conditions de nébulosité, de nuages et puis l’hiver avec la neige... tout ça fait qu’on travaille dans un milieu hostile, parfois sans trop de référence, etc... C’est ce qui fait la différence avec le métier d’un pilote de plaine.

Comment se pilote un hélico ? Vous avez des radars ?

Non, les seuls radars qui existent sur les hélicos sont des radars météo, donc ça, c’est pour faire du vol aux instruments. Ça dépend de la qualification du pilote, mais ces hélicos sont capables de voler en vol à vue, c’est ce qu’on appelle du VFR, ou du vol aux instruments, de l’IFR. L’EC 145 est capable de faire les deux, il est qualifié pour, c’est pour ça qu’il a deux moteurs, un pilote automatique, etc. Mais en montagne, non, ça ne sert strictement à rien car on ne vole qu’à vue. Le radar et le vol aux instruments n’existent pas.

Quelle est limite en nébulosité pour qu’un hélico puisse voler?

Le problème c'est que la règlementation de l’aviation civile n’est pas adaptable pour le secours en montagne. Les limites sont propres à chaque institution. Dans la gendarmerie nous avons nos propres textes, notre formation, mais s'agissant de la montagne on ne peut pas tout écrire. La prise de risque est calculée en fonction de la mission.

Ça arrive que l’hélico se retrouve piégé par le mauvais temps ?

Oui cela peut arriver mais nous sommes formés pour minimiser les risques et éviter ce genre de situation. Le but et de sortir très rapidement de ce contexte. Le pire est de se faire « coffrer » en montagne et de ne pas pouvoir revenir. C’est le pire qui puisse nous arriver, outre le crash évidemment. On vole parfois dans des conditions météo qui ne sont pas très bonnes voire exécrables...

Quels sont les dangers potentiels du vol hélico en montagne ?

En mission de secours par exemple il faut travailler assez vite et on a parfois peu de kérosène dans le réservoir. Cela augmente l’adrénaline et la pression de la mission. Ensuite, il y a tous les dangers objectifs qui concernent la montagne, comme les chutes de pierres, les avalanches... On a failli en prendre une sur la machine il y a quelques semaines, c’était jamais arrivé. C’est le secouriste dans la machine qui a vu l’avalanche et qui nous a fait partir. On était en recherche des trois collègues gendarmes qui sont morts début juillet et l’avalanche est partie au-dessus de nous, c’était vraiment très fort. Plus particulièrement en Haute-Savoie et en Savoie, il y a un grand danger avec les câbles de débardage, les câbles à bois – on connaît bien sûr les lignes électriques – c’est terrible car ce sont des câbles de grosses sections qui sont très longs, cela peut aller de 1000 à 2000m de longueur, et on peut avoir une hauteur sol de 300m. Depuis quelques années, ils sont répertoriés, sauf qu’on ne les connaît pas tous parce qu’il y en a beaucoup. Les gens les posent, les retendent, etc. et c’est vraiment un gros problème.

Y-a-t-il dans le massif du mont Blanc des zones plus difficiles pour travailler de par l’aérologie, le relief… ?

Non... c’est ce qu’on montre à nos bébés pilotes montagne, ça peut être très compliqué parfois à 2500m parce que l’aérologie est ce qu’elle est à un moment donné, et puis tu vas faire un secours sur le mont Blanc à 4800m relativement « simple ». On va dire qu’à partir du moment où tu passes les 4000m, les 12 000 pieds, ça commence souvent à devenir un peu compliqué parce que tes machines sont déjà en limite de puissance. Donc là, ça demande beaucoup plus d’expérience pour pouvoir travailler. Il n’y a donc pas vraiment de zones particulières sur le mont Blanc car quand il y a du vent vraiment très fort, ça devient compliqué partout, voire impossible d’aller faire le secours. Il arrive même parfois que la caravane terrestre ne puisse pas partir parce que les conditions en montagne sont vraiment trop dangereuses.

A ce propos, en secours utilise-t-on toujours les caravanes terrestres ?

