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Depuis 1980, Pierre Tardivel n'a cessé d'enchaîner les pentes extrêmes alpines de l'hexagone avec pas moins d'une centaine de premières à son actif. Retour sur un parcours plein gaz... |
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Montagnes Reportages : Tu te souviens de la première fois où tu as chaussé des skis ou que tu as fait de la montagne ?
Pierre Tardivel : Oh là non, je pense que c’était avec mes parents, j’ai dû apprendre le ski en station quand j’avais sept ou huit ans. La montagne, j’ai commencé par de la randonnée pédestre avec mes parents. On faisait de la rando classique autour d’Annecy, des petits sommets, mais bon je n’en faisais pas beaucoup. Mon père était plus un bricoleur, il retapait son chalet à Tours-en-Savoie et y passait tous ses dimanches. Parmelan, la Tournette, un truc dans le Beaufortain et puis voilà... mais ça m’a suffi pour me donner envie de faire de la montagne. Un début d’été aussi à Tignes, mes parents m’avaient emmené en vacances. J’ai pris mes skis et suis monté dans les cailloux pour aller chercher un bout de névé à Pramecou. Et puis par hasard dans la station, j’ai vu Vallençant qui passait ses films... Heureux hasard, j’avais les yeux grands ouverts. Ensuite j’ai appris l’escalade en m’inscrivant aux cours du CAF d’Annecy. Des cours d’escalade classique où tu as six séances avec un moniteur. Après ça a été très rapide, j’étais tous les dimanches en montagne, l’hiver en ski de rando. C’était la vraie passion, je voulais en faire tout le temps, toute l’année, et de tout, de l’escalade, de la neige, du ski, de la glace, de l’alpinisme. Très tôt donc, je savais que j’irais au guide. Tu es donc aussi guide de haute montagne, tu le pratiques toujours ? Quel a été ton cursus ? L’été 1987, je passais mon stage de guide, je n’avais pas du tout en tête l’idée de chercher du travail, mon objectif était de passer le "guidos" cet été-là. A l’époque quand tu avais ton diplôme, il y avait plein d’entreprises qui te tombaient dessus. Le Crédit Lyonnais m’a contacté et je me suis dit pourquoi pas ! Je n’étais pas sûr d’avoir le guide, je ne savais pas ce que serait ma vie, alors je me suis dit, autant essayer. J’ai donc eu ce job et j’ai démarré au guichet d’abord comme stagiaire commercial. Je jouais un peu sur deux fronts et je suis resté deux ans au Crédit Lyonnais. J'ai donc toujours bossé peu en tant que guide. Au début, j'avais le sponsoring donc je m'en fichais, je faisais le guide en dilettante, ça arrondissait les fins de mois. Puis après, quand les sponsors se sont arrêtés, j'ai dû développer le guide sans y croire, et rapidement j’ai démarré les bouquins. Ma femme ne travaillait pas et quand tu as une famille à charge, ce n’est pas raisonnable. S’il pleut pendant deux semaines, tu n'as pas de boulot, si tu as un accident, c'est fini, tu vends la baraque. Si tu es blessé, tu n'as pas d'assurance, pas d'indemnité journalière... tu fais quoi ? C’est dur à vivre je trouve, et ça m'a toujours fait flipper. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu m'investir à fond dans le guide. Des skieurs t’ont influencé dans ton parcours? Vallençant certainement. C’est sûr qu’il m’a motivé, parce que ses films correspondaient tout à fait à ce dont je rêvais : faire du ski hors-piste et quand je serai bon, faire de la pente raide. Après j’ai découvert Saudan. En 1980, je commençais à faire du ski de rando un peu sérieux puis j’ai fait ma saison complète au CAF, j’en suis sorti parce qu’il n’y avait plus rien d’assez intéressant. Il y avait leur cursus où tu démarres à skieur moyen, bon skieur, bon skieur alpiniste, très bon skieur alpiniste, après il n’y avait plus rien ! Dès que je pouvais, j’allais faire du hors-piste dans des bouts de couloirs et des pentes à 40 et puis en ski de rando dès que je trouvais 50m à 40, 45 je fonçais dessus, j’étais motivé pour ça. Une centaine de premières à ton actif… Oui, à peu près. Je ne sais pas combien Holzer en a fait mais sûrement beaucoup plus que moi. Les gars connus comme Vallençant et Saudan ont fait des descentes très médiatiques, mais ils n’ont pas fait beaucoup de premières parce qu’ils n'ont pas pratiqué très longtemps. Holzer en faisait peut-être une trentaine par an, il était hyper motivé, hyper actif, mais c’est vrai que lui aussi en a pas fait très longtemps car il a eu son accident. Comment trouves-tu tes objectifs ? En général, le terrain suffit à force de faire des balades au fil des ans et si tu as un peu de mémoire, tu te souviens des projets. J’en ai trouvé deux ou trois dans les livres par hasard, mais je crois que c’est surtout sur le terrain qu’on les trouve. Parfois des potes t’en indiquent, ça m’est arrivé aussi. Le couloir Roronnie l'Esquimau, l’année dernière au Pécloz, c’est un copain qui m’avait montré une belle photo le mettant bien en valeur. Jérémy Janody aussi, quand il faisait encore pas mal de choses dans les Aravis, il m’a sorti des trucs du style, Paré de Joux. Je n’avais jamais vu cette face car je ne m’étais jamais baladé là-bas. Avec Chauchefoin ce n’était pas compliqué, c’était ses idées. Il m’emmenait et je ne savais pas où l’on allait. Mais bon, la plupart des couloirs, je pense que je les ai découverts en me baladant.
