Jeff Mercier, alpiniste, gendarme secouriste au PGHM de Chamonix, assume pleinement son statut professionnel qui lui laisse du temps pour aller s’entraîner et pratiquer ce qu’il affectionne tout particulièrement, l’alpinisme hivernal. Cascade de glace, mixte et dry-tooling, un magnifique cocktail glacé qu’il partage avec ses potes, il va s’en dire…
Une interview exclusive pour Montagnes Reportages

Crédit photos : Jeff Mercier & Jonathan Griffith

Montagnes Reportages : Comment es-tu arrivé dans le milieu de la montagne ?

Jeff Mercier : Par l’escalade assez tôt quand j’avais 13 ans, surtout en fait par mes oncles qui m’ont initié. J’étais trop petit pour faire de la montagne, du coup je faisais de l’escalade. Je baignais là-dedans, dans l’imaginaire, c’est ça qui était pas mal. Ils me racontaient leurs courses. Après, mon déclic pour la montagne a été mon entrée en équipe FFME(1)en 1992, j’avais 22 ans. C’est là que je me suis dit que ça serait pas mal d’en faire un peu plus mais bon... Je me suis retrouvé finalement à Marseille pendant deux ans à essayer de devenir prof donc pendant ce temps, je n’ai pas fait trop de montagne. Ensuite, dès mon entrée en Gendarmerie à Briançon en 1999, j’ai eu l’occasion de faire plus de montagne et c’est à partir de ce moment-là que je n’ai plus trop lâché l’affaire. Je suis resté cinq ans au CNISAG(2). Je suis revenu au PGHM(3)de Chamonix depuis trois ans et je suis maintenant de nouveau un simple gendarme secouriste.


En quoi consistait ton travail au CNISAG ?

On va dire, en étant flatteur que le CNISAG serait l’ENSA(4)des gendarmes, dans le sens où l’on fait de la formation quasiment du débutant en alpinisme été hiver. On accompagne les personnes jusqu’à l’aspirant guide puisqu’on encadre les aspirants guides sous la tutelle de l’ENSA. On ne fait donc pas de l’encadrement mais uniquement de la formation en alpinisme, en secours de montagne car c’est quand même le gros volet et le cœur du métier, ensuite il y a le volet judiciaire, mais là c’est vraiment des choses spécialisées avec des gars qui sont vraiment pointus là-dessus. Mais le CNISAG intègre aussi une formation judiciaire et une formation secourisme à ses stagiaires.

Tu pratiques à côté le métier de guide de haute montagne ?

Faire le guide, de par ma profession, ça m’est juste interdit... oui, je pourrais faire le guide hors de mon territoire de compétence judiciaire, c'est-à-dire qu’il faudrait que j’aille jusqu’à Briançon pour pouvoir travailler, et puis... non je n’aurais pas la fibre à faire 100% du boulot de guide. Le peu que je guide, ce sont sur des choses que j’aime. Les gars le savent s’ils s’adressent à moi, en tout cas s’ils n’ont pas compris, je leur explique vite ! C’est soit pour aller faire du mixte ou de la cascade, et comme je l’ai écrit sur mon blog, « Si c’est pour aller faire le mont Blanc ou une Vallée Blanche, oubliez-moi ! » Après... c’est facile pour moi de dire ça et de faire le malin sachant que j’ai un travail et un salaire à temps complet. Si ce n’était pas le cas, je ne tiendrais pas ce discours-là.

As-tu été influencé par des grimpeurs ou alpinistes quand tu as commencé à pratiquer la montagne ?

