Son appareil photo est plus important que son baudrier, dit-il. Jon Griffith combine la photographie de montagne et l’alpinisme au milieu de son jardin granitique fétiche, le massif du mont Blanc…
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Jon Griffith

Montagnes Reportages : Tu es originaire d'où ?

Jon Griffith : Je suis né en Belgique mais je suis anglais. Ça fait maintenant neuf ans que je vis à Chamonix. Après l’université en Angleterre, je voulais prendre une année sabbatique et passer un an à Chamonix où j’étais déjà venu deux ou trois fois. Je voulais ensuite faire un vrai boulot à la maison. Finalement neuf ans plus tard je suis encore ici. C’est vraiment un endroit extraordinaire pour vivre, il y a des moments où c’est un petit peu chiant mais bon... c’est quand même assez incroyable Chamonix.


Comment es-tu venu à la photographie de montagne ?

J’habitais Londres. Toute ma famille et mes amis ne connaissaient pas la montagne et n’avaient aucune idée de ce que j’y faisais. C’était donc un moyen de ramener quelque chose pour leur faire voir ce que je vivais. Ils comprenaient mieux et pouvaient enfin visualiser car c’était impossible de leur dire avec des mots ce que je pouvais leur dire par une photo. C’est comme ça que j’ai commencé, ce n’était pas du tout professionnel. Pour moi, 50% du plaisir d’être en montagne, c’est de prendre des photos. Je suis d’ailleurs sorti en montagne une seule fois sans appareil photo lorsque je suis allé faire l’intégrale de Peuterey à la journée. J’étais épuisé et je l’avais oublié. L’appareil photo est plus important que mon baudrier ! La photographie n’est pas un boulot super difficile... la seule chose est qu’il faut se trouver une spécialité du fait qu’il n’y a pas trop de clients ni trop d’argent là-dedans.

Avec quel matériel photo travailles-tu ?

J’ai un 5D Mark III Canon et un Olympus E-M5 que j’utilise de temps en temps. Mais 85% de mes courses et même plus, j’utilise le Canon même quand je fais des choses « light and fast ».

Tes premières photos quand tu es arrivé à Chamonix avaient déjà comme sujet la haute montagne ?

Oui, il y a toujours eu de la haute montagne. En fait, j’ai commencé l’escalade en haute montagne et non pas en falaise comme beaucoup de personnes. Je n’ai pas commencé par du haut niveau, je faisais des 4000m en Suisse par les voies normales. Pour moi ça, c’était l’aventure alors que la falaise ça ne me disait pas trop. Ensuite j’ai progressé. J’étais toujours en haute montagne et mon appareil me suivait.

Ce n’est pas trop difficile de grimper et faire des photos en même temps ?

Je prends facilement plus de cinq cents photos dans une voie. C’est hyper important pour moi de prendre des photos en montagne. Quand je grimpe, je cherche devant moi l’endroit où je vais me placer pour faire la prochaine photo, c’est déjà calé dans mon cerveau. Ce n’est pas du tout comme si à un certain moment je me dis qu’il faut que je prenne une photo, c’est différent. Chaque fois que je fais 100 ou 200m je sais exactement où sera prise la prochaine photo. C’est un peu comme quand tu fais une longueur et que tu te dis qu’à tel endroit tu vas faire un relais ; moi je monte et je me dis que là, je vais prendre une photo. Parfois la journée d’avant j’ai déjà tout calculé dans ma tête, voire même une semaine ou un mois avant pour certaines voies. La seule chose est qu’il faut sortir l’appareil photo !

Comment ça se passe concrètement dans la cordée ?

Si je vois l’endroit devant où je vais faire ma photo, je fonce pendant trente secondes en corde tendue, je sors l’appareil très vite et je fais ma photo. Les meilleurs photographes sont ceux qui reviennent avec cinq cents photos, et avec un partenaire qui ne s’est même pas aperçu qu’il avait sorti l’appareil. Il faut donc vraiment regarder, être en forme et être rapide. C’est très rare quand je demande à un partenaire de s’arrêter, il faut vraiment que ça soit une photo exceptionnelle. D’ailleurs je ne demande jamais d’arrêter pendant cinq minutes... c’est vingt secondes maximum et dans ce cas il sait que ça vaut vraiment le coup pour la photo. Il n’y a donc jamais de problème dans ce cas.

Le Canon 5D n’est pas spécialement petit, ce n’est pas trop gênant de l’emmener en paroi ?

