Spéléologue renommé, Phil Bence parcourt la planète à explorer son monde souterrain. Des dizaines d’expéditions et découvertes à son actif, il est également directeur du Festival de l'image Sport Aventure d’Ax-les-Thermes. Une interview exclusive pour Montagnes Reportages.
(Photos : Collection Phil Bence)

Montagnes Reportages : Tu es originaire de quelle région ?

Phil Bence : Je suis né à Fontaine-de-Vaucluse. C’est d’ailleurs marrant car c’est une des plus belles résurgences karstiques de France et même du monde. Ensuite j’ai habité longtemps entre le Gard et l’Ardèche, il y a un petit plateau calcaire qui s’appelle le plateau de Méjannes-le-Clap et c’est donc là qu’on commençait à aller dans des grottes quand on était gamin.

Comment t'es venue cette passion pour le monde souterrain ?

C’est un peu compliqué car il y a des raisons objectives et puis il y a des choses qui se sont passées quand j’étais jeune. Tu n’as pas forcément conscience des déclics que cela peut engendrer par la suite. Ces déclencheurs sont des photos qui m’ont vraiment marqué l’esprit quand j’avais 12 ou 13 ans. On m’avait offert un livre pour mon anniversaire, dans la quatrième de couverture il y avait une de ces photos qui m’avait vraiment impressionné. Quelqu’un remontait sur une corde, l’ambiance était hyper austère, c’était tout noir, il y avait de l’eau... Je ne savais pas du tout ce qu’était la spéléo et je ne connaissais pas le monde souterrain.
A part cette photo, ce bouquin ne m’a même, à la limite, pas intéressé car ce que j’aimais, c’était plutôt le jeu de construction Mécano. Etant adolescent, j’allais avec des copains dans des grottes, certaines n’étaient pas loin de la maison. On allait sous terre mais on ne faisait pas de la spéléo, c’était un peu n’importe quoi, on n’avait pas de matériel.
J’ai commencé vraiment à faire de la spéléo quand j’étais étudiant. Pour gagner des sous, le hasard a fait que par un copain, je suis rentré comme guide dans une grotte à but touristique. Et là, du coup je suis allé voir les restes du réseau, petit à petit j’ai vu que c’était intéressant. J’en ai fait un peu tout seul après, puis j’ai rencontré des gens passionnés et passionnants, les choses se sont faites comme ça.

Qui encadre l'activité spéléo en France ?

Il y a une pratique fédérale qui est assez importante. La montagne, on peut la pratiquer seul ou avec son copain, mais la spéléo, c’est vraiment beaucoup plus compliqué de faire des choses quand on est deux. Il faut donc forcément être nombreux si tu veux pratiquer des choses intéressantes. Pour la montagne, tu achètes une corde d’escalade, des amarrages, des dégaines, etc. mais en spéléo, dès que tu veux aller loin, il faut des kilomètres et des kilomètres de cordes, beaucoup de mousquetons, du matériel qui coûte de l’argent et tu ne peux donc pas le faire tout seul. Forcément la fédération a une grosse place pour t’aider à pratiquer cette activité.
Elle est d’ailleurs bien structurée, avec des formations techniques, scientifiques, il y a aussi une Commission secours. C’est une activité qui est très particulière par rapport à cela car c’est la seule en France où l’on gère jusqu’à son propre secours.
Il y a un pôle d’enseignement qui est assez important et bien fait. Depuis les années 90, une formation professionnelle s’est mise en place, le brevet d'Etat d'éducateur sportif. Ce brevet d’Etat s’est mis en place pour répondre à toute la demande de découverte du milieu souterrain de manière occasionnelle. Actuellement, c’est ça... soit on veut pratiquer de manière régulière et intensive, et là il faut passer par un club, c’est plus intéressant. Mais si on veut juste découvrir de manière ponctuelle ou faire quelques belles sorties de temps en temps comme on peut faire de la montagne avec un guide, il faut passer par un professionnel.