Oui, tout à fait. Depuis le début de l’année, les gendarmes secouristes du PGHM y sont allés quand même pas mal de fois parce qu’on a eu des conditions en montagne très particulières. Nous, quand on est dans le brouillard ce n’est même pas la peine, on ne peut pas décoller, donc dans ce cas-là, la caravane terrestre part. Après, si les conditions sont vraiment trop mauvaises pour les secouristes, ils n’y vont pas parce que là, ils engagent leur vie.

Quels ont été les premiers hélicos à faire du secours en montagne ?

Les premiers hélicos de secours, c’est suite à l’affaire Vincendon et Henry, ces deux alpinistes qui ont été bloqués dans le massif du mont Blanc en 1956... une caravane terrestre qui part, un appel à des hélicos de l’armée, dont un qui se crashe, tout ça monte en flèche... C’est à partir de ce moment-là que la gendarmerie a commencé à faire du secours en montagne, mais c’était de manière très ponctuelle et saisonnière. C’était soit l’été ou l’hiver, il n’y a avait pas de détachement permanent. Les premiers hélicos de la gendarmerie étaient des Bell 47G2 puis l’Alouette II pendant quelque temps. Ces Alouette II en montagne ont été remplacées par cette magnifique machine qu’était l’Alouette III. Elle a œuvré sur Chamonix jusqu’en 2003 et à partir de cette date, l’EC145 et l’Alouette III ont travaillé pratiquement un an ensemble pour aguerrir nos pilotes sur cette nouvelle machine qu’est l’EC145. À partir de 2004, l’EC145 a pris définitivement la place dans nos unités et à Chamonix.

Sur quels types d’interventions es-tu le plus amené à travailler?

L’alpinisme, en moyenne ou haute montagne, de la randonnée, du VTT, des parapentistes, des base-jumpers, des wingsuiters. Il y a quelques semaines c’était un wingsuiter russe qui a sauté et dont la voile s’est ouverte au dernier moment. La personne n’est pas décédée mais est polytraumatisée. Nous avons terminé le secours dans la nuit.

Quel type d’accidentologie rencontre-t-on le plus souvent ?

A chaque fois qu’il y a une nouvelle activité, il y a une nouvelle d’accidentologie. Je l’ai vu il y a plus de quinze ans avec les VTT. Quand les stations ont ouvert leurs domaines skiables pour les vététistes, il y a eu une traumatologie qu’on n’avait pas, parce que là, quand les personnes se plantent sur des descentes, ils se font très très mal, voire ils ne se relèvent pas. Et il y a de plus en plus de gens qui pratiquent la montagne avec un grand M, car la montagne n’est pas que l’alpinisme.

Ça arrive que vous soyez complètement débordés par les demandes de secours ?

Si quelqu’un sur le massif du mont Blanc s’est fait une entorse de la cheville, c’est évidemment important, mais si l'on a quelqu’un d’autre à côté qui a fait une chute d’une centaine de mètres avec un gros traumatisme, on va privilégier ce type de secours. On peut avoir effectivement en même temps quatre, cinq secours de moyenne ou grande importance et il faut hiérarchiser tout cela avec le PGHM et les médecins. Il n'y a qu’un médecin sur le massif du mont Blanc et un autre sur le secteur département, c’est problématique parfois. Maintenant, dire que ça « bouche », oui, à un moment donné ça peut prendre un peu plus de temps, c’est clair.

Quand les alertes s’enchaînent vous repassez par la DZ ?

Non pas forcement. Tu peux avoir deux ou trois alertes en même temps que tu prends en vol par radio. On les fait dans la foulée ou avec un petit temps de ravitaillement en kérosène parce qu’évidemment on n’a pas des heures d’autonomie. On revient à la base si on doit récupérer des secouristes. Si tu pars sur trois ou quatre secours, tu peux laisser une équipe à un endroit, redescendre à Chamonix pour en récupérer une autre. Tu jongles avec l’empilement de tous ces secours qu’il faut gérer. J’adore gérer ce type de situation ici car tu as non seulement le vol en montagne, mais aussi ces gestions de missions qui font partie intégrante du boulot. Dernièrement il y avait tellement de secours à faire, que l'on nous a fait « sortir » de l’alerte département et on est allé prêter main forte aux hélicos de la sécurité civile parce qu’il y avait vraiment trop de monde en montagne et trop de secours à réaliser.

