Montagnes Reportages : Comment es-tu devenu le gardien du refuge du Promontoire ?
Fredi Meignan : C’est une longue histoire. Je fais partie de ces parisiens montagnards, j’ai vécu là-bas un bon bout de temps, dès mon enfance je suis allé en montagne et j’ai commencé à faire de l’alpinisme très vite, mais avec les allers-retours qui vont avec, comme le connaissent mes collègues qui sont dans la même situation. A un moment, je me suis dit que je n’allais pas faire ma vie comme ça. J’avais vraiment envie de vivre complètement en montagne, j’ai donc pris la décision de tout larguer là-bas, – mais c’était réfléchi – et de venir vivre ici, dans le massif de Belledonne à 1200 m. d’altitude.
Pourquoi gardien de refuge ? Parce que dans mon vécu d’alpiniste ou de randonneur, peu importe, j’ai toujours remarqué que lorsque l’on raconte une course ou un sommet, très très vite vient le passage par le refuge comme un élément important, non essentiel, mais qui compte beaucoup dans la réussite ou dans l’expérience, le souvenir, le vécu que l’on a d’une course. Et ça m’a interrogé. Je le vivais comme ça et puis j’avais envie de partager cette passion de la montagne.
Je me suis dit que ce qui se passe en refuge est important pour partager, il y a plein de façons de le faire, les guides, les accompagnateurs... En refuge c’est donc un moment important pour tout le monde y compris pour ceux qui n’ont pas de guide. On a donc eu envie avec ma compagne Nathalie de faire cette expérience de gardiens. On a commencé il y a maintenant six ans et ça nous va très bien parce qu’on arrive à vivre là des choses extrêmement fortes, que ce soit avec les alpinistes, les randonneurs ou même les familles. Le fait qu’on vive cinq mois de l’année à 3100 m. d’altitude, les conditions, les moments de tension et de stress, tous ces instants sont importants pour nous, et c’est ici où l’on mesure que le passage en refuge est important pour beaucoup de cordées.
Au refuge, on est attentif et à l’écoute de tout ce qui peut se dire, et quand on est ouvert et qu’on a le temps d’être disponible – on ne l’est pas toujours – eh bien, c’est chouette car il y a vraiment une qualité d’échanges, d’expériences, du pourquoi on est là... C’est bien de sentir les gens un peu engagés sur des choses fortes, ils sont tendus mais ils sont contents. Ces moments forts de la vie, on les vit avec tout le monde, ça nous plait franchement de contribuer à ça.
Gardiens de refuge, on l’a souhaité pour ça, on est là pour ça, et en plus on a le refuge du Promontoire ! Sincèrement, c’était mon refuge un peu repère quand j’étais plus jeune. Je suis toujours allé en Oisans. Même avant lorsque j’étais à Paris, je venais dans les Ecrins en priorité pour plein de raisons, pour la Meije, son isolement, l’ambiance alpiniste... C’est un refuge qui nous a toujours fait rêver. Et puis voilà, on a eu un peu de chance, ça s’est bien passé, on est vite devenus les gardiens du Promontoire et honnêtement, on est bien contents.
Y a-t-il une formation spécifique pour devenir gardien de refuge ?
Oui et c’est tout récent. Le métier de gardien de refuge a beaucoup évolué ces dernières décennies. Avant, les gardiens étaient principalement des gens, guides ou enfants de guides de la vallée qui ont vu arriver les touristes et les alpinistes et qui ont organisé leur vie professionnelle à partir de là. Depuis dix, vingt ans, il y a une nouvelle génération qui souvent, vient "d'ailleurs" et qui est très motivée par ce métier.
Très vite s’est donc posée la question d’une formation de gardien de refuge. Depuis dix ans, la France est un peu pionnière sur cette formation universitaire qui s’est mise en place avec l’université du Mirail à Toulouse et en collaboration avec le syndicat des gardiens, auquel je participe un peu pour la formation.
Je trouve cela très intéressant parce qu’il y a des jeunes qui viennent avec une sacrée motivation. En même temps, c’est une ouverture sur le domaine montagnard dans toutes ses dimensions, la sécurité, les gens qui y travaillent, la conception de l’accueil, la restauration bien évidemment et toutes les questions liées à ce milieu. Cette formation n’est pas encore obligatoire pour devenir gardien de refuge mais elle est plus que conseillée car elle va devenir très vite d’une année à l’autre, quasi obligatoire et ça me parait justifié.