Oui, il est énorme et effectivement c’est un peu gênant. Quand je fais une course « light and fast », il double quasiment le poids de mon sac à dos. Mais après l’avoir eu des années dans mon sac, je me suis habitué à son poids. Ça ne m’a jamais posé de problème de rapidité avec mes amis.

Où le mets-tu pendant la course ?

Il est toujours dans le sac à dos. Mais si c’est sur du terrain hyper facile, parfois je le fixe sur mon harnais. Je n’utilise pas un système spécifique. La pochette qui tient mon appareil photo a presque vingt ans, je l’avais acheté en Thaïlande, ça vaut rien mais c’est bien mieux que ces nouvelles housses de protection qui sont maintenant vendues.

Tu as aussi déjà utilisé des APN compacts ?

L'E-M5 dont je parlais est super bon, c’est le seul appareil photo que j’ai utilisé de ma vie à part le Canon. Avant j’avais deux ou trois compacts, je pouvais les mettre dans la poche mais je n’étais pas content du résultat des photos, ça me décevait énormément. J’ai donc continué à emmener le 5D. Avec les objectifs, il pèse quand même 2 kg, c’est lourd. L'E-M5 est le seul [petit] appareil photo que j’ai trouvé avec lequel on peut faire de la bonne vidéo et où on peut mettre un grand angle. C’est génial. Sinon, je ne m’y connais pas trop en compacts.

 

La lumière en montagne diffère-t-elle selon que l’on soit dans les Alpes ou en Himalaya par exemple ?

Je trouve qu’il n’y a pas une grande différence. Il y a toujours des heures précises pour prendre des jolies photos. Si tu te trouves en face nord, il n’y a jamais de lumière, en face sud à partir de 10h il y a trop de lumière, c’est toujours le même problème partout.

Quel conseil donnerais-tu pour faire une bonne photo ?

La première chose déjà, c’est de faire une bonne recherche sur ce que tu veux grimper, que ce soit une arête ou autre chose. Il faut ensuite bien regarder où la photo va être faite dans la course. Il faut que tu sois en tête le plus possible à ce moment-là, avec la bonne lumière... Ce n’est pas souvent qu’on se retrouve avec une photo 5 étoiles faite par hasard. Il faut maîtriser la montagne, c’est ça le truc. Etre le plus possible en solo c’est mieux car quand tu es encordé avec des gens, c’est fini pour les jolies photos ! En fait, pour une bonne photo de montagne, il faut que tu sois objectif. Quand tu es encordé avec quelqu’un, une corde part de toi à ton compagnon, ce n’est pas objectif, c’est différent comme photo. Si tu arrives à tout faire en solo, ce sont pour moi les meilleures photos car les gars grimpent tout le temps, ils ne s’arrêtent jamais, tu les vois fatigués, ils font des mouvements naturels. Quand on arrête des gens pour faire une photo, là ils reprennent leur souffle, ils se sentent un peu comme modèles, ils prennent donc souvent des poses que je trouve un peu ridicules... ils ne le font pas exprès car c’est normal de vouloir être un petit peu cool sur la photo. J’ai envie de prendre des photos où l’on voit des gars au lever du soleil sur une grand arête à quatre pattes, crevés, c’est aussi ça la montagne, on n’est pas toujours à 100%.

Tu utilises parfois plusieurs cordées pour faire des photos ?

Très rarement à part si j’ai à faire un shooting super important pour un grand client, à ce moment-là on est deux cordées. Parfois on part à trois, je m’encorde mais j’essaie de faire le maximum en solo et dans ce cas j’enlève la corde. Ça nous permet de bouger beaucoup plus vite et de prendre des photos naturelles comme je le disais. Je sais que ce n’est pas toujours possible quand c’est super raide. J’adore grimper à fond dans du raide, mais c’est dur à vendre à des clients. Tu ne vas pas avoir beaucoup de shooting dans les Jorasses parce que c’est trop extrême, les clients ne comprennent pas. Ce que les clients veulent, je peux le faire en solo donc ça marche assez bien.

Tu travailles surtout dans les Alpes ?

Oui uniquement dans les Alpes. Chamonix est d’ailleurs parfait pour ça. Je connais très bien tous les endroits, je sais où aller pour faire des super photos. L’accès avec l’aiguille du Midi, c’est nickel. Si on part dans les Jorasses ou dans la face nord des Droites, on peut faire ça dans la journée, c’est dément pour les photos.

Es-tu fier de certaines de tes photos ?