Celui qui m’a le plus influencé en glace, c’est un type qui s’appelait Richard Ouairy et qui est d’ailleurs mort assez rapidement. Il était avec Moulin au début quand il faisait de la glace raide... oui, c’était vraiment un des très très forts glaciéristes de l’époque de "Moulinos". Il est décédé comme guide, il s’est pris une pierre en montant à la Fourche, tout bêtement. A ce moment-là, je ne faisais pas du tout de glace et lui m’en parlait, me montrait des photos, ça me faisait vibrer. C’est ce qui m’a donné le déclic quand j’ai vraiment eu l’opportunité de faire de la glace et de continuer à en faire. Et puis en alpinisme, Alexis Long, qui était mon prof quand j’étais dans l’équipe de la fédé, avec qui on a ouvert la directe de Divine Providence. En fait, je ne l’ai pas trop connu finalement car il m’a encadré en juillet et il est mort en septembre. Ça a été assez bref mais ça reste quand même des gens qui sont restés pour moi des étoiles filantes même s’ils ont eu une carrière assez longue, étoiles filantes par la brève relation que j’ai eue avec eux... oui, je pense souvent à ce qu’ils ont fait.

Quand as-tu commencé à pratiquer le dry-tooling ?

Ça s’est fait assez doucement. Comme je le disais, en 1999, j’étais à Briançon. C’est en fait là-bas que les gars se sont mis à équiper ces interruptions de glace, dans les cigares ou les parties raides équipées de spits, donc il faillait passer dans le rocher pour rejoindre un autre bout de glace. Il y avait des gars hyper dynamiques comme Cyrille Copier, moi je me contentais juste de répéter leurs voies, je trouvais ça de plus en plus intéressant ces interruptions de glace à parcourir parce qu’on voit tous la limite de la glace raide qui a déjà été atteinte il y a vingt ans. Ce qu’il nous reste sont des trucs qui vont peut-être s’effondrer et qui vont te donner de tels cauchemars que tu vas peut-être en faire un mais après tu vas laisser tomber et aller sur autre chose.
Ces interruptions de glace qui sont sensées être des trucs déments, parce qu’à chaque fois c’est dans du rocher super raide, donc ça veut dire de la glace technique et ça, c’est vraiment intéressant. Si tu as vu mon blog sur ce qu’on a fait encore il y a quelques jours à Kandersteg... voilà ça c’est typiquement la raison qui me motive encore à faire du dry maintenant. C’est pour avoir le niveau d’aller dans des voies comme ça, où tu vas faire du grade 10, tu vas avoir du M8 mais bon, faut tenir la route en M8 ! Faire du M6 de nos jours, je ne dirais pas que ça s’est banalisé, loin de là, mais c’est quand même plus abordable que de faire en tout cas du M8, parce que physiquement si tu veux tenir la longueur d’un M8 vertical, il va falloir être un minimum entraîné.

Tu utilises les techniques du dry plus comme un outil qui te permet de réaliser des voies difficiles en alpinisme ?

Oui. Aujourd’hui, je vois plus ça comme un entraînement, parce qu’après avoir fait des voies jusqu’à des 14, 14+, à un moment tu arrêtes. Tu ne vas pas rallonger chaque année 10m à ta voie. J’étais content de faire ce que j’ai fait et j’en ai fait pas mal à droite et à gauche.

Il y a quelques années, tu as aussi fait un peu de compétition ?

Oui. A un moment, quand tu es dans le dry et que tu essaies de faire des voies dures, c’est assez logique que tu aies envie de faire des compétitions. J’ai suivi le circuit de coupe du monde pendant trois ans à peu près, avec des résultats quand même moyens en intégrant peut-être une demi-finale sur trois étapes. C’est quand même pas mal de sacrifices pour peu de retour. Je pense que la compétition est toujours une expérience intéressante, mais après quand ça te coûte plus que ça ne te rapporte, il faut passer à autre chose. Du coup c’est suite à la compétition qu’on a eu l’idée de créer l’association DTS. On aime même bien tous, ce petit challenge de la compète, de grimper beaucoup, alors on s’est dit pourquoi ne pas mixer les deux en faisant quelque chose sur un site naturel avec un petit côté challenge.
DTS, c’est quelque chose entre la Gorzderette et la coupe du monde, c’est vachement amical. Tu vas grimper à bloc, tu vas ressortir avec les bras explosés, ensuite tu as une finale où tu gardes les meilleurs. On garde cet esprit Gorzderette où l’on s’interdit de donner les meilleurs lots aux meilleurs pour que ça ne soit pas la surenchère, et surtout pour que les gars ne se mettent pas la pression entre eux.