Une majorité de premières dans les Aravis et le massif du mont Blanc… Dans les Aravis, tu peux démarrer à faire de la pente raide en décembre car c’est bas et bien orienté. En janvier, février, mars, ici tu es à fond alors qu’à cette époque-là à Cham, ce n’est pas la peine. En Vanoise, c’est pareil, c’est délicat. Dans la mesure où c’est plus haut, la neige est moins bonne. L’hiver donc s'enchaîne bien. Quand on a fini la saison des Préalpes, on commence à regarder les massifs centraux. … et une seule descente dans les Pyrénées ? Ça a été une opportunité médiatique on va dire. On avait été contacté par TV3 Spain – c'est un peu l'homologue de France 3 en Espagne – et à l'époque Pierre Ostian avait fait un sujet dans le magazine Montagne sur France 3. Eux dans la foulée se sont dit qu'ils aimeraient bien faire quelque chose avec moi. Je me suis pointé dans la station un peu riche de Baqueira-Beret, leur " Méribel" local, dans le val d'Aran. Je ne connaissais pas du tout et ils m'ont dit : « Pas de problème, tu viens avec nous, on va te trouver un truc ! » C'est ce qu'ils ont fait. Avec l'hélico, on a fait un survol des Encantats, puis on a trouvé un couloir au Pic Tallada qui avait une bonne tête et ça m'inspirait bien. On a donc fait un reportage sur le ski extrême.
Je n'ai vraiment pas envie de faire quinze heures de bagnole pour faire une pente raide, je ne vais d'ailleurs plus en Oisans ou dans l'Oberland bernois. Ailefroide, 4h pour y aller, 4h de retour, non... c'est n’importe quoi, je trouve ça ridicule de dépenser tant d'essence pour aller loin alors qu'on a tout ce qu'il faut sous la main, et en plus le risque de ne rien faire ! Ça m'est déjà arrivé, tu vas là-bas... « Ah ben c'est pas bon !!!! » du genre face nord du Pelvoux. C’est plutôt le mec du coin qui va faire la super descente, il va surveiller, se tenir prêt et foncer sur le créneau et c'est ce qui s'est passé d'ailleurs pour le Pelvoux. Dans ta liste de premières, y a-t’il des descentes qui ont vraiment une place à part pour toi ? Il y en a plein. En truc un peu sérieux, le Grand Pilier d'Angle en 1988. Enfin tous les trucs qui sont vraiment exceptionnels parce qu’ils ne sont jamais bons, le GPA n'a jamais été répété. Le Triolet, versant italien je crois que ça n'a pas non plus été répété. Arav'extrem dans les Aravis n'a pas été répété aussi. En face nord des Courtes, les Autrichiens, c'était une descente exceptionnelle. Le choix de tes partenaires ? Je fais assez confiance aux hasards de la vie. Je ne vais pas appeler un mec que je ne connais pas. Par contre, tu croises un pote par hasard dans la rue ou en station : « Tiens tu fais quoi dimanche ? Ok, super, on y va ! » Ça s’est souvent fait comme ça. Les premières que j'ai faites tous ces derniers temps, ce sont souvent avec des mecs différents que j'ai eus par hasard une semaine avant au téléphone... Je trouve ça sympa. Comment t'es-tu retrouvé à aller skier à l'Everest ? C'est comme l'Espagne ou le Japon, ce sont des opportunités médiatiques. L’Espagne, je pensais ne jamais aller là-bas mais leur télé m'appelle et on ne dit pas non dans ce cas. À l'époque on vivait des sponsors, j'ai tout de suite dit oui car tu es content et tu fonces. Le Japon pareil, j'étais à Chamonix, il y avait des japonais qui y habitaient et qui m’ont dit qu’ils pouvaient me faire faire des images. Ils brassaient bien avec les médias. Pour l’Everest, il y a d’abord eu un premier projet qui devait être un survol du sommet. « Si tu veux, tu viens et tu nous aides en tant que guide, comme ça tu connaîtras les gens et puis si ça se passe bien, l'année d'après, tu pars à l'Everest avec la télé japonaise, elle filmera tout. » m’ont dit les japonais. Cette