Qu’est-ce qui a fait évoluer ce métier ces dernières années ?
Tel que je le vois, c’est lié à l’évolution des rapports à la montagne. Si on se projette aux dernières décennies, il y a eu le patriotisme des années 50 que l’on connaît. Après, il y a eu toute une période dans les années 60 en gros où il y avait un vrai effort national d’Etat sur la montagne pour tous. C’est à ce moment-là que l’UCPA et les classes de neige ont été créées et il y a eu un vrai élan vers la montagne. La moyenne des refuges date des années 60 et c’est à ce moment-là qu’ils ont beaucoup pris de l’ampleur. Les gens y venaient quelles que soient les conditions d’accueil. Aujourd’hui il n’y a plus l’état d’esprit qu’il y avait à cette période. Il y a eu un peu un rétrécissement pendant un bout de temps du public montagnard. Paradoxalement on est dans une situation où il y a eu ce rétrécissement et où en même temps la montagne continue à faire rêver et à attirer – toutes les dernières enquêtes le montrent – même si on a du mal à y venir.
Pourquoi ? Il y a plein de questions, il y a un peu les "jetons" parfois, ça pèse un peu, il y a moins de dynamique et d'élan qu'au cours des périodes précédentes. Je crois que la dimension d'accompagnement, non pas dans le sens de tenir par la main, mais plutôt de partager des choses fortes est fondamentale. C'est vrai bien sûr aussi pour les guides, les accompagnateurs et tous les professionnels de la montagne mais pour les gardiens de refuges, cette dimension d'accueil comme on dit donne tout son sens au métier. Comment on peut être plus disponible, malgré toutes nos charges de travail, avec l’hébergement et la restauration, afin d'être vraiment à l’écoute des gens qui passent là-haut. Quelles sont leurs attentes ? Qu’est-ce qu’ils ont envie de partager ou non ? C’est vrai que ce n’était pas tout à fait comme ça il y a cinquante ans d’après ce qu’on m’a raconté.
Voilà, à mon avis il y a donc une dimension d’accueil et de passeur, qui peut ne pas s’appliquer qu’aux gardiens de refuge bien évidemment, mais qui prend un rôle aujourd’hui extrêmement important y compris pour donner aux gens l’envie de venir, et de vivre des choses fortes en montagne. Les refuges d’aujourd’hui sont la porte d’entrée pour donner cette envie, que ce soit pour pratiquer l’alpinisme ou pour être tout simplement en montagne. Ce qui peut se passer dans et autour d’un refuge peut contribuer à une dynamique de retour à la montagne. C’est tout à fait possible à mon avis aujourd’hui.
En termes de nombre de refuges dans le département de l’Isère – ce n’est pas le département où il y en a le plus – on estime à 150 000 personnes qui passent chaque année dans ces refuges. En terme d’impact sur le nombre de personnes, sur ce qu’ils vivent en montagne, je ne parle pas pour les pratiquants assidus, mais de tous ceux qui viennent une, deux ou trois fois en montagne, eh bien ce qu’ils vivent au refuge, la qualité ou non, contribue beaucoup à l’image qu’ils vont porter de la montagne.
A l’époque des anciens, le métier de gardien de refuge était quelque chose de naturel. On accueillait les gens qui montaient là-haut. Maintenant je le vois, c’est une dimension beaucoup plus large. On assiste à une professionnalisation de ce métier et la formation va dans ce sens-là.
Comment se déroule une journée type de travail des gardiens du refuge du Promontoire, ça doit être bien dense ?
Honnêtement ça a un côté très rude, je ne veux pas en rajouter ni faire pleurer mais c’est sans doute l’un des refuges où c’est le plus compliqué de ce point de vue-là parce que c’est un petit refuge et ça compte car dans les grands refuges, il y a toute une équipe. Ici on n’est que deux personnes et on ne peut pas être plus. Par contre on a les mêmes éventails de réveils. C'est-à-dire qu’en début de saison, parfois on a des réveils à 1h pour la face nord, parfois à 2h, en général à 3h, et pour les courses plus courtes ou moins dures, à 4, 5h, sachant que nous nous couchons rarement avant 23h et que des cordées arrivent souvent dans la nuit !
