Devenue paraplégique en 2010 suite à un accident de montagne, Vanessa François s'est lancé plusieurs défis dont celui de regrimper un big wall. Fin septembre 2013, grâce à des amis grimpeurs, le rêve va se réaliser dans la grande paroi d'El Capitan dans la vallée de Yosemite aux États-Unis...

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Vanessa François + Equipe "El Cap à bout de bras"

Montagnes Reportages : Comment es-tu venue à la montagne ?

Vanessa François : A l’époque je vivais à Tournai en Belgique et je travaillais à Lille. J’avais fait quelques stages UCPA auparavant, j’avais envie de prendre une année de disponibilité dans mon travail d’infirmière et du coup je suis venue à Chamonix. Je ne connaissais que le guide avec qui j’avais fait des courses et au fur et à mesure j’ai rencontré des personnes avec qui grimper.

Que s’est-il passé cette journée du 29 avril 2010 ?

Je grimpais en second dans la face sud de l’aiguille du Midi. J’ai reçu un bloc de neige compacté dans le dos qui m’a plaqué au rocher. J’ai fait par la suite neuf mois de centre de rééducation. J’ai commencé doucement par la suite à faire du ski de fond, c’était bien car je me retrouvais en montagne. J’ai recommencé à grimper l’été 2012.

Tu avais déjà l’idée de regrimper très rapidement ?

Oui, assez vite. Au centre de rééducation, je m’étais dit que je regrimperais.

Ça s’est passé comment concrètement ?

Marion venait avec moi car de toute façon j’ai absolument besoin d’aide. On a fait ensemble ma première longueur à Servoz en août. Ça s’était bien passé. Ensuite j’ai commencé à grimper un peu en salle et je suis allée dans le Verdon en octobre. Je me suis ensuite inscrite au club d’escalade de Chamonix et j’ai grimpé tout l’hiver. Au mois de mai de cette année je suis retournée grimper dans le Verdon. Je grimpe beaucoup en salle, notamment à l’ENSA où ils ont mis à ma disposition la leur, c’est pratique et vraiment gentil de leur part. Beaucoup de personnes m’aident à m’entraîner, je fais aussi du vélo car j’aime quand même bien être dehors.

Avais-tu un peu de crainte lors de tes premières longueurs ?

Non, pas du tout, j’étais bien et je me suis sentie tout de suite dans mon élément.

As-tu été obligée de réapprendre les gestes de l’escalade ?

Ce n’est plus la même grimpe car je suis maintenant sur une corde fixe. Les amis me mettent au relais et là, du coup je monte par des systèmes mécaniques, je suis dans le vide. Je grimpe avec un moufflage qui décuple les forces, les poignées ont été un peu adaptées.

Qui a lancé ce projet « El Cap à bout de bras »?

Des amis de Grenoble avec qui j’avais grimpé au Yosemite sont venus me voir au centre de rééducation. Ils m’ont alors dit que certaines personnes dans le même cas que moi avaient grimpé une grande paroi trois mois après mon accident. J’ai donc gardé cette idée et je me suis lancé ce défi.

Qui sera de l’aventure ?

Il y a Marion Poitevin qui est la première femme à être entrée au GMHM, elle n’y est plus actuellement. Elle a toujours été avec moi, dès l’accident, dès le tout début de l’hospitalisation. Liv Sansoz, qui a été double championne du monde d’escalade. Elle a été touchée par ce qui m’est arrivée, Marion lui a demandé si ça l’intéressait de se greffer au projet, elle a dit oui tout de suite. Nicolas Potard, guide de haute montagne, est le premier français à avoir libéré une voie dans El Capitan. J’ai déjà grimpé avec lui dans l’Utah. Il y aura aussi Fabien Dugit, aspirant guide à Chamonix. Il vient d’intégrer tout récemment le PGHM.

Vous allez grimper quelle voie ?

On va faire Zodiac parce que c’est une voie déversante. J’ai absolument besoin du devers, il ne faut pas que je touche la paroi sinon je n’avance pas. C’est une voie en 16 longueurs et elle fait 600m. Je pense qu’on passera quatre nuits en portaledge et cinq jours maxi dans la voie.

As-tu déjà une idée du déroulement de l’ascension ?

On est allés déjà deux fois au Verdon et on a dormi deux fois en paroi, c’était un peu un entraînement. On a donc une petite idée de la chose, mais c’est sûr que ça va être du travail ! L’approche et la descente seront les deux parties compliquées de notre aventure. Il n’y a que 3/4 d’heure de marche mais là, ça n’a plus rien à voir, c’est assez raide. Pour la descente, il y a quelques rappels qui sont d’ordinaire faciles mais avec moi sur le dos, ça le sera moins. Ils me porteront sur leur dos avec un système de corde. Ça ne sera pas facile pour tout le monde, c’est clair et ça sera beaucoup d’énergie.

Le budget est bouclé ?

Oui, le budget de l’expé est bouclé, on continue juste la recherche d’argent pour faire un documentaire via une boite de prod, un cameraman ou au moins avec un monteur.