La spéléo, ce n’est pas uniquement découvrir des réseaux, des grottes, c’est aussi des échanges, des partages, c’est aussi ce qui t’intéresse dans cette activité ?

L’essence de l’activité – et c’est ce qui m’attire là-dedans - c’est la découverte, le fait de pouvoir faire des choses que personne n’a fait avant, là où personne n’est jamais allé et cet aspect-là est vraiment important pour moi. Après, il y a plein de gens qui pratiquent la spéléo en loisir pur comme on peut aller faire de la montagne, visiter une belle cavité, la découvrir en groupe, ça marche aussi comme ça.
Il est vrai que la partie humaine est importante parce que c’est une activité que tu partages à plusieurs forcément, que ce soit sur une expé, un camp. Tout de suite tu te retrouves rapidement avec 5, 6,7, 10 personnes... oui ce partage-là est important.

J’ai cru comprendre que tu es très exigeant sur ton matériel ?

Je suis d’abord exigeant pour moi-même. Il y a plein de gens qui ont du matériel sur eux sans savoir à quoi ça sert. Être exigeant pour moi, c’est être rigoureux, avoir chaque chose à la bonne place et savoir pourquoi c’est là. Pourquoi tel mousqueton est placé à tel endroit plutôt qu’à un autre, la manière d’accrocher le crochet goutte d’eau, les réglages du matériel…
Cette exigence-là, c’est aussi ce qui fait l’efficacité quand on est sous terre. Comme je le dis souvent, c’est un milieu qui est déjà suffisamment difficile, souvent étroit, avec des parties verticales et des parties sur corde qui peuvent être très techniques et fatigantes. Le monde souterrain est un endroit où l’on est en survie, on ne peut pas y rester. Il ne faut donc pas que les gens se rajoutent en plus une contrainte avec la technique. Celle-ci est justement là pour vous aider car c’est tellement simple et facile quand tout est bien réglé et bien à sa place, du coup on est mieux disposé à être ouvert sur ce milieu souterrain pour pouvoir en profiter. Il y a plein de gens qui galèrent sous terre parce que tout simplement leur matériel n’est pas adapté, alors ils n’apprécient pas leur sortie parce qu’elle devient trop difficile.

Que ressent-on sous terre lors de la découverte d’un nouveau réseau, d’une nouvelle cavité ?

C’est complètement grisant mais c’est très difficile à expliquer car c’est quelque chose qu’il faut vivre. C’est comme en montagne, quelqu’un qui va au-delà de 8000 m. d’altitude peut dire que c’est quelque chose de très fort et marquant mais tant que l’on ne l’a pas vécu nous-mêmes, c’est difficile de le partager. Sous terre, c’est un peu la même chose.
Ça dépend aussi de ce qu’on va trouver. A force, j’ai dû découvrir quasiment une centaine de kilomètres de réseaux, et dans toutes ces découvertes, il y en a qui sont exceptionnelles et d’autres banales. Mais c’est comme tout, au bout d’un moment, tu as une certaine accoutumance. C’est exceptionnel pour quelqu’un qui ne l’a jamais fait mais quand tu le pratiques régulièrement, ça devient banal.
C’est pour cela que tu as toujours besoin de chercher quelque chose de plus en plus exceptionnel. On va justement le chercher dans des endroits tels que la Papouasie, la Chine, le Laos ou le Mexique où il y a des grandes verticales. Là-bas, on est sûr qu’on a des chances de trouver des choses qui vont nous marquer et nous motiver.

 

La Papouasie, c’est l’un de tes gros coups de cœur ?

Oui, j’y suis allé cinq fois et on prépare la 6e expédition pour 2014 normalement. Sous terre, c’est exceptionnel, très aquatique car il y pleut énormément, il y a des réseaux souterrains qui sont immenses et des rivières souterraines qui ont plusieurs mètres cubes. Quand tu te confrontes à ça, c’est quand même assez magique.
Les parties fossiles sont souvent très concrétionnées et très esthétiques. La température est juste comme il faut, 16°, ce n’est pas trop chaud ni trop froid. C’est du canyon, c’est très beau, très blanc, très esthétique, très sportif. C’est une expédition complète car il y a toute la partie exploration, l’approche, la jungle, le camp en forêt, la rencontre avec les papous... On est en totale autonomie et ce mélange-là fait qu’on a envie d’y retourner.