Donc ça nous arrive dans les périodes plus tendues de faire des suites de réveils sans arrêt. C’est donc vraiment une question de sommeil alors on prend sur soi, après on s’écroule en septembre ! Et puis au total, ce ne sont pas simplement les horaires – on ne peut d’ailleurs pas parler d’horaires de travail dans un refuge car ça n’a pas de sens – on pourrait dire que le reste du temps est plus calme, oui et non, surtout au Promontoire, c’est culturel. C’est une habitude, quand on est là-haut je n’ai pas envie de faire autre chose que d’être très attentif à ce qui se passe. On a une attention de tous les moments, on surveille, on regarde, je ne sais pas faire autrement quand je suis là-haut que de m’intéresser aux cordées qui sont dans la montagne. J’ai l’impression d’être là pour ça, à tort ou à raison, mais voilà...
Les premières cordées arrivent souvent tôt au refuge, car comme ce sont des grosses courses derrière, les guides avec leurs clients aiment bien arriver en gros pour midi, ce n’est d’ailleurs vraiment pas idiot et je ne peux que le conseiller aux cordées amateurs, ne pas arriver au dernier moment, ça permet de souffler l’après-midi.
Etre gardien au Promontoire impose donc des journées très lourdes. En plus pour peu qu’il fasse beau pendant trois semaines, on ne va pas s’en plaindre mais du coup il n’y a pas de pause, pas de dimanche. Pour nous des fois sincèrement quand le mauvais temps arrive – mais il ne faut pas qu’il dure trop longtemps – s’il reste pendant deux jours, on est content parce qu’on se pose un peu.
La construction du refuge du Promontoire date de quand ?
Tout d’abord un tout petit mot sur la Meije car c’est un refuge intimement lié à cette montagne. Elle a été mythique, notamment pour les alpinistes français puisque c’était au moment des grandes conquêtes du siècle passé, où beaucoup d’anglais, autrichiens faisaient des premières sur des grands sommets. La Meije est le sommet dont Whymper avait dit qu’il était infranchissable. Tous les sommets avaient été gravis sauf la Meije.
Il y a eu sur plusieurs années vingt-cinq tentatives infructueuses je crois, pour essayer d’atteindre dans les années 1875 le sommet, et il se trouve que c’est Gaspard, natif de la vallée, qui a ouvert la Meije. Une grande victoire française fêtée comme il se doit par le CAF à l’époque, pourquoi je dis tout cela ? Parce que déjà il y a le côté mythique de la montagne, les anciens qui ont ouvert, ont très vite trouvé l’itinéraire par l’arête du Promontoire et ont installé rapidement en 1901 la première cabane en bois à l’endroit exact où se trouve actuellement le refuge.
Intelligemment situé à l’attaque, complètement à l’abri des chutes de pierres et des avalanches, dans un endroit pas évident puisque c’est une arête rocheuse. En 1901, on peut dire que nos anciens alpinistes avaient du flair. C’était donc un chalet en bois du type de celui de l’Aigle d’aujourd’hui, il a été reconstruit en 1966 par le CAF dans sa forme actuelle et depuis il n’a pas beaucoup bougé. Il a vécu toute l’histoire de la conquête de la face sud et face nord, ça s’est passé après la reconstruction du refuge, à part la voie normale, mais tout le reste, toutes les grandes voies difficiles, ça s’est souvent passé à partir du refuge du Promontoire.
Tu fais partie de l’association des gardiens de refuges. Tu peux nous en dire quelques mots ?
C’est un peu lié au constat que je faisais tout à l’heure sur l’évolution du métier que chacun pratiquait un peu dans son coin, enfin jusqu’à il y a quelques années. Sur ce que j’évoquais, le besoin de mieux parler de la montagne, de mieux la partager, d’être nous-mêmes plus professionnels, et y compris pour le coté sympa du boulot. On a tous approuvé le besoin de se voir plus. Paradoxalement, on fait le même métier, mais parfois mes voisins les plus proches sont à quelques heures et on ne les voit pas souvent quand on travaille. Les seuls contacts se font par radio en général. Il y a encore quelques années, souvent les gardiens de refuge se connaissaient à peine, voire pas du tout. On s’entendait juste à la radio.