L’entretien d’un hélico est très important je suppose ?

Oui, c’est extrêmement important et le nôtre est particulièrement bien fait. Nos mécaniciens entretiennent l’hélico dès qu’il revient au sol. Si nous n’avons pas beaucoup volé, ce n’est que visuel. Dans l’aéronautique, que ce soit pour les avions et surtout pour les hélicos, il y a une maintenance qui est beaucoup plus importante. Il y a ce qu’on appelle des visites qui sont obligatoires, outre le visuel et l’entretien de tous les jours. Elles sont faites par exemple toutes les 25, 50, 100, 300 heures, où tu as des choses à aller vérifier ou remplacer. Ensuite il y a ce qu’on appelle les grandes visites qui sont des visites toutes les 600 heures, la machine part sur un centre de maintenance gendarmerie qui est à Orléans. Elle peut aussi partir chez l’industriel pour plus de sept semaines où elle est pratiquement refaite. C’est ce qui fait qu’un hélicoptère coûte très cher. Quand on nous enlève la machine, on a un hélicoptère de maintenance qui vient pendant toute la durée de la visite de l’autre hélico. Et c’est ce qui est aussi très problématique parce qu’on doit avoir une quinzaine d’EC145 en gendarmerie, et évidemment le but est de ne pas avoir trois ou quatre machines qui arrivent en maintenance en même temps. Après c’est de la gestion, on est obligé de freiner quelques unités en disant, attention les gars, vous volez trop, il faut un peu réduire le nombre d’heures de vol, faites le bon choix, etc. C’est compliqué aussi.

Observe-t-on une augmentation des appels liés à la facilité de l’utilisation du téléphone portable?

Non, on va dire que les gens appellent plus facilement. On a une grosse régulation qui est faite par le PGHM et il y a des questions qui leurs sont posées pour évidemment ne pas nous faire décoller pour rien. Et puis c’est un plus car l’alerte est donnée beaucoup plus rapidement, et même plus qu’avec le portable, avec le GPS, les gens sont capables d’appeler très rapidement et de donner une localisation très précise, et ça, c’est un gain de temps qui est énorme.

Y-a-t-il eu ces dernières décennies des accidents d’hélicos dans le cadre d'un sauvetage ?

Concernant les hélicos de la gendarmerie, non. Depuis plus de dix ans maintenant et même plus, on n’a pas eu d’accidents avec mort d’hommes mais on a eu des incidents, on a touché des pales, etc. Dans l’aéronautique, on est « en dehors des clous » au niveau des statistiques, ce qui veut dire que nous sommes extrêmement vulnérables. C’est un peu de la science-fiction mais on n’a jamais été aussi proche d’un crash au niveau de ces stats. Pour nos grands patrons à Paris, leur hantise est de se faire réveiller en pleine nuit, et qu’on leur dise qu’il y a eu un crash. On est, je crois, la seule entité, en aéronef d’état, où il n’y a pas eu d’accident. Sinon, on a eu un accident mortel à Briançon et à Tarbes, deux accidents mortels à Modane, mais cela remonte comme je disais à un peu plus de quinze ans maintenant.

Il y a déjà eu des cas de foudroiement d’un hélico ?

On n’a pas trop d’exemple. Il y a eu une Alouette III à Briançon qui a été foudroyée. Ils ont pris la foudre dans la machine. Ça nous est presque arrivé il y a quelques jours. On était d’alerte sur le département pour un randonneur qui avait disparu, il y avait de forts orages et on a vu la foudre passer à côté. Évidemment il ne faudrait pas qu’elle touche l’hélico ou qu’elle rentre à l’intérieur de la machine. On est normalement protégé à l’intérieur mais par contre si tu as une fenêtre ouverte, l’éclair peut rentrer, ça ricoche. La foudre peut vraiment faire de gros dégâts électriques, oui... ça c’est possible.