première expérience de la haute altitude ? J’étais assez bien mais je prenais quand même de l’oxygène à partir de 8000 parce que je ne connaissais pas, je ne savais pas si j’étais capable de quoi que ce soit. Finalement je n’ai jamais été malade, aucun mal de tête, ça s’est plutôt bien passé. Après... non, ça coûte tellement cher. Si on te file le pognon, ok tu y vas et tu es content. Ça ne coûterait pas tant d’argent, j’y serais peut-être retourné mais il y avait la famille aussi, en 1992, ma femme était enceinte. En fait c’est surtout à cause ou grâce à la famille que je n’y suis pas retourné. Je ne pouvais pas concevoir d’avoir des enfants, une famille, puis me barrer deux mois, ça aurait été du n’importe quoi. Et en plus avec les sponsors, ça commençait à être dur. Début des années 90, c’était déjà un peu fini, toutes les télés ont disparu, et là si je n’avais plus de films grand public, il n’y avait plus de sponsors derrière. On les a tous utilisés avant qu’ils meurent ! Début 1990, les Carnets de l’aventure, après ça a coulé. En 1991 avec Pierre Ostian, on a fait les dernières émissions aussi. L’émission Ushuaïa en 1992, je crois que c’est la dernière année où ils diffusaient du sport. Après c’était du voyage, de la culture mais plus de sports extrêmes comme ils diffusaient avant. Je ne suis pas retourné en expé à l’Everest et les sponsors se sont arrêtés à partir de là car si tu n’avais pas fait l’Everest chaque année ou quelque chose de similaire, des films ou des Paris-Match, tu n’avais pas de gros budget. Ma femme a aussi tout arrêté à cause des enfants. C’était quand même elle qui était le moteur du sponsoring parce que moi, non... je n’allais pas chercher les médias ou les journalistes, non c’était vraiment pas mon truc... j’en avais aucune envie !
Matos Free-ride léger pourvu qu'il soit compatible avec les longues marches et le portage. Free-ride dans une certaine mesure parce que maintenant, vu qu'ils sont à 115 ou 120 au patin, là non, ça va plus ! J'ai pas mal skié avec les Pro Rider de Dynastar qui faisaient 100 au patin... C'était déjà trop pataud, trop lourd, trop large. Enfin la largeur, ça dépend de la structure. Dans le ski, il faut que ça soit maniable en couloir, que tu puisses sauter sur place et il faut être léger. Le matos n'a jamais cessé d'évoluer et moi je suis toujours allé vers du plus large mais il y a un moment où ça bloque. J'avais essayé des skis d'une autre marque avec 105 au patin mais très légers, j'avais fait la nord-est des Courtes et j'avais eu peur tout le long. J’avais l'impression que je ne m'arrêtais pas, parce que c’était trop souple en torsion. Le ski n'avait pas de nerf, pas d'accroche donc quand je voulais marquer l'appui pour m'arrêter, le ski se mettait en torsion et continuait sur la pente, c'était une vraie m... ! Ou alors le vrai ski de free-ride bien solide, bien accrocheur mais qui est trop lourd et qui n'est pas maniable. Tu n'arrives pas à sauter sur place et à faire des petits virages. C'est pour ça qu'il ne faut pas aller trop loin dans la largeur. Après c'est évident que la largeur aide à rester en surface comme en snowboard, ça aide à la maniabilité. Un ski étroit, tu vas au fond, et puis tu n'oses pas faire des virages ronds. Il faut trouver le juste milieu. J'utilise le Cham 97 qui me semble aussi maniable qu'un Mythic 97. Ce n’est pas loin du Pro Rider et pourtant c'est pas du tout le même ski, il est hyper maniable. Avec une grosse spatule comme ça, tu ne risques pas d'enfourner de l'avant, il est très court aussi. La longueur est plutôt gênante qu'autre chose. Y a-t’il une limite maxi en degrés pour pouvoir skier une pente? On ne mesure jamais. Ce n’est pas très important, c'est