Il y a d’autres manifestations françaises dans le même style dédiées à la glace ?

Oui, il y a l’Ice Climbing Ecrins, avec Mathieu Maynadier qui fait un truc assez sympa. Il fait un contest le samedi un peu dans l’esprit DTS, avec plusieurs voies à réaliser. Là on sort les meilleurs qu’on fait grimper sur une structure artificielle au milieu du village de l’Argentière-la-Bessée. Le CAF lance cette année pendant leur rassemblement à Val Cenis un peu le même format, disons que ça se rapproche plutôt du DTS puisque tout sera sur site naturel avec un contest, et le soir une finale sur rocher.


Tu reviens récemment de Ouray (Colorado – USA). Tu ne fais plus de compétitions mais tu es toujours accro pour aller planter là-bas tes engins ?

Oui c’est clair. J’y suis déjà allé en 2008 où j’avais gagné, j’avais envie de revenir. Oui c’est sympa de faire une compète là-bas, c’est surtout sympa de faire six jours de cascade de glace dans ce canyon qui est à côté de la voiture, tu fais un petit peu de dry, un peu de glace, un peu de mixte... c’est une bonne ambiance. Surtout il n’y a pas ce sale côté de passer des heures en isolement où tout le monde te regarde un peu... Ce sont des vacances d’aller à Ouray !

 

Tu as fait plusieurs répétitions de voies l'automne dernier dans le massif du mont Blanc. Il n'y a plus rien à ouvrir dans le massif ?

Il n’y a plus rien à ouvrir... euh ça dépend par quelle lorgnette on le regarde. Les voies qu'on a répété l'année dernière avaient déjà été parcourues en chausson et en été. Voilà c’était juste qu’on a fait la première hivernale, que ce soit de la voie anglaise ou française. On l’a parcourue dans des conditions différentes parce que déjà, ces voies-là étaient sûrement hyper classe pour leurs ouvreurs mais je ne sais pas qui ça ferait vibrer d’aller grimper en face nord des Pèlerins en été 2012 ! Ce serait hyper dangereux, ça s’est à moitié éboulé. Ce sont quand même des faces qui sont passées d’actualité en version été. Après, la face nord des Pèlerins, je mettrais quand même un petit bémol car il reste quand même la classique du dièdre nord qui est encore beaucoup parcourue. Par contre dans les dalles à gauche, c’est quand même plus compliqué. Là je vois, on est allé faire une voie Piola dans les Pèlerins... ça s’est un peu effondré, le glacier est redescendu, du coup ça devient limite impossible à refaire ces voies là, en tout cas c’est beaucoup plus difficile que ça ne l’était initialement.
Maintenant ce qui me fait vraiment vibrer, c’est l’alpinisme hivernal, le mixte. Effectivement localement, s’il n’y avait que des voies comme "Beyond", je m’en contenterais largement. Maintenant, quand il y a des lignes qui sont 100m à droite, ce serait dommage de ne pas y aller quand tu habites là. Typiquement la première qu’on a fait, qu’on a appelée "Die Hard", à la base on ne partait pas du tout pour faire ça. On partait pour faire de la fissure aux Flammes de Pierre, c’était début de l’automne. On passe là, on voit ce truc là, du coup on fait demi-tour, on change de matos et on va faire ça. Ce n’est pas forcément quelque chose qu’on guettait même s’il y avait longtemps que j’avais idée de faire une voie par-là.

Comment fais-tu le choix de tes partenaires ?