Oui, il y en a plusieurs mais chaque année ça change. J’essaie de prendre des photos de plus en plus extrêmes. Chaque année, quand je grimpe plus fort et que je ramène une photo, je suis super fier. L’hiver passé j’ai pris une jolie photo dans Manitua aux Grandes Jorasses. C’était la quatrième ascension de Manitua en hiver, c’était hyper expo, super extrême... on ne va pas revoir ça avant dix ans ! Les photos les plus superbes ne sont pas celles qui ont été construites comme en studio. J’en ai bien-sûr pas mal qui font un peu plus studio, ok elles sont jolies, mais les photos dont je suis le plus fier, ce sont les vraies photos de montagne comme la face nord des Drus, etc.

Il n’y a donc pas besoin d’aller au bout du monde pour faire de belles photos de montagne ?

Ce serait encore mieux si j’allais très loin mais pour du boulot c’est impossible. Les entreprises n’ont pas assez d’argent pour m’envoyer prendre des photos au Népal pendant trois semaines avec des athlètes, tu imagines le coût !

Y-a-t-il des photographes qui t’ont influencé ou marqué ?

Pas trop. J’ai commencé la photographie en autodidacte. C’est vraiment très personnel, un petit peu comme grimper dans les Alpes, on fait nos propres projets dans le style qu’on veut. Pour moi c’est exactement la même chose. C’est une chose visuelle de ce que je fais en montagne. J’ai envie de faire quelque chose de différent, j’ai même envie de faire mieux que les autres, c’est normal. Je n’ai donc pas un photographe attitré, je suis en train de faire mon propre chemin.

Tu photographies quelles activités en montagne ?

Seulement l’alpinisme et la cascade de glace. J’adore cette saison de l’hiver. Je ne photographie pas trop en rocher, ni en falaise. J’ai fait pendant deux ou trois ans des photos de ski pour pas mal de clients mais il y a déjà beaucoup de photographes spécialisés hyper doués dans ce domaine. Il faut donc faire des nouvelles photos, il faut être très artistique car on a presque déjà tout vu maintenant en photos de ski. Je ne suis pas très artistique quand je prends des photos, il y a trop de compétition en fait.

Tu penses qu’on n’a pas encore tout vu en matière de photo d’alpinisme ?

Non, on n’a pas tout vu. Tu peux avoir beaucoup de sujets en photographie alpine. Comparé au ski, l’alpinisme est vraiment différent. En ski, tu as la bonne poudreuse, ou alors une face nord assez raide... mais en alpinisme tu as toute une histoire derrière qui peut durer une semaine en face nord ou quelque chose comme ça, des bivouacs d’enfer, le froid, le chaud, les avalanches, les séracs, la météo, etc. Je pense vraiment qu’il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.


Existe-t-il une petite concurrence entre les photographes de montagne ?

En photographie purement alpine, on est très peu. D’ailleurs je ne connais personne d’autre à Chamonix qui fasse la même chose que moi. Il y a deux ou trois autres photographes alpins à Cham mais ils ne font pas le même style car il faut quand même grimper à un bon niveau pour faire ce genre de photos.

Es-tu amené à côtoyer d’autres massifs tels les Ecrins par exemple ?

Non. J’ai souvent envie d’aller ailleurs de temps en temps mais je trouve ça dur de partir de Chamonix. (rires). Je connais tellement bien le coin et j’adore le granit. Ici c’est mon jardin.

Tu pars d’ailleurs bientôt en expé ?

Oui je pars à la fin de la semaine au Pakistan. On retourne dans la vallée de Charakusa où j’étais l’année dernière, puis dans la face nord du K6 et sur une autre montagne qui s’appelle le Link Sar qu’on avait aussi tentée. C’est un 7000m qui n’a jamais été grimpé. On veut tenter la face nord et faire une traversée. J’ai une photo unique qui montre un sommet incroyable, ça doit faire 200 ou 250m en granit, ça a l’air hyper dur. Je n’ai d’ailleurs aucune idée comment on va le descendre. Ça va être fou !

Légendes des photos (de haut en bas) : Légendes des photos (de haut en bas) :

- Arête de l'Innominata
- Arête Midi-Plan
- Ueli Steck en solo intégral dans le crux de la Colton Macintyre dans les Grandes Jorasses
- Pleine lune sur le Cerro Torre. Patagonie
- Coucher de soleil sur Blaitière
- Cerro Piergiorgio. Patagonie

> Le site web de Jon Griffith ici

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