Sous terre, c’est sombre, humide… On y trouve quand même de la vie ?

Oui, mais ce ne sont pas des formes de vie très évoluées. Comme il n’y a pas de lumière, il n y a pas de végétaux et donc pas de cycle alimentaire qui peut se mettre en place. On trouve des petites bestioles qui font quelques millimètres. Les plus grosses sont celles que l’on trouve dans l’eau forcément, car les réseaux souterrains sont en connexion avec l’extérieur, soit par les résurgences, soit par les pertes. Il y a donc des espèces et des nutriments qui peuvent arriver plus facilement dans ces rivières. On peut y trouver des crevettes, des crabes, des poissons… Oui il y a de la vie. D’ailleurs à chaque expédition, s’il y a des spécialistes, des espèces animales y sont régulièrement découvertes. Ces milieux en circuit fermé, en vase clos, développent donc des espèces endémiques.

En France, y a-t-il encore des choses à découvrir sous terre ?

Oui tout à fait. Pour donner un ordre d’idée, chaque année en France sont découverts entre 50 et 100 kilomètres de réseaux souterrains. Mais c’est plus compliqué ici, car les grandes choses sont faites et donc ça demande beaucoup de travail et d’investissement. C’est la désobstruction, faire des plongées souterraines, faire des escalades pour atteindre des endroits inaccessibles. Comme la technique évolue, cela permet d’avoir accès à des choses qui n’étaient pas forcément accessibles auparavant, mais qui le deviennent maintenant.

Les médias ne parlent généralement de la spéléo que lorsqu’il y a un fait divers ou un accident. Comment l’expliques-tu ?

Le secours spéléo, comme de temps en temps le secours en montagne, plait au public parce que tu es un peu dans du suspense et du mystère. Tu ne sais pas ce qui va se passer, tu ne sais pas si la personne va s’en sortir, il n’y a pas d’images, donc les médias sont totalement friands de ça. En plus, cela mobilise beaucoup de moyens et de personnel, du coup dès qu’il y a le moindre accident, les médias sont dessus. Ensuite il y a toujours cette polémique sur la prise de risques ou de responsabilité des spéléologues, on est toujours un peu dans ces problèmes-là.
Mais je pense que c’est en train de changer car les moyens de tournage et d’éclairage évoluent. Çà devient beaucoup plus facile de ramener des images souterraines. Avant, on avait des gros projecteurs, des grosses batteries, beaucoup de personnel et c’était donc très compliqué de tourner.
Maintenant avec peu de moyens, on peut ramener des images qui sont tout à fait correctes. Puis le fait de faire des films sur la spéléo, comme le fait la société Petzl, cela permet de le diffuser, de participer à des festivals, car jusqu'à maintenant il n’y avait pas grand-chose dans le domaine de la spéléo. Une dynamique intéressante se créé et amène une autre image de l’activité et ça, c’est positif.

L’idée de créer à Ax-les-Thermes le festival EXPLOS dédié aux sports d’aventure t’est venue comment ?

Lors d’expéditions il y a quelques années, on m’avait demandé plusieurs fois de faire des présentations ou de participer à quelques festivals. Avant la création du festival Explos, il y avait soit des festivals très axés sur la montagne ou alors des festivals à thématique aventure, mais toujours de manière très large. On pouvait y trouver de tout et du coup, ça manquait d’unité. Je me suis dit qu’avec le développement de tous les sports outdoor, de plein air, il y avait quelque chose à faire pour regrouper un petit peu tous ces pratiquants d’activités différentes mais en même temps très proches dans la démarche et dans l’esprit.
J’ai donc eu l’idée de faire ce festival qui était vraiment de centrer et regrouper tous les sports de plein air. En fait cette idée-là s’est révélée exacte parce que ça marche. Il y a une synergie qui s’est créée suite au festival, les gens ont des choses à se dire même s’ils ne font pas les mêmes activités, ils se reconnaissent et partagent des choses en commun.