Le choix des partenaires est un peu arbitraire. Je vais plus en montagne avec des potes ou des gens que j’apprécie déjà dans la vallée. Après c’est vrai que s’ils ont l’avantage de grimper vite et surtout en sécurité, ça ne peut être que mieux. Finalement je ne tourne pas avec beaucoup de gens différents. Je grimpe souvent avec Corrado Pesce, après ce n’est pas non plus évident de trouver des gens qui sont disponibles et qui peuvent partir au pied levé. C’est un peu l’avantage que mon travail m’offre – bon, je travaille quand même de temps en temps (rires) – mais je ne suis pas comme un guide qui va être pris soit par son client pour faire cette course, ou qui ne va pas être là au bon moment. Moi, je suis là quasiment tout le temps avec pas mal de disponibilités chaque semaine et après c’est l’occasion qui fait le larron. "Korra" est un peu dans la même philosophie que moi. Il est guide en début de carrière, il n’a pas encore de gros besoins financiers, en tout cas il se contente de peu, ce qui fait qu’on peut partir rapidement. Tu es obligé de fonctionner avec des gens qui sont comme toi, parce que sinon les conditions passent. Ce genre de voie, ça dure quinze jours, trois semaines, après ça disparaît.

Des expéditions à ton actif ?

Très peu. La seule que j’ai faite en sens propre d’expédition, c’était la fin de mon cycle FFME en 1994, où l’on avait ouvert une voie dans la face est du Lobuche (Népal). Je reste... disons pas casanier mais en fait ça me saoule de partir des jours, des semaines ou des mois pour zoner dans ma tente. J’aime bien faire des petits voyages qui sont moins l’aventure, par exemple aller au Yosemite pour faire une voie d’artif, aller au Ben Nevis pour grimper là-bas, aller en Norvège pour faire de la glace. Ce n’est pas de l’aventure ni de l’ouverture mais c’est du bon dépaysement, et c’est rare, on va dire, que tu n’en aies pas pour ton argent. Tu vas en Norvège, tu es sûr de faire de la cascade de glace.

Quels sont tes lieux de prédilection dans le massif ?

Le massif du mont Blanc, c’est super petit. Moi, ce que j’aime bien, et c’est ce qu’on a bien compris, c’étaient les faces raides et qui se protégeaient bien. Ça, il n’y en a pas cinquante mille, des faces qui sont un peu longues... Globalement il y a les Drus, c’est vraiment le sommet number one. Tu as un peu peur que ça s’effondre à tout bout de champ, ça reste quand même la face raide et fissurée qui doit quand même passer dans pas mal d’endroits. Après avec un petit bémol, tu as les Grandes Jorasses, c’est un peu la même formation rocheuse, avec quand même plus de fissures bouchées, c’est de la pure face nord, c’est moins évident je pense, de pousser le bouchon dans des faces raides et dures comme les Grandes Jorasses, à contrario des Drus où là... on a fait la preuve il y a quelques années, quand on est allés dans la Lesueur. J’ai fait une grosse erreur d’itinéraire, je pensais que ce qui était à gauche était du rocher pourri et dur, et en fait c’est là que tout le monde passe tellement c’est facile. J’ai quand même fait une longueur super dure, de la fissure super fine légèrement déversante. Pour moi ça devait être le premier M10 de montagne, à 2m à gauche juste à coté, manque de bol, c’était du M4 ! (rires) J’aurais dû bien regarder.
Je ne pense pas que dans les Grandes Jorasses, il y ait des passages comme ça. Dans les Jorasses ça reste quand même des challenges car c’est une face plus longue, plus technique, plus soutenue mais après... c’est restreint. On pourrait aussi libérer des voies d’artif comme ce qu’a ouvert Batoux à droite de la face, soit en face Est, la voie dédiée à Lafaille... oui, oui, pourquoi pas. Ça reste peut-être des trucs pour les générations à venir, ça c’est peut-être des gros morceaux. Il faudra avoir une bonne notion d’engagement en plus de la technique parce que j’ai de la chance d’être encore dans une période où l’on peut faire des choses techniques mais pas forcément monstres engagées. La preuve c’est que je me suis déjà pris un certain nombre de vols, comme dans cette Lesueur, la longueur que je pensais super dure, à la fin je suis tombé, ça m’est arrivé plus d’une fois mais ça s’est bien passé et je croise les doigts pour que ça continue, qui plus est, dans cette rive gauche d’Argentière, on ouvre des trucs vachement techniques. La dernière qu’on a ouverte l’année dernière, au total j’ai dû tomber une dizaine de fois. C’est ça qui est intéressant, c’est pouvoir pousser le bouchon en se disant, si je tombe, je ne vais pas mourir et peut-être pas trop me blesser. Je n’aurais pas le même discours si un gars me demandait s’il peut aller faire No Siesta aux Jorasses... ce n’est quand même pas pareil là-bas.