surtout la qualité de la neige qui fait que tu es limité. On entend encore parler de 55, 60,... des conneries tout ça, j'y crois pas trop. J'ai arrêté de mesurer il y a longtemps. Pendant un an ou deux, j'avais emmené deux ou trois fois un clinomètre. « Là c'est vraiment très raide. » Je regarde combien il y a... 54 ! Ah oui, ça me semble difficile de faire plus quand même. Depuis ce jour-là, je me suis dit de toute façon que ça ne servait à rien. Pour les trucs les plus durs en plus, je prends par exemple le Nant Blanc, ce sont des pentes à 50. La difficulté ne vient pas de la raideur de la pente et pourtant c'est sévère le Nant Blanc. Les Autrichiens, je n'ai pas mesuré mais c'est peut-être entre 50 et 55, c'est très soutenu, il m'a semblé que c’était plus raide que le Nant Blanc. Bon après, entre les deux, 1995 et 2009 il s'est passé quelques années et c'est difficile de comparer. Les Autrichiens, j'avais trouvé ça sévère, à chaque virage, je me disais, je le fais ? Je ne le fais pas ? J’avais des mauvais skis, 67 au patin à l'époque alors que dans le Nant Blanc, j'avais les Mythic qui font 89, on ne skie plus du tout pareil, c'est deux fois plus facile. Avec du matos moderne, si je retournais dans les Autrichiens, je trouverais ça facile et je me dirais que ce n’est pas si dur que ça. Les virages qu'on prend avec des skis larges, on était incapable d'oser les faire avec les skis étroits à l'époque. Tu vois, on avait l'impression qu'une descente était difficile mais c'est peut-être parce qu'on avait du mauvais matos à l’époque. Ça t’est arrivé de te tromper sur l’état d’une face alors que tu étais déjà dedans ? Il y a toujours un peu de soucis car tu n'es jamais bien sûr de la qualité de la neige que tu vas trouver, mais tu découvres tout ça en montant, ça te rassure si tu vois que c'est bon finalement. En général, un truc qui n’est pas bon, tu le vois de loin. A un moment donné, tu t’es lancé dans l’édition et la distribution, raconte…
L’année 2013 pour le ski a bien commencé pour toi… Oui, c’est une année exceptionnelle en enneigement et la motivation est là. Après, ça dépend de la vie que tu mènes, c’est peut-être plus facile pour moi ces derniers temps car maintenant mes filles sont grandes, avant c’était différent, il fallait s’en occuper et bosser plus et j’avais évidemment moins de temps. Là cet hiver c’était facile car j’étais complètement libre, je bosse et dès que je sens venir le créneau, je me libère quand il faut. Vu les conditions de neige cette année, c’est évident qu’il fallait se bouger. A voir si ça veut continuer à neiger gras, là c’était juste le début de l’hiver. Il y a une deuxième phase où l’on fait des trucs au nord en basse altitude. Après on peut aller chercher des pentes à 3000, 3500, en Vanoise ou mont Blanc en attendant d’aller chercher les faces nord à 4000 au mois de juin. Ce qu’on a fait avec Vivian et Seb à la Roualle, c’était une belle descente. La dernière que j’ai faite récemment, Mont Fleuri, c’est aussi une belle descente qui part du sommet, esthétique, logique, évidente. Au point que ça étonne deux ou trois mecs qui disent : « Mais attends c’est pas possible ! On le voit tellement bien depuis Tardevant, ça m’étonne que ça n’ait pas été fait avant ! » (rires)... Mais en attendant... pas de nouvelles ! Je pense que ça aurait réagi si quelqu’un l’avait fait ou l’avait vu quelque part. Je me suis fait "avoir" au Fleuri le même jour, je voulais enchaîner deux ou trois premières. On a commencé par le versant est, 200m et puis il y a quelqu’un qui m’a dit : « Ben non, j’y suis allé avant ! ». C’est beau internet ! > Le blog de Pierre Tardivel ici |
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