Il y a donc déjà eu un besoin de se connaître, d’échanger, de partager et la mayonnaise a pris. Dans ce métier qui est sacrément individuel, je trouve qu’il y a une belle communauté, une belle ambiance commune, c’est sympa, on se retrouve, on travaille, on échange des bons plans, les produits, ce qu’on achète, comme on se met de plus en plus au bio, on commande ensemble des produits pour que ce soit moins cher, les produits locaux, enfin tous les bons plans pour faire vivre un refuge de bonne manière.
 
On travaille aussi sur ce que je disais un peu tout à l’heure, sur mieux porter la montagne, il me semble que la montagne l’été, la montagne peu ou pas aménagée pour parler de la montagne qu’on pratique, est peu partagée, peu portée pars les médias. Souvent la montagne se résume au mont Blanc, les accidents ou les stations de skis l’hiver. Qu’est-ce qu’elle peut apporter ? Au-delà des médias, c'est la société qui parle peu de la montagne et de ce qu'elle apporte aux êtres humains. A nous aussi, à partir de notre boulot de mieux donner envie. L’association des gardiens de refuge, c’est aussi ça. Tenter d’améliorer la qualité de ce que l’on peut faire et en même temps donner envie de partager ce que l’on vit là-haut. On travaille aussi beaucoup avec tous les partenaires des refuges, c'est-à-dire les guides, les accompagnateurs, les secouristes. Chaque année, maintenant on a mis en place des journées de formations, des recyclages avec le PG(1) , CRS, Sécurité Civile. Ça fait aussi partie du rôle de l’association et ce n’est pas négligeable.
Tu arrives quand même à faire de la montagne en dehors de ton travail ?
Oui, quand on a un peu de temps (rires), grimper sur la Meije, c'est toujours un immense bonheur... mais là-haut, on est d'abord au boulot et c'est vrai que tenant compte de l’intensité du travail, on a du mal à trouver le temps que l'on souhaiterait avoir... Mais ce qui pourrait apparaître comme frustration est largement compensé par une expérience unique, vivre cinq mois par an à 3100 m, perché dans cette grande face sud de la Meije, dans ce milieu réputé hostile à l'homme mais combien exceptionnel ! Après il nous reste quand même sept mois en bas et parfois... quelque part en haut !
Un gardien de refuge doit avoir dans ses tiroirs quelques petites anecdotes ?
Oui, j’ai une anecdote amusante. Quatre filles de vingt-cinq à trente ans sont arrivées un jour avec des perruques, des soutiens-gorges sur leurs vêtements et des petits râteaux plastique d’enfants attachés sur leurs casques. Elles nous ont expliqué qu’elles venaient faire le sommet du Râteau pour fêter joyeusement tous les râteaux amoureux que les mecs leur ont fait subir dans la vie. Ça a été une grande partie de rigolade. C’est une anecdote mais c’est un peu significatif de ce qui se passe ici au refuge, on rigole souvent même si parfois il y a des moments moins gais. 
L’été dernier aussi, à deux reprises, des personnes sont montées avec des instruments de musique, violon, guitare, sax, trombone... Elles ont joué en soirée , mais on ne finit jamais tard au Promontoire ! Concert aussi sur la DZ(2) du refuge. Ça a vraiment été une chouette ambiance. Tout ça pour dire qu’en haute montagne, à la différence de la moyenne montagne, enfin en tout cas au Promontoire, je trouve qu’il y a vraiment un retour des jeunes en montagne, des jeunes grimpeurs qui viennent se coller à la grande et haute montagne. Et toute cette fréquentation significative avec l’ambiance qui va avec, est une belle cohabitation.
Les dates d’ouverture du refuge ?
Pour le ski de rando, on ouvre du 29 mars jusqu’au 10 mai – comme tous les refuges qui font du ski de rando en Oisans – Après on rouvre au plus tard à la mi-juin et jusqu’à la mi-septembre.

(1) = Peloton de Gendarmerie / (2) = Dropping Zone= Zone d'atterrissage pour un hélicoptère
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