Es-ce que tu t’intéresses à l’actu montagne et ce qui se fait aux quatre coins de la planète ?

De fait, pas des masses parce que ne connaissant pas, tu n’as pas de repères. Tu as toujours l’impression que les gens ont ouvert un truc extrême, parce que c’était à des jours et des jours de marche. Je pense qu’il ne faut pas confondre engagement et difficulté. Je comprends très bien que lorsque l’on est dans des endroits reculés du monde, où il n’y a pas un hélico qui décolle dans le quart d’heure, qu’on ait envie de prendre des risques ou de faire des choses engagées en montagne... Ce que j’aime ne sont pas forcément des choses engagées, mais plus de l’ultra technique. Je suis sûr qu’il y en a plein qui font ça dans des expés lointaines. Après c’est dur de faire le tri tant que tu ne vois pas les photos,... non, je ne suis pas vraiment à l’affût de ça. Je suis bien plus intéressé par ce que font les français, les Maynadier, les gars du GMHM(5)parce que déjà ce sont des copains et ça me fait plaisir de savoir ce qu’ils font, mais après les autres... non, je ne suis pas hyper affûté là-dedans. Mais dans l’Alpe, je sais assez bien ce qui s’y passe... ça oui.

Les hauts sommets himalayens, la haute altitude t’attirent-ils ?

Je ne sais pas... si quelqu’un me dit : « Jeff, tu veux venir à l’Everest ? » Je ne dirais pas forcément non, mais disons, de prime à bord, je n’irais pas démarcher des sponsors. Je chercherais plus un sponsor qui me paierait un mois en Alaska ou en Patagonie que quelqu’un qui voudrait me payer pour aller faire l’Everest ; sachant que j’ai 42 ans, 3 enfants, 3 garçons de 3, 7 et 10 ans. Faut ménager un peu la chèvre et le chou ! Tu veux toujours en faire plus... Quand je vois mon pote "Korra" qui part tous les automnes un mois en Patagonie, oui clairement ça me fait envie mais je ne vois pas personnellement comment je pourrais faire fonctionner ma vie de famille et cette chose-là. C’est pour ça, je suis très content et ça m’éclate vraiment de rester dans l’Alpe, quand je vois encore tout ce qui reste à faire dans les Drus, dans les Grandes Jorasses, ou en grattant un peu à droite, à gauche. C’est sûr, ça ne dénote pas une grosse ouverture d’esprit, ni un gros esprit d’aventure mais à un moment il faut faire au mieux que tu peux. J’ai déjà la chance d’avoir une femme qui me laisse pas mal de temps pour aller en montagne, je dis ça parce qu’elle est à côté de moi ! (rires). Là je vais partir deux semaines et demie en Norvège. Je sais déjà que mes gamins et ma femme vont me manquer. Je n’arriverais pas à partir plus longtemps que ça.

Tu inities un peu tes enfants à la montagne ?