L’édition 2013 se prépare ?

Oui, j’ai commencé déjà depuis pas mal de temps et la programmation commence à être bien avancée. Il y aura de belles choses.

Il n’y a aucun jury dans ce festival, c’est une notion importante pour toi ?

Oui, il y a seulement un Prix du public. J’ai fait des sports de plein air quand j’étais jeune et j’ai eu envie de ça parce qu’il n’y a pas de compétition. Celle-ci peut amener des choses positives mais peut aussi amener selon moi beaucoup de choses négatives. Une compétition pour un seul gagnant signifie qu’il y aura beaucoup de perdants et ça amène beaucoup de frustrations. Ce qui me plaisait dans les sports de plein air, c’est que tu pouvais faire une compétition avec toi-même sans forcément la faire avec les autres et à mon avis c’est ce qu’il y a de plus intéressant.
J’ai eu le désir de le transposer dans le festival, où je n’ai pas envie qu’il y ait un jury qui détermine qui a gagné, qui a perdu, car c’est forcément très subjectif. Mais par contre, on a voulu donner la parole au public pour qu’il dise son coup de cœur sur l’ensemble des films vus lors du festival.
Voilà, ce festival est donc fait pour le public, avec certes un Prix du public mais sans avoir de remise de coupe, de médaille ou quoi que ce soit. D’ailleurs tous sont gagnants car dès qu’ils sont déjà programmés dans le festival, cela veut dire qu’ils sont tous bien.
On a aussi eu l’idée de mettre quelque chose en place qui puisse lancer des jeunes réalisateurs parce que ce n’est pas forcément évident de pouvoir être vu, à part sur internet. Dans ce festival, ils peuvent rencontrer des gens sur place, des réalisateurs qui ont de l’expérience, des personnes du milieu... Par contre il y a un jury, car cela reste malgré tout des films amateurs et forcément on ne peut pas dire que tout est bien, ce n’est pas possible. C’était la 2e édition en 2012, on prépare donc la 3e en ce moment.

As-tu le temps de pratiquer d’autres activités sportives ?

Je suis aussi moniteur d’escalade et moniteur de canyon. Je fais un petit peu de ski, j’ai aussi fait un petit peu de montagne dans les Pyrénées, pas mal de VTT pendant un moment et maintenant j’ai envie de me mettre au parapente. Bon... après c’est compliqué, il faut travailler et on ne peut pas tout faire à un haut niveau. Il faut s’investir dans une activité pour arriver à être bon, mais être fort partout cela prend du temps et de l’énergie, et si j’arrive à avoir des sponsors pour ne pas travailler, ça sera possible... (rires) mais sinon c’est impossible !

Tes projets pour 2013 ?

Je repars au Laos en février pour accompagner une équipe scientifique du CIRAD, mais ce n’est pas encore sûr car il y a un problème de papiers et d’autorisation. Normalement, je retourne à Oman en mars pour faire une formation. Je dois aussi aller en Tunisie en juillet pour faire des photos dans des cavités qui ont été découvertes il y a peu de temps. J’ai commencé à faire de la photo en 2006 car suite à une expé en Papouasie en 2005, j’étais un peu frustré, on avait vu des choses extraordinaires et on n’avait pas ramené des photos suffisamment bonnes à mon goût. J’ai donc commencé à acheter du matériel et à faire des photos. En août, on retourne en Espagne au Picos de Europa. Après, il y a encore des projets dans les cartons, mais rien de sûr pour le reste.

 

> La 6e édition du Festival Explos à Ax-les-Thermes (Ariège) se déroulera du 8 au 12 mai 2013 >plus d'infos

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