Y-a-t-il parfois des collisions en vol avec des volatiles ?

Oui, et on fait très attention. Des choucas, des aigles, pourraient faire des dégâts, voire des gros dégâts. Le pire serait qu’ils traversent la bulle de la machine. Je ne l’ai pas vu en montagne mais en bord de mer, où un collègue pilote a pris une mouette sur un Ecureuil. Elle lui a cassé le tibia et avait même un peu abimé la face du mécano qui était derrière. Ça peut être catastrophique si un volatile passe à travers la bulle.

Quel est le record d’altitude d’un vol hélico en montagne ?

Le record a été fait sur le mont Everest [8847m] le 14 mai 2005 avec un Ecureuil B3 piloté par un pilote d’essai de chez Eurocopter. C’était avant tout un plan de communication pour booster ce type d’hélicoptère qui était déjà une référence, pour dire qu’il est super puissant et qu’on peut même le faire poser sur le toit du monde. C’est un hélico qui est utilisé par beaucoup d’entreprises pour faire du levage en remplacement du Lama qui avait œuvré pas mal de temps. Ce record a été fait dans des conditions spéciales de météorologie mais en tout cas c’est vraiment très fort. C’est d’ailleurs dommage que la gendarmerie n’ait pas été associée à ça. Il n’y avait qu’un pilote à bord et l’hélico était fortement allégé car il est impossible de poser avec cet hélico avec deux ou trois personnes à l’intérieur ou de faire du secours à cette altitude-là, il n’y a aucun hélico au monde qui est capable de le faire.

Peut-on quand même penser qu’un jour des hélicos feront des secours en très haute altitude ?

Le problème est que ça n’intéresse aucun industriel. Développer une machine coûte de l’argent et tu ne touches que très très peu de personnes. Pour une société ou entreprise, ce serait trop cher en coût de développement et non rentable.

Dans tes missions de secours, y en-a-il une qui te vient à l’esprit et qui a été particulièrement difficile ?

J’en ai eu de très importantes à la Réunion. Il y en a certaines qui m’ont aussi beaucoup marqué en Savoie ou en Haute-Maurienne comme le sauvetage des trois rescapés de la Vanoise qui avaient vendu leurs photos à Paris-Match. J’étais à Modane à cette époque. Ça avait fait énormément de bruit et ça m’avait assez marqué. Quelques semaines après, une autre histoire qui n’avait pas été médiatisée ; un père et son enfant de quatorze ans, étaient partis sur les Dômes de la Vanoise. Ils s’étaient fait avoir et « bâchés » exactement de la même manière que les trois alpinistes en Vanoise. Ils étaient dans un trou à neige. J’avais posé un seul secouriste du PGHM car le temps était vraiment exécrable, il faisait vraiment très mauvais et il y avait beaucoup d’orages. A chaque fois que le secouriste donnait une impulsion sur l’alternat de la radio, il se prenait pratiquement un court-jus. Il en était même obligé à arrêter sa radio parce que la foudre tapait à côté ou sur lui. Je n’ai pas de secours particulier qui me vienne à l’esprit mais après il y a des choses heureuses évidemment, comme à la Réunion, même si ce n’est pas du secours en haute montagne : une femme enceinte qui était partie faire une randonnée a accouché dans la machine. Ça m’avait fortement marqué. (rires)

As-tu le temps quand même d’apprécier le paysage ?

Tout le temps. Même si parfois tu apprécies un peu moins car tu vois toujours la même chose et que tu es en secours, tu es concentré dans ta mission, etc. Mais on se fait toujours plaisir, c’est magnifique de voler dans ce contexte, c’est aussi pour ça que je fais ce métier. Et puis ce massif du mont Blanc est extraordinaire.

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