Je ne les initie pas du tout mais forcément ils sont demandeurs d’aller grimper, ne serait-ce qu’aux Gaillands ou de faire la Vallée Blanche. Quand on va à la Gordzerette, dès que mon petit Pablo de 7 ans voit la tour de glace, il faut l’arracher parce qu’il veut y grimper. Je n’ai pas du tout envie de les pousser là-dedans. Mon grand Titouan joue au foot, et même si je ne peux pas blairer les matchs de foot, quand je vais le voir, c’est tellement classe. Je ne les pousserai pas,... maintenant je sais que s’ils accrochent, forcément je serais derrière eux, surtout pour leur apprendre les fondamentaux. Mon papa ne faisait pas de montagne, ce n’est pas lui qui allait m’apprendre ces fondamentaux, mais peut-être que ça m’aurait évité de finir à l’hosto une semaine après mon premier stage d’alpinisme. J’avais voulu absolument tirer un rappel sur un coin de bois. Pour moi, un coin de bois ou un spit, c’était la même chose. J’ai eu la chance après un vol d’une dizaine de mètres, de ne rien me faire et de pouvoir continuer comme ça.

De par ton expérience de la montagne, aurais-tu des petits conseils à donner aux jeunes guides ?

Sincèrement pour moi, le métier de guide n’est pas un aboutissement, parce que c’est juste un instant T. On a réussi à maîtriser pas mal de techniques, mais ce n’est pas forcément parce qu’on est guide qu’on peut avoir un avis vraiment sur ce qui se fait en alpinisme car il y a un moment où l’on diverge. C’est un peu comme le moniteur de ski ou le gars qui fait des slaloms géants Coupe du monde ou de descente. C’est vrai qu’à un moment ils ont dû tourner pas très loin du même niveau mais après chacun a choisi son avenir. Donc des conseils à des guides, j’en serai totalement incapable parce que même si je suis diplômé guide, je ne le suis pas, ce n’est pas ma source de revenus. C’est sûr que souvent je peux faire des remarques qui peuvent être prises mal à propos, pas forcément dans le sens ou je veux le dire du fait où j’ai cette source de salaire qui tombe parce que c’est mon boulot de base d’être gendarme, mais c’est aussi un choix. Si j’ai choisi ce métier de secours en montagne, c’était en connaissance de cause parce que le secours, c’est tout ce qui me fait vibrer, parce que je sais qu’on a du temps pour s’entrainer et que ça c’est forcément inclus dans mon emploi du temps professionnel. Parce qu’aussi quand je pars en secours, ça arrive d’être treuillé dans la face nord des Droites, tu n’es pas treuillé sur un relais avec des spits et il faut aller chercher les gens, donc là il faut savoir tenir debout sur des crampons.
Après moi ça me permet d’aller plus loin dans ma pratique puisque c’est en faisant de l’entraînement dans le cadre de mon travail que je vais ouvrir des voies dans la rive gauche d’Argentière ou ailleurs. Donner des conseils à des jeunes guides, non... par contre en donner à des alpinistes, oui... mais après ça relève tellement du bon sens. Je n’ai jamais aimé dire aux jeunes : « N’y allez pas trop vite, bâtissez votre expérience doucement. »... Non, parce qu’on est tous pareils et que quand il fait beau, on a envie d’y aller, on a vu sur Internet qu’il y avait déjà trois cordées qui avaient fait une voie dans les Drus, ben c’est que ça doit être bon, et puis on y va.
Et puis après il y a le gars qui a une bonne étoile. Comme je disais, j’ai déjà 42 ans, je suis super content, j’ai trois magnifiques enfants, une belle femme, tout va bien. Mais je sais que j’ai eu quand même pas mal de chance quand j’étais jeune. J’ai voulu faire la face nord des Droites en solo. A l’époque nos idoles avaient tout fait en solo. Il fallait donc faire des voies en solo pour se prouver qu’on était fort. Même si maintenant il y a Ueli Steck qui se relance là-dedans, mais bon... c’est tellement "monoface", ça ne se déroule que dans un endroit, ça n’intéresse finalement que peu de monde et de toute façon il a dû tuer le concept rapidement même s’il s’est fait battre après.
Je suis bien content que cet alpinisme-là soit moins fait car si on relève les statistiques des jeunes alpinistes à partir des années 90, tous les ans il y en avait un qui se tuait en solo parce que c’est comme ça qu’on gagnait ses sponsors. Aujourd’hui on a quand même l’impression que cette tendance au solo dans les voies dures a en grosse partie disparu et c’est tant mieux car l’alpinisme, c’est quand même une histoire de cordée, une relation entre deux personnes, ça ne démarre pas et ça ne se finit pas non plus à la benne.
Avec mes potes... que ce soit "Korra" ou John Griffith qui fait de la montagne et qui est un super photographe, après on se retrouve. On va au bar ou au resto ensemble. On se voit dans pleins de moments qui ne sont pas de la montagne et c’est ça qui fait que tu as envie d’y aller. Quand tu habites sur Cham, tu as toujours des gens qui te disent, « Tiens Jeff, si tu veux aller en montagne, on peut aller faire ça... » Je suis content d’aller avec des gens que je ne connais pas, mais j’ai envie que le gars avec qui j’y vais n’y aillent pas juste pour dire : « J’ai fait cette croix-là ou cette voie-là ! » Faut que ce soit un mec que j’aime bien comme un homme quoi.