Vous partez quand ?

On part le 28 septembre. Ça va vite arriver... J’ai hâte d’y être !

"Quand Vanessa a eu cet accident, je lui ai tout de suite parlé de ce projet. Elle s’y est vraiment accrochée, c’est quelque chose qui l’a fait tenir et qui l’a aidé à accepter son handicap parce qu’il y avait un objectif au bout... maintenant on va y aller ! J'avais déjà un petit peu grimpé avec Vanessa en Utah aux Etats-Unis avant son accident. Ce n’est pas quelqu’un avec qui je grimpais tous les jours mais j’ai vraiment été touché par ce qui lui est arrivé. Du coup j’ai lancé cette histoire-là quand je suis allé la voir vers Grenoble. Le Yosemite, c’est un peu mon jardin, j’y vais tous les automnes. Je n’ai jamais fait d’artif, moi qui fais du libre... ce n’est pas rien ce projet ! J’appréhende un petit peu quand même, je ne le cache pas, parce que ça va être compliqué. On a vu dans le Verdon que ce n’était pas simple. C’est donc un sacré challenge mais on y va pour se marrer et on va tout faire pour que ça marche. On ne se met pas la pression totale, c’est surtout pour passer un moment ensemble et puis si ça aboutit, tant mieux !"

 

"Je suis déjà allée plusieurs fois sur cette paroi. Cette aventure est l’occasion de refaire une escalade avec Vanessa, l’occasion de découvrir une nouvelle façon de grimper et aussi de découvrir comment ça marche. Ce n’est pas tous les ans que j’ai l’occasion de faire des choses comme ça, c’est aussi l’attrait du goût de la nouveauté. Personne n’aura un rôle strict défini dans l’équipe, on tournera tous à tour de rôle car il y aura beaucoup de travail pour celui ou celle qui sera en tête. Le plus compliqué sera l’accès au pied de la voie et la descente de la voie car il va falloir porter Vanessa sur son dos. On a pensé à d’autres solutions mais ça sera quand même la solution la plus simple. On connaît déjà le chemin et puis il y aura beaucoup de monde sur place qui ont envie de nous aider et nous donner un coup de main."

   

"C’est une aventure complètement différente, avant tout une belle aventure humaine... Je ne sais pas si on doit parler de solidarité. Quelque part, ce petit groupe qui s’est formé autour de Vanessa qui a commencé à parler de son envie de pouvoir faire un big wall après son accident, et autour, tout de suite, Nico, Marion, moi, on a tout de suite dit : « On part avec toi, on est motivés ! ». C’est une aventure qu’on n’a pas l’habitude de vivre dans le sens on y va pas pour nous. Quand j’ai appris son accident, je sortais tout juste moi aussi d’un grave accident, j’avais passé trois mois dans un lit et un mois en fauteuil roulant. C’est Martine, la femme de Nicolas qui m’avait parlé de Vanessa. Ça m’a tout de suite beaucoup touché parce que je me revoyais en fauteuil roulant, sachant très bien que j’allais remarcher car j’ai eu cette chance-là, et quelque part ça m’a touché assez profondément dans le sens où j’ai vécu quelque chose d’assez dur mais je n’ai pas eu de dommages irréversibles comme pour Vanessa. Quand j’ai déménagé à Chamonix après mon accident, j’ai été amenée à la rencontrer assez rapidement. Je connais cette paroi d’El Cap mais je n’ai jamais grimpé Zodiac, ça doit faire trois ans que je ne suis pas allée au Yosemite, je suis contente de retrouver ces grandes faces, ça va être chouette."

"J’ai connu Vanessa par Marion qui m’avait proposé d’aller dans le Verdon pour aider Vanessa à s’entraîner et grimper. Etant aspirant guide, j’ai fait pas mal de grandes voies, je pouvais donc par la suite les aider pour toutes les manips en paroi... la rencontre s’est faite comme ça. Je suis hyper admiratif du projet de Vanessa, de la volonté qu’elle y met et de tous ses efforts qu’elle fait pour s’entraîner. L’aider à concrétiser ça, lui donner un petit coup de pouce pour qu’elle y arrive, un peu par solidarité aussi dans l’espoir que ça aille mieux... ça a dû être dur à vivre pour elle après l’accident car elle faisait énormément de montagne, du coup si ça peut l’aider un petit peu, je fais ça volontiers. Je suis allé trois fois à El Cap, je connais bien la vallée. La marche d’approche pour aller au Nose est très courte et très facile mais pour aller faire Zodiac, là c’est bien plus long, dans des gros éboulis, je pense que ça ne va pas être simple. Quasi sûr, il y aura déjà sur place l’équipe nationale jeunes alpinistes, on connaît pas mal de membres. Du coup à mon avis on pourra avoir des français costauds qui pourront nous aider (rires) et puis il y aura forcément des grimpeurs motivés par ce projet... ça ne m’inquiète pas trop."


> Le site web d'El Cap à bout de bras ici

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