Tes projets pour 2013 ?

A très court terme, la Norvège avec la découverte des Lofoten. Voyages, cascade + mixte et un peu de grandes voies alpines avec des personnes que j’apprécie bien. Après, j’ai encore envie de faire ce petit jeu qu’on s’est lancé l’année dernière ; faire des voies un petit peu longues sans dormir... L’été, j’ai du mal à me motiver sur des gros trucs. L’alpinisme estival me parait être plus fermé que celui d’hiver. C’est vrai que j’aime mieux me mettre un peu dans des choses,... un peu comme ce qu’on a fait, l’intégrale de Peuterey sans dormir, le pilier Rouge du Brouillard non-stop. Là-dessus j’ai encore deux ou trois idées... Je ne sais même pas pourquoi je trouve ça bien, parce que c’est con de ne jamais faire l’été, mais c’est finalement assez jouissif. C’est un peu j’imagine comme les traileurs, enfin là je ne comprends vraiment pas ce qu’ils font, je ne trouve pas ça marrant de courir des heures et des heures.
Je suis content de me dire qu’à mon âge, j’arrive encore à faire ça... Est-ce que j’arriverai encore à le faire dans 5, 6 ou 7 ans ? Je n’en sais rien. C’est aussi ce qui me fait flipper parce que ce n’est pas une très bonne motivation, c’est un peu cette roue qui tourne, et je me dis, si tu veux faire des trucs, il faut te botter et y aller maintenant, tu ne peux pas le remettre au lendemain. Tout ce qui t’empêche de réfléchir sereinement, ce n’est pas bon, quand tu te dis qu’il faut y aller maintenant parce que si tu y vas plus tard ça sera peut-être moins bon... Tout au début de ma carrière de gendarme, j’ai grimpé avec un pote, on a fait le pilier sud de Barre Noire. Il me dit : « Faut que j’accélère parce que sinon je vais rater le rendez-vous avec ma copine ! ». Le gars, trente secondes après il tombe et se tue. Depuis ce moment-là, quand je suis en montagne et que je me dis magne toi Jeff, tu peux être rentré pour manger avec ta femme et tes gamins, ne pas rater la dernière benne et là de suite je me dis, eh tu déconnes ! Il ne faut pas penser comme ça. Tu fais au mieux que tu peux, et puis voilà... Et après quand on fait des trucs en non-stop, pareil, je n’ai pas envie – après c’est mon opinion de faire l’intégrale de Peuterey en 36 heures, il y a plein de gens qui l’ont fait en moitié moins, trois quart moins – ce qui compte c’est de la faire dans l’esprit qu’on s’est fixé, c’est-à-dire sans trop dormir, d’un seul jet. Après on n’est pas là pour gagner une demi-heure ou une heure, c’est plus l’esprit qui marque la réalisation de ces courses que le temps.

(1) = FFME : Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade / (2) = CNISAG : Centre National d'Instruction au Ski et à l'Alpinisme de la Gendarmerie / (3) = PGHM : Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne / (4) = ENSA : Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme / (5) = GMHM Groupe Militaire de Haute Montagne

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